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" La juste limite entre langue de bois et devoir de réserve. "

Les associations sont lasses d’attendre la campagne de la DGS sur les Hépatites B et C

février 2000

Les 18 et 19 janvier 2000 avaient lieu à Sida Info Service deux journées de formation sur les hépatites et la coinfection par les virus du sida (VIH) et de l’hépatite B (VHB) ou C (VHC). Cette formation gratuite était organisée à l’attention des associations par le Kiosque Info Sida.

Le mardi 18 janvier était consacré à l’ « histoire naturelle des hépatites », avec le Dr St Hilaire, hépatologue à l’hôpital Foch (qui intervenait sur l’hépatite B et la coinfection VIH-VHB) ; le Dr Zylberberg, hépatologue à l’hôpital Necker (hépatite C et coinfection VIH-VHC) ; et le Dr Derouineau, du Centre de Dépistage Anonyme et Gratuit (CDAG) du Figuier (dépistage des hépatites).

Le mercredi 19 janvier portait sur les problèmes de « prise en charge spécifique » posés par la coinfection, avec le Dr Sananes, de l’ECIMUD de l’hôpital Bichât (prise en charge des toxicomanes et substitution) ; Sylvie Aubague et Pierre Cano, de l’Association Nationale de Prévention de l’Alcoolisme ; Etienne Mater, de l’association ASUD/ Auto-Support Usagers de Drogues (sur la réduction des risques) ; et Gérald Sanchez, d’Act Up-Paris (pour un premier de bilan concernant la coinfection VIH-VHC et l’urgence de la prise en charge des personnes doublement infectées).

Au vu du succès de cette première édition, l’organisation d’une nouvelle formation a été envisagée pour le mois de mai, conçue sur le même modèle.

Effets d’annonce

En guise de conclusion à ces deux journées, l’assistance a eu la visite surprise de Mr Bertrand Sachs, chef de projet chargé notamment des hépatites à la Direction Générale de la Santé (DGS). Elle a frôlé la jaunisse, à l’entendre exposer un plan de campagne d’information attendu déjà depuis trop longtemps, et brillant par son inconsistance et son manque d’ambition.

« Trois mesures vont prendre effet prochainement », annonçait le représentant de la DGS :

 1/ le 1er février, sera encarté dans deux revues de presse médicale tirant à 160 000 exemplaires au total, un poster de prévention à afficher dans les cabinets médicaux. Ce poster dit en substance, " si vous avez été transfusé ou si vous avez été usager de drogues par voie intraveineuse, une fois dans votre vie, alors il faudrait vous faire dépister pour l’hépatite B et C ".

 2/ dans les jours qui viennent nous allons distribuer un nouveau livret médecin et un nouveau livret patient.

 3/ au second semestre 2000, nous organiserons des séminaires de presse sur le VHC pour tout les supports qui souhaitent communiquer sur ce problème ».

Mesures de prévention et de dépistage, ou effets d’image ? Aujourd’hui, les associations et une partie du corps médical ont pris pleinement conscience de la gravité de la situation, pour une bonne part des 700 000 personnes déjà infectées par le VHC et/ou le VHB, comme en termes épidémiologiques. Mais les autorités sanitaires freinent des quatre fers. Comme si elles avaient plus à perdre qu’à gagner, à s’attaquer à cette nouvelle épidémie.

Un poster d’incitation au dépistage

Le 1er février, la DGS espère-t-elle que l’ensemble des médecins généralistes lira l’une des deux revues médicales retenues pour la campagne, et détachera spontanément le poster central pour l’afficher dans sa salle d’attente, sans avoir été incité à le faire ? Ou espère-t-elle simplement prouver sa bonne volonté ? Car Mr Sachs le reconnaît lui-même : « En 1995 tous les médecins ont reçu un livre bleu d’information sur les hépatites, mais sait-on seulement s’ils l’ont lu ? ».

Ce poster, d’autre part, n’incite au dépistage que les populations dites « à risques » : à savoir, nous dit-on, les usagers de drogues par voie intraveineuse et les transfusés d’avant 1991. Or l’épidémie dépasse sans doute largement le champ de ces catégories « cibles ». D’une part parce que les occasions de transmission par voie parentérale (de contact avec du sang infecté) sont loin de se limiter au partage de seringues ou à la transfusion, sans compter les transmissions nosocomiales (consécutives à des actes médicaux ou chirurgicaux invasifs : cathéters, coloscopie, etc.), qui seraient nombreuses. D’autre part, parce que près de 30% des contaminations par le VHC restent de « cause inconnue », si l’on en croit les statistiques établies sur la base des dépistages déjà réalisés. Il s’agit, nous dit-on, d’éviter d’alarmer le grand public.

Mais le pas est vite franchi, entre éviter d’inquiéter la population, et laisser la maladie se répandre et se développer en silence. Et on connaît depuis le sida les effets de la catégorisation de « populations cibles », notamment en termes de dépistage et de prévention.

Les hépatites B et C deviendront-elles à leur tour des « maladies de toxicos », ou des « maladies de transfusés », confortées dans cette image par les stratégies de dépistage adoptées par les autorités sanitaires ? Voire, la DGS espérerait-elle " limiter ", par un effet pervers des ciblages qu’elle opère, le nombre des personnes contaminées " de façon inconnue " ? Minimalistes et lâches, les mesures de prévention préconisées par la DGS tiennent plus de l’effet d’annonce que de la politique de santé publique. On comprend mieux dès lors le sens de cette affirmation de Mr Sachs : « Il n’y a rien de politique à vous informer des actions de prévention de la DGS »...

Un livret médecin et un livret patient

Lors d’un rendez-vous obtenu le 18 mars 1999 avec la DGS sur cette question des hépatites, Bertrand Sachs avait déjà annoncé à Act Up-Paris la diffusion de livrets d’information destinés aux patients infectés et aux médecins. Nous avions réaffirmé notre intérêt pour ces brochures, déjà réclamées depuis longtemps, et notre disponibilité, concernant le travail de rédaction et de mise au point. Il avait fallu attendre septembre 1999, sept mois plus tard, pour qu’il daigne nous rappeler, et nous donner quelques détails supplémentaires. Mais le 19 janvier 2000, il reconnaissait enfin : « On a pris du retard suite à l’annonce par Bernard Kouchner du plan hépatite C, il y a un an ». (...)

« Aujourd’hui, le dépliant [à l’attention des médecins] n’est pas prêt. L’agenda du patient arrivera après, et ensuite, pour le grand public, on aura un dépliant du CRIPS, réalisé avec l’institut Fournier ».

Retard imposé par les dysfonctionnements de la DGS, ou entretenu par les atermoiements des politiques ? Que l’Etat hésite à assumer sa mission de santé publique par peur de choquer les électeurs, à révéler l’expansion brutale du VHC et du VHB, c’est ce que confirme sans détours Mr Sachs : « en interne il y a un gros travail de persuasion à faire. Si Dominique Gillot avait été là, on aurait d’autres moyens à l’heure actuelle. On a besoin d’être soutenu par les politiques ». Insistant sur la délicatesse du dossier, il entend même imposer une nouvelle formule, exprimant toute l’ambivalence de la DGS et du ministère de la Santé mêlés : « Trouvons la juste limite entre la langue de bois et le devoir de réserve », proposait-il aux associations. Cette ambivalence, nous la connaissons bien. A entretenir l’inertie, elle finit par tuer. Puisque la DGS ne semble pas voir l’utilité d’une campagne d’information et d’incitation au dépistage du VHC et du VHB, nous faudra-t-il trouver les moyens de l’assumer nous-mêmes, avec l’aide d’autres associations ?

Le 19 janvier dernier, Mr Sachs reconnaissait à son administration une capacité de progrès : « à la DGS, on ne passe plus notre temps à nous reposer sur les associations, on collabore avec elles ». Sauf que la collaboration, nous l’attendons toujours. Comme la lutte entreprise par la DGS contre l’hépatite C, elle doit être invisible.

Des séminaires de presse sur le VHC

Dans un article publié dans Action en octobre dernier, destiné à sensibiliser les malades du sida au risque de coinfection, nous citions une déclaration de Bertrand Sachs, concernant les « risques d’effets pervers » d’une « information étendue au grand public », susceptible de « mauvaise compréhension ». Le 4 janvier 2000, le Directeur de la Santé nous faisait parvenir un courrier nous demandant de restituer la totalité des propos tenus par son chef de projet VHC : à savoir, de faire honneur à son projet de « séminaire de presse », destiné à former des journalistes-relais capables de prendre en charge la communication grand public en matière d’hépatite C. Dont acte : la DGS préfère une campagne appuyée sur « la presse magazine, grand public, féminine, santé, etc. » à une « information grand public systématique » par voie de campagnes d’affiches, etc., dans un contexte où la multiplicité des formes d’hépatites pourrait prêter à confusion et à de mauvaises interprétations. Mais compléter le propos de Bertrand Sachs ne contribuera en rien à justifier le peu d’empressement de la DGS à mettre en acte des projets annoncés depuis un an : si les « séminaire de presse » ne sont prévus que pour « le second semestre 2000 », quand démarrera, de fait, la campagne grand public ? L’alerte a été donnée dans les milieux spécialisés dès 1997. Il aura fallu quatre ans pour que l’information passe au public...

Et il y a plus grave. La même lettre spécifiait noir sur blanc les intentions de cette campagne de la DGS, qui sont, précise le Directeur de la Santé, « d’obtenir tout simplement des articles d’information, ce qui est tout à fait autre chose, qui n’est pas forcément dans le sens d’une campagne de dépistage ». Informer sans doute, mais dépister non. Les virus de l’hépatite C et B relèveraient-ils à ce point de la fiction, qu’on se borne à en parler, et qu’on s’évite d’appliquer le principe de précaution pour les combattre ?

Act Up-Paris exige de la Direction Générale de la Santé un rendez vous rapide avec Mme Gillot et Bertrand Sachs, accompagnés des responsables de l’Institut de Veille Sanitaire, de l’ANRS, de la Direction des Hôpitaux, de l’Agence du médicament et des Division concernées de la DGS. Ce rendez vous devra avoir pour thème unique la coinfection VIH-VHC, et la mise en place d’urgence d’un plan d’action rapide. Son objectif serait de coordonner les informations et les actions, dans un réseau d’administrations qui, malheureusement, ne se semblent pas prendre la mesure d’une épidémie nouvelle, survenant en renfort d’une épidémie de sida encore lourdement présente.

Si nous vous demandions quelles seront les premières victimes, vous trouveriez sans doute la question de mauvais goût. Nous aussi. Mais avec cette différence que, pour nous, il s’agit aujourd’hui de vivre.