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En revenant de Vienne

dimanche 1er août 2010

Lors de la 18e conférence mondiale sur le sida [1], les activistes de différents pays se sont réunis à plusieurs reprises pour manifester sur des questions de propriété intellectuelle face à l’Europe, sur des questions liées à la place des femmes dans l’épidémie, et sur l’urgence d’obtenir de nouveaux traitements pour contrer les co-infections VIH/VHC.

D’après les taux de prévalence, disponibles seulement dans quelques pays, on estime qu’il y aurait de 4 à 5 millions de personnes co-infectées VIH-VHC dans le monde, en tenant compte qu’un continent entier comme la Russie n’a toujours pas de datas valides en la matière. En Europe de l’Ouest, les prévalences de co-infection VHC parmi les personnes vivant avec le VIH varient d’environ 15 % pour le nord de l’Europe, 25 % pour la région centrale dont la France, et va jusqu’à 45 % pour les pays méditerranéens (Italie, Espagne, Portugal). Ces chiffres sont en corrélation avec l’importance de l’injection de drogues comme principal mode de contamination VIH dans ces pays.

Les co-infectés : les plus menacés

En France, l’étude de l’INVS 2004 conclue que les taux de prévalence de co-infection hépatites B et C parmi les séropositifs au VIH sont respectivement de :
 7 % de VIH-VHB, soit environ 10 500 malades, dont 1 800 cirrhotiques environ,
 24,3 % de VIH-VHC, soit environ 36 500 malades, dont 5 200 cirrhotiques environ,
Ce qui représente un total de 47 000 personnes co-infectées en France en 2005, dont 7 000 cirrhotiques (BEH N° 23/2005, du 7 juin 2005). De plus, une enquête récente de l’INSERM a révélé que le nombre de cancers du foie dans la population générale en France, en lien avec l’explosion de l’épidémie d’hépatite B et C, a été multiplié par quatre en dix ans !

Nouvelles molécules : nouvelle hystérie

Des études cliniques menées sur l’humain annoncent déjà l’avancement d’une quarantaine de nouvelles molécules pour lutter contre le virus de l’hépatite C. Les 2 molécules les plus avancées sont le telaprevir et le boceprevir. Ces molécules sont actuellement en phase III, elles ont été développées et sont distribuées respectivement par les laboratoires Vertex => Tibotec et Schering-Plough => MSD.

Génétique contre éthique ?

De récentes recherche ont permis de découvrir un facteur génétique, l’ILB-28, qui différencie de manière cruciale, les bons répondeurs à la bithérapie actuelle PEG-interféron + ribavirine, de ceux qui ont de moindres chances d’obtenir une réponse virologique prolongée, soit une guérison de l’hépatite C. Seulement attention, car même pour ceux et celles qui n’auraient pas ce facteur génétique ILB-28, la guérison reste toutefois possible. Il ne s’agit en aucun cas d’un critère absolu, mais d’un facteur favorisant, ce qui est totalement différent, mais pas pour une industrie pharmaceutique vorace et aux abois.

Il est donc capital de rappeler que les essais avec ces deux nouvelles molécules seront en complément de la bithérapie classique. D’après certaines rumeurs, l’industrie pharmaceutique, afin de viser des résultats de guérisons optimales, n’hésiteraient pas à définir ce facteur génétique comme critère d’entrée impératif pour leurs essais. Ce qui, encore une fois, conditionnerait un essai privé à des critères non éthiques, totalement inadmissibles et contraire à une approche sereine de santé publique, surtout dans une situation de crise mortifère comme celle de la co-infection aujourd’hui.

Essais de sauvetage

Certains laboratoires auraient déjà lancé des essais visant à cumuler plusieurs de leurs nouvelles molécules afin de pouvoir se passer de la bithérapie PEG interféron + ribavirine, évitant ainsi aussi de lourds effets secondaires invalidants. Même si ces essais sont très précoces, ils doivent absolument être développé afin que des personnes co-infectées puissent y accéder rapidement. C’est ce qu’on pourrait appeler une multithérapie compassionnelle pour les malades ayant des « contre-indications » à la bithérapie classique. En triant les meilleures molécules, la mise en place de ce genre d’essai nécessiterait alors de combiner les traitements de laboratoires concurrents. Il paraît essentiel qu’une agence de recherche publique comme l’ANRS doive et puisse mener ces essais, comme elle avait pu le faire à l’aube des trithérapies VIH.

L’engagement des institutions : AFSSaPS et ANRS

Un dossier d’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) de cohorte pour le telaprevir doit être soumis prochainement, mais il exclurait déjà les malades co-infectés VIH-VHC ce qui n’est acceptable. Un dossier d’ATU nominative pour le boceprevir est toujours en cours de discussion.

La décision des ATU devrait aboutir le 9 septembre, lors de la prochaine réunion du groupe « VIH/VHC » de l’AFSSaPS, sur la base d’un résumé des résultats des essais de phase III. Ces ATU concernent l’ensemble des personnes qui en ont besoin, aussi bien mono-infectées VHC que co-infectés VIH-VHC.

La mise à disposition de ces produits serait effective courant septembre, sur la base de plusieurs centaines de lots pour le telaprevir, mais de moins d’une centaine pour le boceprevir. Au regard des 5 200 personnes co-infectées VIH-VHC en cirrhose, ces miettes sont purement scandaleuses.

Les bénéfices au mépris de la vie des malades

Mais face à des arguments fallacieux, il est capital de rappeler que :
 d’une part, ces prescriptions seront évidemment encadrées par des spécialistes aguerris sur les enjeux de nouvelles molécules et les risques de résistances complexes, comme ils le pratiquent depuis 20 ans dans le sida,
 d’autre part, ces nouvelles molécules représentent un enjeu compassionnel essentiel en terme de stratégie de sauvetage pour les personnes co-infectés VIH-VHC et cirrhotiques, soit environ 5 200 personnes en France.

Les laboratoires sont, encore une fois, très frileux pour inclure des personnes co-infectées VIH-VHC. Bien au contraire les critères d’inclusions de ces essais sont draconiens et ne permettent l’entrée que de personnes mono-infectées, sans autre pathologie, sans antécédents, ni complications. Bref des malades exemplaires qui ne perturberont pas des résultats d’essais - vitrines de la recherche actuelle. Des résultats plus complexes seraient perçus comme une entrave à l’image lissée et aseptisé du produit « miracle », que les laboratoires espèrent bien faire gober… à leurs actionnaires.
L’hécatombe se répète…

Aujourd’hui en 2010, les personnes co-infectées se retrouvent dans la même impasse tragique que les séropositifs VIH au milieu des années 1990. De nouvelles molécules existent, mais ils n’y ont pas accès. Et si accès il y a, celui-ci s’adresse à un nombre restreint de malades, triés selon des critères dangereux et encore non exprimés publiquement.

A retenir

Les laboratoires Tibotec et MSD se doivent de mettre rapidement à disposition le telaprevir et le boceprevir pour les personnes co-infectées et comme le demandent l’AFSSaPS et l’ANRS, ainsi que l’ensemble des associations, effectuer des essais avec des personnes co-infectées.


[1Conférence qui s’est tenue à Vienne du 18 au 23 juillet 2010.