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Allitérations juridiques

janvier 2001

La Permanence juridique d’Act Up-Paris a été créée il y a deux ans afin d’aider des séropositifs confrontés à des problèmes sociaux qu’ils ne parviennent pas à régler dans les circuits conventionnels. Son succès témoigne malheureusement des lacunes des dispositifs institutionnels d’aide sociale aux séropositifs.

Le fonctionnement de cette permanence repose sur un triple objectif :

 1. Trouver des solutions aux problèmes individuels en recourant à plusieurs formes d’intervention : informations et conseils, lettres d’appui, menace de médiatisation d’un cas particulier ou même action publique.

 2. Tenter de modifier les pratiques institutionnelles en favorisant l’émergence d’une jurisprudence favorable aux séropositifs.

 3. Recenser les problèmes sociaux rencontrés par les personnes infectées, ainsi que les dysfonctionnements des pouvoirs publics et des administrations.

Le travail de la Permanence a permis d’identifier plusieurs types de problèmes récurrents, notamment avec les COTOREP (Commission technique d’orientation et de reclassement professionnel) et les CAF (Caisses d’Allocations Familiales) [1]. Les difficultés les plus fréquemment rencontrées sont les suivantes :

 Certains prescripteurs sont encore réticents à remplir scrupuleusement les dossiers de demande de prestations COTOREP et négligent régulièrement les handicaps associés à la maladie ou à l’effet des traitements : diarrhées à répétition (alors que les médecins de la COTOREP en évaluent l’intensité au nombre de selles par jour !), migraines, neuropathies périphériques, troubles du comportement et de l’humeur, etc. Pris entre les COTOREP exigeant des informations toujours plus précises et les médecins qui rechignent à remplir ce qu’ils considèrent comme une besogne administrative qui ne serait pas de leur ressort, les malades doivent sans cesse se battre pour bénéficier de l’intégralité de leurs droits ou simplement les conserver. De plus en plus de séropositifs qui souhaitent déposer une demande auprès de la COTOREP se tournent ainsi vers la Permanence juridique [2]. Celle-ci s’assure que le dossier est complet afin que leur soit reconnu un taux de handicap leur permettant de bénéficier d’une aide adaptée. Par ailleurs, la Permanence ne cesse de faire pression sur les COTOREP pour la reconnaissance de la totalité des handicaps liés au VIH.

 Les CAF, quant à elles, semblent travailler en aveugle. Certaines décisions des COTOREP ne leur sont pas transmises, elles suspendent donc des allocations (AAH et APL) sans en aviser les bénéficiaires, elles n’appliquent pas les textes concernant le calcul des ressources, imposent des délais inadmissibles pour l’examen des droits et le paiement d’allocations, etc. La Permanence juridique parvient ponctuellement à remédier à ces dysfonctionnements pour des séropositifs qui la sollicitent et habitent en région parisienne. Mais qu’en est-il des autres malades qui subissent l’arbitraire de ces administrations ?

 70 000 demandes de logements sociaux à caractère prioritaire sont recensées à Paris et 270 000 en région parisienne. Dans ce contexte de forte demande, les personnes reconnues handicapées ne bénéficient d’aucun traitement spécifique facilitant leur accès à un logement. Le nouveau système prévu par la Loi contre l’exclusion n’accorde pas plus d’importance que l’ancien (le POPS) aux critères de maladie et de handicap chez les personnes en situation de précarité. 77 demandes prioritaires non satisfaites ont été soumises à la Permanence depuis sa création. Lorsque, enfin, les demandes sont acceptées, après des mois ou des années d’attente, seuls des logements en lointaine banlieue ou en province sont accordés. Pourtant, la plupart des personnes que nous recevons sont soignées à Paris et devraient être logées à proximité de l’hôpital qu’elles fréquentent. En outre les dysfonctionnements des procédures pour l’obtention d’aides (APL, FSL, etc.) compromettent d’autant plus l’accès au logement pour les personnes séropositives. Et de fait, la permanence Droits Sociaux peine à trouver des issues même ponctuellement. Les élus politiques n’envisagent de solutions qu’au cas par cas - ceux que la Permanence leur présente - sans se soucier d’établir une politique globale d’aide aux malades. Des logements sociaux pourraient pourtant être ouverts sans difficulté à Paris (actuellement, 130 000 appartements parisiens sont libres, mais restent fermés à la location). Le handicap devrait par ailleurs devenir un critère prioritaire d’attribution.

Les étrangers sans-papiers séropositifs sont d’après la loi inexpulsables. Ils obtiennent un droit de séjour et un accès aux soins, mais sont privés de toute source de revenus. En effet, les préfectures ne leur délivrent que des APS (Autorisations Provisoires de Séjour) de trois mois renouvelables, insuffisantes pour obtenir le droit de travailler ou l’ouverture d’une AAH (62 cas ont été traités par la Permanence). Selon la loi Chevènement, ces administrations sont pourtant tenues d’accorder des titres de séjour d’au moins un an. Tant que les administrations n’appliqueront pas la législation, nous ne pourrons trouver que des solutions très provisoires en sollicitant un réseau d’hébergement d’urgence, souvent saturé, et parfois peu accueillant pour des « demi » clandestins.

Le droit du travail est régulièrement bafoué pour les séropositifs : licenciements abusifs déguisés en faute grave, discriminations de toutes sortes à l’embauche (23 dossiers suivis par la Permanence). En outre, les personnes reconnues handicapées qui veulent travailler, mais pas à n’importe quelles conditions, ont le droit de postuler à un emploi aménagé. La loi du 10/07/87 oblige toute entreprise de plus de vingt salariés à respecter un quota de 6% de personnes handicapées dans ses effectifs. Dans les faits, ce quota est très rarement atteint. De ce point de vue, ni les mairies (la permanence suit deux dossiers de licenciement abusif dans des Mairies PC et RPR), ni les Ministères, ni les Collectivités locales ne donnent l’exemple.

L’attitude des DDASS et de certaines associations en matière d’aide à domicile est tout aussi scandaleuse. Volume d’heures d’aide ménagère revu à la baisse sans justification, qualité de prestation parfois minable, personnel mal formé et mal payé : l’aide à domicile ne répond pas aux besoins des malades. Quant aux associations agréées qui gèrent, pour l’État, ce dispositif, elles n’hésitent pas à recourir à des procédures déloyales et illicites : certificats médicaux exhaustifs, interrogatoires poussés sur l’état de santé, fichage du mode de contamination et des préférences sexuelles.

Sans être exhaustif, il reste à signaler : les mises sous tutelle, les difficultés observées depuis la loi sur le PaCS, la CMU qui continue d’exclure de nouveaux malades, les abus pratiqués par certains hôpitaux (facturations indues, transgressions du secret médical sur ses factures, refus de dispensation d’antirétroviraux dans certains services, etc.).

L’existence même de la Permanence juridique et le nombre des sollicitations auxquelles elle doit répondre révèlent l’insuffisance de la prise en charge sociale des personnes séropositives par les pouvoirs publics. Ceux-ci doivent enfin prendre la mesure des problèmes sociaux auxquels la maladie nous confronte et agir en conséquence.


[1Sur 624 dossiers traités, 134 ont concerné des COTOREP et 99 des CAF.

[2Certaines semaines, une dizaine de personnes sont reçues pendant la permanence du mercredi après-midi.