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Les malades, acteurs et actrices de la recherche

vendredi 1er octobre 2004

Durant les mois d’avril et mai 2004, différentes associations membres du TRT-5 et du CHV se sont réunies afin d’apporter une contribution inter-associative à la réflexion nationale sur la réorganisation de la recherche française.

A partir de février 2004, les chercheurSEs françaisES ont protesté contre la réduction des budgets publics. A l’issue du mouvement de protestation, le gouvernement français a accepté l’idée d’une réflexion nationale sur la réorganisation de la recherche française, qui aboutira à une loi de programmation et d’orientation devant s’efforcer d’adapter les structures de la recherche aux défis contemporains. Cette réflexion nationale s’organise en ateliers. En France, les personnes vivant avec le VIH, réunies autour du TRT-5 et du CHV, y ont participé afin d’orienter les débats et ont animé un atelier articulé autour du thème « les malades, acteurs de la recherche ». Nous présentons ici la synthèse des points forts de cet atelier.

Notre démarche s’inscrit dans une dynamique d’extension des principes de Denver, qui constituent l’un des premiers actes de l’activisme associatif des malades du sida.

Il convient d’analyser l’expérience acquise dans le domaine de la lutte contre le sida depuis une quinzaine d’années, pour en tirer des enseignements qui pourraient être transposés à d’autres pathologies (expression des besoins et des droits des malades, partenariat avec les organismes de recherche, etc.). Notre initiative vise à faire en sorte que soient inscrits dans les textes les principes permettant aux personnes atteintes d’être « acteurs de la recherche ».

En appui au législatif

Cette réflexion est menée, d’une part, dans la droite ligne de la réflexion ayant abouti à la loi sur le droit des malades du 4 mars 2002 et, d’autre part, en parallèle avec la réflexion élaborée par les associations de malades à l’occasion du projet de loi de santé publique.

 La loi sur les droits des malades du 4 mars 2002 a placé les patientEs au cœur du système de santé, leur reconnaissant un rôle d’acteur et d’actrice au sein de ce système.
 La loi relative à la politique de santé publique va également dans ce sens : la participation des représentantEs d’usagèrEs du système de santé aux instances d’évaluation (les Comités de protection des personnes, CPP) a été reconnue par l’Assemblée nationale et le Sénat, en avril dernier. Elle doit être définitivement validée durant ce mois de juillet 2004.

Notre atelier « Les malades, acteurs de la recherche » avait pour but d’établir des propositions qui puissent assurer l’entrée des personnes atteintes dans les structures d’évaluation, d’orientation et décision de la recherche qui seront mises en place.

Missions et objectifs

Les associations de malades participant à cet atelier remplissent aujourd’hui trois missions principales :

 elles assurent un soutien et un relais d’information auprès des malades ;
 elles exercent une vigilance éthique en effectuant un travail d’analyse des protocoles de recherche et des notices d’information aux participantEs ;
 elles s’efforcent de faire valoir les besoins des personnes atteintes, ce qui a contribué à la définition de différents axes de recherche. Les exemples de sensibilisation des chercheurSEs aux besoins des malades sont nombreux : co-infections VIH-hépatites virales, lipodystrophies, intégration des femmes dans les essais cliniques, etc.

Il nous semble aujourd’hui particulièrement important que la réorganisation de la recherche consacre aux malades la place qui leur revient, afin de répondre aux besoins exprimés par la société.

Notre société a changé et il faut entendre ses aspirations. Les citoyenNEs désirent s’approprier des savoirs, comme le montre le succès mondial d’Internet. Des dispositifs participatifs avec le monde associatif doivent être développés, notamment au moment des choix budgétaires scientifiques. Ces dispositifs impliquent le déploiement de moyens : le/la représentantE des personnes atteintes doit pouvoir accéder à des formations et à des informations qui lui permettent de mesurer les enjeux des choix à effectuer. Ne serait-il pas possible d’imaginer des enveloppes « formation continue » donnant aux représentantEs les moyens d’acquérir des connaissances pointues ?

Information, transparence et indépendance

La transparence de la recherche fondamentale et biomédicale doit être assurée. Des protocoles de recherche tenus secrets, des avis portant sur l’éthique des recherches cachés au public ne peuvent entraîner que suspicion et défiance. Une base de données des recherches biomédicales, en cours ou terminées, doit pouvoir être consultée facilement et comporter tous les détails nécessaires à l’information des scientifiques, des populations et des personnes atteintes. Les malades souhaitent pouvoir consulter l’information dont disposent les chercheurSEs : la diffusion de l’information ne peut se réduire à une vulgarisation, qui séparerait la communauté des savantEs d’un côté et le reste de la société de l’autre. Une autorité compétente doit pouvoir fournir, à la demande des associations, l’intégralité des protocoles de recherche. Cette instance indépendante sera également compétente pour juger les litiges de diffusion de l’information aux associations.

Aujourd’hui, le/la promoteurE d’une recherche peut refuser la diffusion d’un protocole, qui reste sa propriété, en mettant en avant le secret industriel pour en refuser la mise à disposition. Jusqu’à aujourd’hui, les efforts des associations de malades pour assouplir cet arbitraire sont restés vains. Nous aurions souhaité qu’une instance indépendante, capable de livrer une expertise, juge la validité de cette argumentation. Les associations sont respectueuses des libertés des promoteurEs, mais elles estiment légitimes de connaître le contenu d’une recherche qui implique des malades, ou au moins les motifs de refus d’accès aux protocoles. Tout refus peut être compris comme la tentation de cacher certaines dispositions du protocole et être considéré comme une atteinte à l’éthique scientifique.

Visibilité

Nous souhaitons que la recherche se dote de structures simples et fonctionnelles, affichant des objectifs et des moyens de recherche clairs, avec des interlocuteurs et interlocutrices aisément identifiables. Certaines prises de position publiques envisagent par exemple la suppression de l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS). Il nous semble plus pertinent de montrer comment l’existence d’une agence de moyens comme l’ANRS a permis une collaboration judicieuse et intéressante entre les malades et les chercheurSEs :

 l’agence assure une dynamique de recherche dans la lutte contre le VIH et les hépatites ;
 un réel partenariat avec les associations de malades a été établi ;
 l’ANRS a intégré le modèle du partenariat semi-concurrentiel (exemple : partenariat avec l’Institut Pasteur) ;
 l’ANRS permet une recherche multidisciplinaire (sciences dures et sciences humaines) ;
 l’ANRS coordonne les recherches pour éviter les redondances ;
 l’ANRS a permis la création de réseaux de centres de recherche : un réseau en recherche fondamentale, un réseau de recherche clinique. Lorsqu’un essai est accepté à l’ANRS, l’ensemble des centres investigateurs du réseau peut y participer. Le recrutement des participantEs s’en trouve facilité. L’existence des réseaux autorise de plus l’harmonisation de l’évaluation au cours des essais.

Nous sommes favorables à la constitution d’« agences thématiques » par pathologie, sur le modèle de l’ANRS. Avec ce type de structures, nous bénéficions d’un interlocuteur ou d’une interlocutrice unique dans une même famille de pathologies. Face à ces agences, les associations de malades sont amenées à se fédérer, à l’instar du TRT-5 (groupe de Recherche Thérapeutique sur le VIH) ou du CHV (Collectif Hépatites Virales) dans la lutte contre le sida ou les hépatites. Elles peuvent ainsi espérer développer plus efficacement un partenariat avec les chercheurSEs.

Par ailleurs, il semble qu’il faille se méfier des organisations trop complexes qui ne permettent pas aux personnes atteintes de se faire entendre. Si l’expérience de l’ANRS est enrichissante pour nous, celle de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a, au contraire, valeur de repoussoir par son aspect technocratique et opaque.

Enfin, nous sommes éventuellement favorables à une gestion décentralisée des moyens, articulée autour de campus liés aux universités, si et seulement si notre représentation est assurée auprès d’un interlocuteur ou une interlocutrice identifiéE. Nous ne voulons pas une strate administrative inutile, ajoutée à celles qui existent déjà.

Financement, privatisation et coordination

Nous voulons une loi de programmation des moyens qui permette de sortir des aléas budgétaires. Une recherche d’excellence est une recherche qui se pense financièrement en terme quinquennal ou décennal. Nous ne voulons plus assister à l’assèchement des budgets de l’ANRS d’une année à l’autre, obligée de sacrifier un appel d’offres VIH pour l’année 2004. La précarisation des moyens est un facteur de fragilité qui nuit à la société et aux malades en particulier. C’est la crise financière qui alimente la crise de reconnaissance et d’identité de la recherche française.

Nous refusons de voir la recherche publique sacrifiée au profit des logiques industrielles privées. Nous savons par expérience que les logiques financières des entreprises privées ne répondent pas nécessairement aux besoins des malades. Nous devons parfois établir des rapports de force avec les groupes industriels pour faire reconnaître des droits simples (droit à la santé ou à l’accès aux médicaments). Les logiques privées demeurent souvent secrètes et les malades se trouvent dessaisiEs des perspectives qui les concernent au premier chef. Il faut assurer à la France et à l’Europe une autonomie en matière de recherche publique.

Nous proposons la création d’instances européennes chargées de la coordination des projets de recherche. Les missions de ces instances seraient précisément définies (par domaine de recherche par exemple : recherche biomédicale, recherche en agronomie, etc.).

Prenons l’exemple de la recherche vaccinale dans le domaine du VIH. Actuellement, plusieurs acteurs et actrices sont impliquéEs en France et en Europe : l’ANRS, l’International aids vaccine initiative (IAVI), European vaccine effort against HIV (EuroVac), etc. L’objectif affiché d’IAVI est de réunir un maximum de fonds pour trouver un vaccin préventif. Un des objectifs de l’ANRS est de faire travailler les chercheurSEs françaiSEs sur le vaccin préventif, pour promouvoir la recherche française. Nous déplorons le fait que l’ANRS et IAVI ne communiquent pas entre elles, car les recherches en doublon sont une perte de temps et de moyens. A l’heure actuelle, il n’existe aucune structure européenne permettant de coordonner la recherche vaccinale.

Représentation des malades

Si nous sommes conscientEs de l’excellence de la recherche française, nous sommes aussi conscientEs de ses faiblesses. Ainsi, la recherche en chimie thérapeutique est défaillante en France. C’est pourquoi il est indispensable de développer une recherche publique européenne puissante qui garantira notre indépendance face aux majors et autres firmes pharmaceutiques américaines, et qui assurera la coordination et la promotion des projets.

Les instances mises en place pourraient gérer un budget européen important et, sur le modèle de la Politique agricole commune (PAC ), fonder une Politique de recherche commune (PRC).

Actuellement, les « forums de malades » européenNEs, censés représenter les intérêts des personnes atteintes, nous semblent plutôt dévoyés aux intérêts privés. Subventionnés par les groupes pharmaceutiques, ils n’assurent pas une représentation correcte.

Nous pensons qu’il est nécessaire de définir un fonds européen qui permettrait à une fédération européenne de malades de voir le jour.

Cette fédération de malades devrait s’organiser par pathologie : nous aurions ainsi un groupement représentant les personnes vivant avec une hépatite virale, un autre les personnes vivant avec le VIH, etc. Les membres de ces groupements devront être issus d’associations nationales de personnes atteintes et veiller à ne pas tomber dans le piège de la professionnalisation de la représentation des malades. Ils et elles seraient amenéEs à collaborer avec les instances de recherche européenne.