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Coinfections

juin 2001

Les laboratoires Glaxo-SmithKline (GSK) organisaient leur 5ème Journée « Avancées VIH », le 17 mai 2001 au Pavillon d’Ermenonville à Paris. C’était la première conférence française d’une journée, intégralement consacrée aux coinfections VIH/Hépatites. A cette occasion les organisateurs ont demandé à tous les médecins invités de bien vouloir remplir un questionnaire. Nous vous présentons ici les résultats de cette « Enquête pratique/opinion sur la prise en charge des co-infections VIH/Hépatites ».

Buts de l’enquête

Cette enquête cherche à documenter, selon que le praticien est infectiologue (INF) ou hépatologue (HEP), les points suivants :
 Nombre de patients suivis
 Dépistage de coinfections et vaccinations hépatites
 Modalités de prise en charge des patients coinfectés VIH/Hépatites
 Nombre de patients décédés par hépatite
 Accès à la transplantation hépatique

Le nombre de réponses au questionnaire, rapporté au nombre total de praticiens par spécialité en France, est de :
 139 sur 900 (soit 15.4%) pour les infectiologues (INF)
 28 sur 60 (soit 46.6%) pour les hépatologues (HEP)
Sur les 167 médecins ayant répondu, les infectiologues (83%) sont 4 fois plus nombreux que les hépatologues (17%).

Répartition des patients coinfectés VIH/hépatites

Population de patients suivis selon la spécialité du médecin :
 VIH+ : 19 764 suivis par des infectiologues (INF)
 VHC+ : 13 300 suivis par des hépatologues (HEP)
 VHB+ : 1 984 (HEP)
 VIH/VHC : 4 779 (INF) + 911 (HEP), soit 5 690 co-infectés VIH/VHC
 VIH/VHB : 1 371 (INF) + 337 (HEP), soit 1 708 co-infectés VIH/VHB
 VIH/VHC/VHB : 625 (INF) + 128 (HEP), soit 753 co-infectés VIH/VHB

Sur un total de 43 199 patients, 65% (n=27 915) sont touchés par le VIH et 54% (n=23 435) par au moins une hépatite. Les 8 151 patients coinfectés (19% du total) représentent 29% des personnes touchées par le VIH et 35% des personnes touchées par au moins une hépatite.

Il faut noter que ces chiffres ne sont pas représentatifs de la population totale concernée. Les hépatologues étant sous représentés (17% des médecins), on peut imaginer que les patients VIH coinfectés par une hépatite le soient aussi (29% des patients VIH+). En outre, on peut noter qu’aucun patient VHC-VHB ne figure dans cette enquête.

File active des médecins

Nombre de patients suivis en moyenne selon la spécialité du médecin :
 VHC : 475 patients / hépatologue (50 - 2000)
 VHB : 71 patients / hépatologue (4 - 350)
 Moyenne théorique hépatites virales : 546 patients / hépato.
 VIH : 128 patients / infectiologue (7 - 600 )
 Moyenne théorique totale : 259 patients / médecin

Ces données laissent penser qu’il n’y aurait pas assez d’hépatologues aujourd’hui pour prendre en charge correctement le nombre de patients atteints par une ou plusieurs hépatites virales. Du moins, compte tenu des différences de files actives (nombre de patients/médecin) indiquées dans cette enquête, on peut craindre que la qualité du suivi s’en ressente lourdement - les hépatologues suivraient environ quatre fois plus de patients que les infectiologues. A fortiori puisqu’il s’agit de patients co-infectés VIH-hépatites.

Proportion de patients coinfectés dans la file active de chacune des spécialités de médecins :

infectiologues (avec les écarts types) :
 VIH-VHC : 27.1% (3-100)
 VIH-VHB : 8.2% (0-63)
 VIH-VHC-VHB : 4.2% (0-50)
 Total des patients co-infectés chez les infectiologues : 39.5%

hépatologues (avec les écarts types) :
 VIH-VHC : 12.5% (0-67)
 VIH-VHB : 19.7% (0-75)
 Total des patients co-infectés chez les hépatologues : 32.2%

Les patients VIH-VHB sont surreprésentés chez les hépatologues. Ceci est compréhensible, compte tenu des difficultés à connaître tous les marqueurs de l’hépatite B et donc à pouvoir en assurer un suivi compétent. Aujourd’hui, si l’hépatite B aiguë est une maladie à déclaration obligatoire, il n’y a toujours qu’un plan national de lutte contre le VHC. De plus, la coinfection VIH-VHB est certainement celle qui nécessite un suivi plus draconien, quand on connaît les risques de rebonds de la charge virale VHB et les multiples causes en jeu, les risques de mutation et d’échappement thérapeutique du virus, souvent associés à des hépatites sévères. Suite à une pression inter associative (TRT-5, SOS hépatites et TransHépate) soutenue par de nombreux médecins, l’ouverture d’une ATU pour l’adéfovir dipivoxil - la seule molécule efficace aujourd’hui dans ce cas de figure - a été promis par le laboratoire Gilead pour fin juin au plus tard.

Chez ces hépatologues et ces infectiologues, au total environ 30 à 40% des patients suivis sont coinfectés VIH/hépatites. Plusieurs enquêtes confirment que depuis trois ans la proportion des patients coinfectés est en hausse dans tous les services hospitaliers. Nous subissons aujourd’hui les premières conséquences majeures en terme de coinfection, du croisement des deux épidémies : celle du VIH/sida et celle du VHC/hépatite C. Les autres coinfections ne sont cependant pas à sous-estimer.

Préoccupation des médecins et des patients vis à vis des co-infections

73% des infectiologues et 85% des hépatologues se déclarent très préoccupés par les coinfections VIH/hépatites virales. D’après leur médecin, les patients consultant en hépatologie sont également inquiets dans la majorité des cas (65%).

Par contre, d’après les infectiologues, seulement un tiers de leurs patients se sentent concernés par les problèmes de coinfection. Ce alors que les dernières études estiment aujourd’hui que plus de 40% des séropositifs VIH sont aussi coinfectés par une ou plusieurs hépatites. Ceci peut s’expliquer parce qu’au cours des dix années de suivi VIH avant l’arrivée des trithérapies l’état de santé des patients se dégradant rapidement ne permettait pas de détecter les problèmes d’hépatites, autres que médicamenteuses, et de s’en préoccuper. Les dix ans de priorité sur le VIH chez les médecins ont malheureusement pour conséquence une importante démobilisation des patients séropositifs vis-à-vis des problèmes hépatiques. Pour de nombreux patients coinfectés, le déni qu’ils ont dû affronter en réponse à leurs demandes d’examens hépatiques, les a fait renoncer.

Les séropositifs VIH doivent prendre conscience de l’importance du dépistage des hépatites virales, de la vaccination contre l’hépatite A et B. et de la nécessité de la biopsie hépatique ; les résultats à cet examen permettant d’envisager une programmation, si nécessaire, des deux traitements en simultané, VIH et hépatite C ou B. Pour des patients coinfectés, l’annonce de l’urgence d’une mise sous traitement antiviral hépatique doit être accompagnée, en veillant surtout à ne pas déséquilibrer ou fragiliser la compliance au traitement VIH.

Nombre de patients décédés par hépatite

Dans cette enquête, la part des décès liés aux complications des hépatites, parmi les décès des patients VIH, est de 30% chez les infectiologues, et 15% chez les hépatologues.

En matière de coinfection VIH-Hépatites, peu de médecins ont pu se former sur les deux spécialités. Le suivi des deux praticiens est nécessaire pour garantir un suivi complet et adapté, et, puisqu’il est préférable qu’un même spécialiste n’assure pas les deux aspects, ils ont la responsabilité de se cooordoner entre eux. C’est pourquoi les hépatologues doivent être plus impliqués et sollicités pour un travail interdisciplinaire avec les infectiologues. Ce d’autant plus qu’aujourd’hui les recommandations thérapeutiques en la matière ne sont qu’en cours d’élaboration. Pourtant, bien souvent face à l’incapacité des médecins à s’organiser entre eux, le patient doit choisir entre les deux spécialistes celui qui se chargera du travail de coordination ou encore s’y affronter lui-même.

Sur le nombre total de patients VIH suivis, la part de décès des patients VIH est de 1.3% chez les infectiologues et de 21.7% chez les hépatologues. Certes la plupart des patients coinfectés ont un pronostic vital moindre, comparé aux séropositifs VIH. Toutefois, ces chiffres sont aussi le triste reflet de l’investissement tardif des hépatologues dans le suivi de patients sous traitement antirétroviral VIH et du manque de réaction des infectologues qui pouvaient les alerter. Il aura fallu attendre les bénéfices des trithérapies et l’émergence des problèmes de coinfection, pour que cette spécialité soit mobilisée. Parmi les deux spécialistes, lequel n’a pas su entendre ses patients ?

Modalités de prise en charge des patients co-infectés

L’un des objectifs de l’enquête était de documenter selon quelles proportions :
 les infectiologues prennent en charge l’infection virale hépatique des coinfectés
 les hépatologues prennent en charge l’infection VIH des coinfectés

Selon les infectiologues, la prise en charge de l’hépatite chronique des patients VIH est confiée intégralement à un hépatologue, dans 18% des cas. Elle est effectuée conjointement avec un hépatologue dans 48% des cas. Les infectiologues prennent eux-mêmes en charge les coinfectés dans 34% des cas.
Selon les hépatologues, la prise en charge de l’infection à VIH est intégralement confiée à un infectiologue dans 82% des cas. Les hépatologues prennent eux-mêmes en charge les coinfectés dans 18% des cas.

Il est clair que le travail multidisciplinaire n’est pas encore une règle d’or dans la pratique, notamment pour les infectiologues. La compétence et la formation des médecins prenant en charge de façon globale des patients coinfectés, sont des enjeux majeurs à réévaluer en permanence.

Dépistage et vaccination

Le dépistage des hépatites B et C est proposé systématiquement à tous les patients séropositifs, par 99% des infectiologues, selon leurs déclarations. Par contre, le dépistage du VIH n’est proposé que par 81% des hépatologues. Les 19% restant n’ont pas encore compris que l’efficacité des antirétroviraux et l’épidémie d’hépatite C n’ont pas enrayé la propagation du VIH ?

Les vaccinations contre l’hépatite A et B sont plus systématiquement proposées par les hépatologues que par les infectiologues. La vaccination contre le VHB est plus souvent proposée que celle contre le VHA. Nombre de patients et de médecins doivent encore sous estimer les risques du VHA chez les coinfectés VIH-VHC partant en voyage dans une zone endémique. Certaines études concluent pourtant à des risques majeurs d’hépatites fulminantes, dans ce contexte de surinfection.

La vaccination contre le VHB est proposée plus fréquemment en cas de facteurs de risques reconnus, qu’en cas d’hépatite chronique, VHC par exemple. Pourtant il est indispensable que des patients déjà touchés par le VIH, voire même coinfectés par une hépatite virale, puissent avoir accès aux vaccinations VHA et VHB. Une recherche d’anticorps anti-VHA et/ou VHB négative devrait être un motif suffisant pour proposer systématiquement un recours préventif à la vaccination.

Utilisation des examens virologiques des hépatites

Trois examens ont été documentés :
 ARN-VHC, charge virale de l’hépatite C
 Génotype du VHC (important pour l’évaluation d’une mise sous traitement)
 ADN-VHB, charge virale de l’hépatite B

Les hépatologues prescrivent systématiquement des PCR de charges virales VHC et/ou VHB. 16% d’entre eux ne recherchent pas le génotype du VHC, malgré les demandes des patients.

De façon aberrante, les infectiologues ne doivent pas encore être convaincus de l’utilité d’une charge virale en cas d’hépatite chronique, puisque 5% y renoncent pour le VHC, et 18% pour le VHB. Quand au génotype VHC, ils y renoncent pour 41% d’entre eux, n’étant peut-être pas prêts à accepter ce que les hépatologues appellent, si facilement, les patients « non-répondeurs ».

Biopsie hépatique

Les principaux critères pour proposer une biopsie du foie sont, pour les hépatologues comme pour les infectiologues :
 la discussion du traitement de l’hépatite
 l’élévation des transaminases
 la réplication virale

En effet, si chez les personnes touchées par les hépatites, une élévation des transaminases reste significative d’atteintes et de lésions du foie, par contre en présence du VIH, notamment, il a été démontré que plusieurs coinfectés VIH/hépatites, ayant toujours eu des taux de transaminases normaux, avaient pourtant un résultat de biopsie démontrant une cirrhose. Donc pour les coinfectés, il faut admettre qu’aujourd’hui encore, la biopsie hépatique reste hélas, le seul outil diagnostic fiable - bien qu’il s’agisse d’un acte invasif nécessitant une hospitalisation.

Pour les hémophiles ne pouvant pas bénéficier d’une biopsie, plusieurs solutions sont en cours d’évaluation - dont le Fibrotest®, promu maladroitement, à grands renforts de médias, par le Dr Poynard. En cas de contre-indication totale à la biopsie hépatique, certains marqueurs biologiques permettraient d’évaluer si la fibrose est modérée (score Métavir < A2-F2) ou supérieure. Il ne s’agit en aucun cas d’un test biologique permettant d’atteindre la précision et la fiabilité des résultats fournis par une biopsie hépatique. Il ne s’agit que d’un pis-aller, pourtant indispensable dans certaines situations délicates afin d’envisager une mise sous traitement.

Seuls 10% des médecins proposent systématiquement la biopsie hépatique, avec comme seul critère, une hépatite virale chronique dont il faut évaluer l’état clinique. Seule une deuxième biopsie pourra, par la suite, donner un ordre d’idée relatif, de la vitesse de progression de ces lésions sur le foie.

Une révolution a pu être faite dans la prise en charge du VIH, par l’invention de la technique d’amplification génétique (PCR). En matière de diagnostic d’hépatite virale, l’outil de cette révolution n’a toujours pas été inventé.

Conclusion

Dans de nombreux pays, Italie, Espagne, Portugal, Grèce, les médecins ont publié des données indiquant également une augmentation dramatique des problèmes liés à la coinfection depuis quatre ans. En France, le Ministère de la Santé doit désormais répondre par des mesures concrètes aux nombreuses alertes que nous lui adressons depuis trois ans.