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La violence aux mains du G8

septembre 2001

Manifester à Gênes fut pour nous une évidence.
Nous devions être présents au sein du mouvement de contestation internationale quand le G8 inscrivait pour la première fois à son agenda la question du sida.

Ce que nous avons vu pendant ces quatre jours, c’est une ville assiégée et en état de guerre, ce sont une armée et des forces de l’ordre sûres d’elles, prêtes à tout et autorisées de tout, dans un climat de terreur un peu plus tendu chaque jour, destiné à faire taire les manifestants par l’intimidation et l’humiliation. Quelle marge de manœuvre reste-t-il face à des militaires qui chargent une manifestation de 300 000 personnes, simplement parce qu’ils l’ont décidé, qui gazent pendant des heures entières les cortèges, qui frappent sans raison manifestant, journaliste, infirmier, avocat se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment ? Que faire face à des policiers qui arrêtent aux urgences hospitalières ceux qui ont été blessés pendant la journée, qui gazent aux lacrymogènes les lieux de discussion, qui encerclent des centres sociaux d’hébergement pour empêcher les manifestants de défiler, et vont jusqu’à torturer lors des arrestations ?

Pendant quatre jours nous avons résisté. La meilleure façon d’affirmer notre droit et notre légitimité à remettre en cause la tenue d’un tel sommet là où il se tient était encore d’être présent, de continuer à sortir dans la rue, de continuer à fréquenter les lieux de rassemblement, d’écrire des communiqués de presse, de donner des interviews. Nous n’étions pas dans la violence. Les forces de l’ordre, oui. Elles ont tué Carlo Giuliani et blessé des centaines de manifestants. Cette violence policière n’était pas un dérapage. Elle était la conséquence d’un certain type de mise en scène du pouvoir et d’organisation de la décision. Aux associations et à tous les groupes mobilisés, la rue et l’affrontement avec la police ; aux dirigeants des plus grandes puissances économiques, le lobby feutré et l’entre-soi de la prise de décision.

La faiblesse et la pauvreté du Fonds mondial contre le sida disent la vérité de ce genre d’événement : il ne s’agit que d’une parodie de négociation et de proposition. Les associations de lutte contre le sida qui se battent pour un accès aux médicaments génériques dans les pays du Sud n’ont pas été entendues. Les Etats du G8 ont annoncé que leur participation au Fonds mondial pour la santé se limiterait pour l’heure à un milliard de dollars contre les dix milliards qui avaient été fixés par Kofi Annan. Le débat que posent l’accès à la santé et aux médicaments et le maintien de la propriété intellectuelle dans les pays pauvres, a été éludé comme il l’avait été lors de la Session Spéciale des Nations Unies (UNGASS).

Voilà ce que font les Etats du G8 : ils ignorent, d’un côté, les 40 millions de personnes atteintes par le sida dans le monde, qui sont pour la plupart en train de mourir faute de pouvoir se soigner, et frappent, de l’autre, les milliers de personnes venues exprimer à Gênes leurs désaccords avec ces politiques mondiales.

L’accès aux médicaments dans les pays du Sud est mortellement ralenti parce que les Accords ADPIC (TRIPS) de l’OMC ne garantissent pas, en l’état, les droits des pays pauvres face aux multinationales. Parce que ces textes de l’OMC, censés régir le monde, ont été rédigés en 1994 par les pays riches et après une très maigre consultation des pays pauvres. Un gouffre est en train de se creuser entre les pays riches et l’Amérique Latine, l’Afrique et l’Asie du Sud. Et lorsque les huit pays les plus puissants du monde se réunissent à huis-clos, il faudrait de nouveau se taire. Ou bien ne pas s’étonner de la répression.

Aujourd’hui, les malades des pays en développement doivent pouvoir bénéficier de l’intégralité de la palette thérapeutique anti-VIH/sida à prix coûtant dans les meilleurs délais. L’urgence à traiter les millions de personnes atteintes dans ces pays impose de multiplier rapidement les sources de production de médicaments génériques et de développer les échanges Sud/Sud. La charité ponctuelle des grands laboratoires de marques n’est pas une solution : elle revient à prendre en otage les malades du Sud, tributaires du bon vouloir de compagnies privées, démunis à nouveau dès le premier échec thérapeutique.

Une réelle prise de conscience de la gravité que représente l’épidémie de sida imposerait un décuplement immédiat de l’aide bilatérale aux programmes de prise en charge globale des personnes vivant avec le VIH/sida dans les pays en développement, la mise en œuvre dans les plus brefs délais du plan d’action de l’Union européenne pour la lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria (plan qui n’est toujours pas budgété), un soutien financier et technique massif aux politiques du médicament ciblant notamment les génériques. Nul besoin pour cela de créer une nouvelle structure internationale à grand renfort de publicité.
L’une des priorités de la lutte contre le sida, à l’heure actuelle, est le lancement d’un appel d’offre international ouvert aux fabricants de copies permettant l’achat des traitements au plus bas prix par la réalisation d’économies d’échelles et la mise en concurrence des producteurs. Le financement d’une telle opération ne nécessite pas la création d’un Fonds global et omnipotent, mais d’un simple programme au sein d’un organisme existant (comme l’UNICEF en a l’expérience).

Le Fonds a été agité par les états du G8 comme la caution de leur engagement dans la lutte contre le sida. La question, pourtant cruciale, de la propriété intellectuelle n’a pas été abordée et c’est la défense des intérêts des industries pharmaceutiques qui l’a à nouveau emporté.

Qu’on ne nous dise pas que les manifestants présents à Gênes sont à l’origine du déchaînement de la violence lors de la conférence. Nous étions venus pour dénoncer la politique criminelle du G8 en matière de lutte contre le sida. Il est des violences bien moins spectaculaires qu’une voiture en feu mais bien plus meurtrières.