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Chroniques de Toronto (5) : manifestation à tous les étages

mercredi 16 août 2006

Open your purses / We need more nurses

Le planning des sessions et des actions est très chargé. Nous rejoignons d’abord des activistes américainEs d’Health Gap, des Act Up New York et Philadelphie, ainsi que de l’American Medical Student Association (AMSA). Une de leur priorité est de pointer le manque de professionnelLEs de santé dans les pays du Sud. Au moment de l’intervention du docteur Mark Dybul, responsable du programme sida américain, nous nous levons, hurlons des slogans : « Fight Aids / What’s the key / Healthworkers in each country » et « Open your purses / We need more nurses ». Nous brandissons des pancartes, et, plus original, des blouses blanches vides, dont certaines sont remplies de ballons gonflés à l’hélium : cela donne le sentiment d’avoir des « médecins invisibles ». Il est cependant dommage que l’action s’arrête rapidement, sans interpellation de Dybul sur le sujet.

Abbott un jour ...

C’est qu’il faut faire vite. Nous avons prévu de réoccuper le stand d’Abbott, qui s’est avéré la veille un lieu de rencontres, de visibilité et de travail particulièrement efficace. Nous sommes une trentaine, de tous les continents. On y trouve de nouveaux et nouvelles activistes : un malaisien, des coréenNEs, des indienNEs, etc. Alors que nous commençons notre travail d’appropriation, nous somme sollicitéEs par le « Community Liaison Officier », qui assure l’interface entre les activistes et les autres interlocuteurRICEs de la conférence. Il nous indique que les représentantEs de l’IAS ne toléreront pas une deuxième journée d’occupation.

... sécurité toujours

Une réunion rapide est organisée avec la direction de la conférence. Nous sommes très en colère : on nous demande de respecter des règles de sécurité qui nous privent de nos armes en nous empêchant de bloquer une propriété privée. Mais le stand d’Abbott a été abandonné : nous ne transgressons donc aucune règle en le faisant nôtre. Pire, nous avons l’impression d’être les seulEs à respecter la politique de sécurité. En effet, celle-ci ne cesse d’en appeler à la nécessaire « liberté d’expression » pour interdire aux activistes d’interrompre une session. C’est la raison pour laquelle le zap sur le docteur Mark Dybul a été si court et si « poli ». Or, alors que nous faisons preuve de bonne volonté et respectons les règles - quitte à être moins visibles et moins efficaces - Abbott a, la veille, muselé la liberté d’expression d’une manière particulièrement odieuse en interdisant à un journaliste américain d’une chaîne de télévision nationale de rentrer pendant notre zap. Or, les responsables de la conférence n’ont pas réagi.

Nous faisons valoir tous ses arguments auprès de Mats Ahnlund, directeur de la conférence, en indiquant que nous sommes prêtEs à aller au clash s’il le faut - nous resterons sur le stand. Un compromis est trouvé et nous pouvons rester. Mais visiblement, les organisateurRICEs de la conférence, qui ne sont a priori pas des ennemiEs, sont soumiSEs à d’intenses pressions, des représentantEs politiques, des labos et aussi des responsables du Palais des Congrès. Rien de nouveau, mais comme le Canada est un pays qui se prête bien à de nombreuses, fastidieuses et coûteuses procédures juridiques, les responsables de la conférence semblent prêtEs à tout pour les éviter. Alors qu’ils et elles ne cessent de louer les vertus de l’activisme, les représentantEs de l’IAS ont donc choisi de nous empêcher d’agir. Cette politique oblige à des négociations constantes avec les divers services de sécurité.

Oncle Sam

C’est à 13 heures que commence une manifestation sur les accords bi-latéraux (en anglais Free Trade Agreement, FTA) imposés par les Etats Unis aux pays du Sud. Le Maroc, le Chili, Singapour, ou le Bahreïn en ont déjà conclu ; la Thaïlande, la Malaisie ou encore les Emirats Arabes Unis sont en négociation. Ces accords contiennent des clauses qui bloquent totalement les possibilités de produire ou échanger des médicaments génériques. Il s’agit donc là d’une véritable menace sur l’accès aux traitements - et les Etats-Unis jouent ici le rôle de VRP de l’industrie pharmaceutique détentrice de brevets.

La manifestation commence sur le stand d’Abbott. Un militant d’Act Up-Paris, déguisé en Oncle Sam, pointe avec un fusil en plastique des représentantEs de divers pays, qui portent leur drapeau national sur leur dos. La procession se déplace jusqu’au stand du PEPFAR et du gouvernement US, où Oncle Sam braque les militantEs les unEs après les autres, alors qu’elles et ils scandent « US Stop the FTA » ou « FTA kill people with Aids ». Puis la marche reprend : nous sortons de l’ Exhibition Room où se trouvent les stands pour parcourir les divers étages du MTTC. A la sortie d’un escalator, un policier, main sur l’arme accrochée à sa hanche, lunettes de soleil et chewing gum mâché ostensiblement, fait irruption et arrache des mains d’Oncle Sam le fusil en plastique, affirmant que la sécurité avait accepté l’utilisation d’une arme en plastique tant qu’elle n’était pas pointée sur les gens... Oncle Sam essaie d’expliquer qu’il s’agit d’un fusil en plastique, ce que seul ce policier n’avait pas remarqué, et qu’il était difficile de symboliser le menace américaine en pointant l’arme vers le bas. Après une fastidieuse négociation, où Oncle Sam et le community liaison officier ont failli se faire arrêter, et où la cinquantaine de militantEs ont scandé « shame », la manif peut repartir jusqu’à la salle des médias. Du haut de la passerelle qui la surplombe, nous déployons une banderole : « FTA : Death Under Patents » (FTA : Mort sous Brevets) et improvisons une conférence de presse où interviennent des représentantEs du Maroc, de la Thaïlande, de la Malaisie et de nombreux autres pays.

Afrique du Sud : une politique négationniste et criminelle

Le temps de ranger tout le matériel, il faut déjà suivre une autre manifestation : celle des activistes de TAC (Treatment Action Campaign), en Afrique du Sud, qui va occuper le stand de son gouvernement, pour en dénoncer la politique négationniste . Manto Tshabalala-Msimang, la ministre de la Santé, prétend toujours que le VIH ne cause pas le sida, que les ARV sont inefficaces, et qu’une alimentation saine, accompagnée d’un traitement à base d’ail et de jus de citron, permet de contrôler la maladie... L’occupation mêle colère - slogans, prise de parole vigoureuse et spontanée, die-in - et joie -musique et danses zoulous. Sur tous les murs du stand, le gouvernement tente de jusitifier son inaction et ses positions, en prenant comme responsables de la situation les malades eux et elles-mêmes, ainsi que les journalistes, accuséEs de détourner les propos de la ministre...