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Chroniques de Toronto (6) : éthique

jeudi 17 août 2006

Recherche & éthique

Au cours de la semaine, nous avons été très présentEs sur les questions de l’éthique dans les essais. Plusieurs rendez-vous ont eu lieu sur la questions des tests sur les traitements préventifs. Nous avons eu deux présentations de poster sur le travail mené en collaboration avec le TRT-5 sur la réforme de la loi Huriet, en France ; ainsi que sur notre plaidoyer pour une recherche plus attentive aux besoins des séropos, et donc plus efficaces, en matière de nouvelles molécules, avec les anti-CCR5. A Bangkok, nous avions été accuséEs par de nombreuses personnes, y compris des activistes, de vouloir freiner la recherche, parce que nous avions combattu les conditions inéthiques de l’ essai sur des travailleuses du sexe, cherchant à prouver l’efficacité préventive du ténofovir. À Toronto, le vent a tourné et la majorité des déléguéEs est sensibilisée à ce sujet. Notre travail depuis deux ans n’y est pas étranger.

Cela n’empêche pas les essais inéthiques de continuer. Ce jeudi midi, dans les Late Breakers (présentation de dernière minute), un investigateur présentait les résultats provisoires d’un essai particulièrement horrible, DART, sur lequel nous reviendrons longuement. Nous avons appris cette nouvelle la veille, tardivement, et il nous est impossible de mobiliser en si peu de temps nos alliéEs. Nous cherchons à contacter des activistes d’Ouganda et du Zimbabwe, car il est difficile de faire une action sur le sujet sans la voix des premièrEs concernéEs. Un militant ougandais nous répond, mais il est trop fatigué pour se déplacer. Nous réduisons donc l’action à sa plus simple expression. Dans la salle des réunions plénières, devant plusieurs milliers de personnes, nous déployons une énorme banderole « shame » devant la scène, qui restera pendant toute l’intervention de l’investigateur.

Afrique du Sud & Russie

Deux heures avant, dans cette même salle plénière, avait eu lieu une session sur les activistes des pays du Sud. Le premier intervenant, un militant sud-africain de TAC, fait monter une vingtaine de personnes sur l’estrade ; il s’en prend ouvertement à la ministre de la santé sud-africaine, présente dans la salle, et huée par le public. Juste après lui, parle Sacha Volgina, de Frontaids, sur la situation de la Russie. C’est la première fois qu’une malade russe s’exprime en plénière d’une conférence internationale sur le sida. Même si l’activisme, dans ses formes traditionnelles de zaps et de désobéissance civile, semble s’être essouflé dans cette conférence, on ne peut faire autrement que de s’étonner de la reconnaissance que les organisateurs de la conférence lui accordent dans le programme et dans la composition des pannels de personnes intervenant dans les sessions.

IAS & sécurité

L’IAS qui est responsable de la conférence n’a pas les mêmes égards dès qu’il s’agit de nos zaps. La salle des stands, l’exhibition room, est depuis son ouverture gardée par du personnel de sécurité, mais aussi par des policièrEs arméEs, qui fouillent minutieusement les sacs, à la recherche de pancartes, de faux sang. On craint des zaps sauvages de stands de labos ou du gouvernement américain. Ce contrôle provoque une queue impressionnante, et met hors d’elles les personnes venues poser leur poster. En matière de relations avec les déléguéEs, l’IAS a bien joué...

À Bangkok, à cause de la dictature militaire, on voyait des policièrEs arméEs à l’extérieur du centre de la conférence. Les responsables de l’IAS ont réussi le tour de force de faire rentrer des armes dans une conférence qui se tient dans un pays démocratique. Le message est très fort : l’IAS protège l’image des labos avec des révolvers. Big Pharma, et les personnes qui estiment qu’elle est un partenaire loyal et sûr dans la lutte contre le sida, n’ont-ils/elles donc aucun autre argument pour répondre à nos questions ?

Dans ces conditions, nous n’envisageons pas de zaps, même s’il aurait été facile de faire passer du faux sang, par exemple en le versant dans des gobelets à café fermés, qui n’étaient pas vérifiés. Peut-être qu’après avoir lu ces lignes, l’IAS demandera le contrôle des boissons à l’entrée de la conférence de Mexico en 2008. Quand ces gens comprendront-ils que toute nouvelle mesure de contrôle appelle un moyen de l’éviter, et que nous pourrons toujours trouver des dizaines de solutions aux problèmes qu’ils et elles nous posent, parce que nous sommes nombreuxSES, imaginatifVEs, et parce que nous avons raison ?
Mais faute de temps, et vu les difficultés dans un lieu si vaste de mobiliser rapidement du monde, nous devons annuler nos projets d’action. Les responsables de la conférence ont tenu leur pari : les stands des labos sont propres, celui des États Unis aussi. Mais quel est le prix politique que l’IAS devra payer ?

Abbott & l’absence

Il reste donc à se concentrer sur l’objectif premier de cette conférence : faire pression sur Abbott. La manifestation interassociative organisée dans le Village Global parachève toutes les actions organisées pour dénoncer le laboratoire. « Where is Abbot ? », crient les manifestantEs thaïs, japonaisES, coréenNEs, françaisES, du Maghreb, de l’Amérique du Sud et du Nord, d’Afrique du Sud, etc. CertainEs tiennent des grosses loupes en carton pour chercher les gens du laboratoire. D’autres dansent sur des chants zoulous. La marche va jusqu’au centre média. Devant les journalistes, Miss Heat Stable entame sa chanson, qui en deux jours, a fait le tour de la conférence. Elle est accompagnée d’une activiste trans indienne, et les choeurs des militantEs résonnent dans toute la salle médias. Puis une conférence de presse est organisée pour présenter aux journalistes tous les griefs que nous avons contre Abbott. Le laboratoire a décidément eu une bien mauvaise idée en jouant la politique de la chaise vide.