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AG des femmes

femmes et sida : nous sommes vivantes et belles

mai 2000

La commission femmes d’Act Up organisait le 28 mars 2000 une Assemblée Générale sur le thème « Femmes et sida » à laquelle avaient été invitées les associations et individuEs qui se reconnaissent dans la lutte pour les droits des femmes et/ou dans la lutte contre le sida. L’enjeu était de mettre en place une réflexion collective et une dynamique de travail plus offensive. Plus de 200 personnes venant de diverses associations (CADAC, Ikambéré, FASTI, PASTT, Aides, Marche Mondiale des Femmes, Planning Familial) ont répondu présent. Extraits des débats.

Leur intégralité est disponible dans le document joint.

Visibilité et fierté des femmes séropositives

« Il semble urgent aujourd’hui, pour les femmes, de faire émerger une parole et une lutte spécifique tant dans les mouvements de lutte contre le sida que dans les mouvements de lutte féministes. La parole des femmes séropos n’est pas prise en compte et on constate des retards dans la recherche et l’amélioration des traitements spécifiques aux femmes. Il y a aujourd’hui trop peu de visibilité des femmes séropos. » Emmanuelle

« Alors que l’on parle de plus en plus de la femme et du sida , aussi bien dans le corps médical que dans les associations, bizarrement j’ai l’impression que les premières intéressées ne veulent absolument pas s’engager. Aujourd’hui devenir visible, se revendiquer en tant que femme séropositive, est un acte politique et un acte de prévention. » Marjolaine

« Je milite à Sol En Si et à Act Up. Je suis séropo depuis 20 ans et j’ai été contaminée par voie sexuelle. Je ne travaille pas et je témoigne pour les mamans séropos qui doivent pouvoir retravailler. » Ghislaine

« Je suis séropo depuis 17 ans. Le premier problème, c’est la visibilité. Car une femme n’est pas seule, souvent elle a des enfants qui vont à l’école et qui sont montrés du doigt. J’ai eu beaucoup de mal à montrer mon visage et à retrouver du travail. » Christine

« Je suis séropo depuis 10 ans. La sexualité est tabou. La souffrance par rapport à sa sexualité est aussi un sujet tabou. Avouer sa séropositivité, c’est comme une sortie du placard, je trouve qu’il y a beaucoup de similitudes. Pour la visibilité, on pourrait faire un appel de femmes séropos qui interpelle les autorités publiquement pour réveiller l’opinion et pour apparaître dans la presse. » Catherine

« Pendant 7 ans j’ai menti et tu ma séropositivité. Je ne pouvais pas parler de cela. J’ai su tout de suite que j’étais séropo mais je n’ai commencé à bouger qu’au bout de 7 ans. Pendant tout ce temps, je ne suis pas allée vers les associations. S’il y avait eu une association de femmes, je pense que j’y serais allée. » Fabienne

« Je milite au FASTI. La commission femmes est non mixte, pour qu’elles puissent parler entre elles. Il faut diriger les femmes vers les associations qui les concernent. Quand je vois l’explosion de rage des 2 copines, je me dis il faut que cette rage se développe et nous serve dans la lutte. » Béatrice

Femmes africaines en France

« Quand une femme n’a pas de ressources, dans un pays très difficile comme la France, sans titre de séjour, on ne peut rien faire. Se pose aussi, le problème des rapports sexuels ; quand on n’est pas indépendante, il est difficile d’exiger un préservatif. Il ne faut pas penser que les femmes viennent pour se faire soigner. On ne connaît pas notre statut en arrivant et on ne l’apprend que lorsque que l’on est dépistées ici. » Aimée

« En ce qui concerne les femmes immigrées, les lois Chevènement ne résolvent rien du tout, on ne reconnaît aucune autre aide que les médicaments, on est soigné mais on n’a pas de logement et pas de quoi manger. » Edith

Féminisme et sida

« On n’a pas assumé la séropositivité car cela ne faisait pas partie de nos priorités. C’est une carence ; en général sur les problèmes de santé, nous nous sommes focalisées sur l’avortement et la contraception, le droit de choisir ou pas nos maternités. C’est notre combat éternel avec l’autonomie financière des femmes. On peut peut-être essayer de travailler ensemble et voir ce qui peut en sortir. » Maya

« Il semble difficile de faire entendre que les femmes n’ont pas que la lutte contre le sida, comme combat ; qu’elles doivent se battre partout ailleurs. » Nora

« C’est l’oppression qui place les femmes dans des situations de vulnérabilité. Vulnérabilité dans le couple, rapports de domination et pas de libre choix de notre vie, on n’arrive pas à s’émanciper en général, et surtout pas en ce qui concerne la santé. Les femmes ont moins accès à l’information sur la maladie, et quand elles ont accès aux traitements, elles ont moins d’information sur les traitements. » Dominique

Prostitution, transsexualisme

« Je suis contente de rencontrer ce soir des féministes et de pouvoir leur parler. Parce qu’il y a parmi les féministes des courants qui luttent contre nos droits. Certaines refusent que les transsexuelles aillent dans les toilettes des femmes. D’autres, comme par exemple en Suède, ont demandé une taxe sur la prostitution. Il est nécessaire de discuter avec les féministes de cette position abolitionniste. Je lance un appel contre l’" Europe proxénète " qui veut faire passer un texte criminalisant la prostitution et qui fait l’amalgame entre prostitution et proxénétisme. » Camille

« La prostitution n’est pas une exploitation comme une autre et donc pas un travail comme un autre. Cela touche beaucoup plus l’individu dans son rapport intime. Cela ne veut pas dire que l’on va stigmatiser les personnes qui se prostituent car elles n’ont pas le choix. De mon point de vue, il faudrait réfléchir sur les rapports avec les clients et pourquoi il existe cette clientèle. Est-ce synonyme de grande misère sexuelle et de rapport marchand avec la sexualité ? Je suis en désaccord avec la " marchandisation " de nos corps et de notre sexualité. Les féministes contestent le système capitaliste et donc contestent aussi la " marchandisation " du rapport sexuel. Il ne faut pas de culpabilisation de la sexualité mais un combat pour une sexualité libre. » Elisabeth

« Je voudrais parler du rapport marchand au corps. Comment peut-on faire face à cette société hypocrite, qui a dépénalisé la prostitution mais continue de considérer comme un délit le proxénétisme ? D’autres gagnent de l’argent sur votre dos, est-ce que vous dénoncez le proxénétisme ? » Agnès

« Sur la " marchandisation " du corps, je ne suis pas d’accord. La prostitution est une profession non reconnue. La question qui se pose c’est de quelle manière la reconnaître ? Quand un client vient, il y a comme un contrat de conclu qui est à respecter par les deux personnes (prostituée et client). En Hollande, la prostitution est légale, mais le système favorise malgré tout le proxénétisme. Nous sommes contre le proxénétisme.On ne peut pas lier systématiquement prostitution et criminalité. Cela arrive dans la prostitution, mais ce n’est pas la prostitution. » Camille

« Tu as commencé par dire que tu es obligée de te prostituer, comment serait une société qui n’obligerait pas à se prostituer ? » Catherine

« Beaucoup de transsexuelles se prostituent car elles n’ont pas accès à l’emploi. Le sexe biologique des personnes est mentionné sur la pièce d’identité et est indiqué par le numéro de sécurité sociale. Dans ces conditions, on ne trouve pas facilement un emploi. Une société qui donne le choix aux individus, c’est une société qui nous accepte telles que nous sommes et qui nous permette de faire le travail que l’on voudrait. » Pascale

Prévention, contraception

« Il n’y a pas d’autres moyens de prévention actuellement que le préservatif. Ce n’est pas un problème social si les hétéros ne le mettent pas, c’est parce qu’ils ne croient pas vraiment au sida et qu’ils ne savent pas l’utiliser. Une capote n’empêche jamais personne de bander. Pourquoi les femmes ne disent-elles pas " baiser sans capote, ça m’empêche de jouir " ? » une participante anonyme

« Il faut développer les préservatifs féminins et la recherche sur les virucides. On ne peut pas séparer prévention et contraception. A l’ère du sida, c’est très grave de dire que le préservatif n’est pas sûr à 100%. L’idée de graduation de la prévention est insupportable. La prévention est binaire : elle fonctionne ou ne fonctionne pas. » Brigitte

« Attention aux messages binaires car ils peuvent provoquer une culpabilisation. Les femmes deviennent incapables d’avouer qu’elles ne mettent pas de préservatif et invoquent une rupture du préservatif en cas de grossesse au lieu de dire qu’elles ne l’ont pas utilisé. » Emmanuelle

« Il est vrai qu’il faut attirer l’attention sur le fait que lorsque l’on parle du préservatif, on parle beaucoup de contraception et très peu de prévention. Mais il faut dire aussi que lors d’un rapport sexuel le risque de grossesse est beaucoup plus élevé que le risque de contamination. Il faut arrêter avec l’intégrisme du préservatif qui stigmatise les personnes qui ne l’utilisent pas. Il y a beaucoup de cas où les femmes ne peuvent pas l’utiliser. Vous niez les autres moyens de prévention que peuvent être le diaphragme, les spermicides et les virucides. » Dominique

« Je n’ai jamais entendu dire que si on ne met pas de préservatif on est un " con " mais tout le contraire, que la sexualité, c’est très difficile et d’utiliser un préservatif encore plus. La France, est le pays dit développé où la prévention a le moins bien marché. Il faut arrêter avec le fantasme d’un discours culpabilisant. » Philippe

« Dans la plaquette que vient de publier la DGS sur la contraception, le préservatif féminin est inexistant, et il y a des inexactitudes. Il est dangereux de donner des conseils flous et confus. Il faut arrêter de parler de " réduction des risques ". Il faut prendre au sérieux la prévention, et donner des messages clairs. » Aude

« Nous avons un gouvernement socialiste très pudibond. On ne parle pas de sexualité et encore moins de plaisir. Il y a aussi le problème des mineurs. Qu’est-ce qui est tolérable dans une société qui pense de plus en plus à droite ? Je propose d’élargir l’appel des séropos aux personnes qui ne le sont pas (sur le modèle de ce que l’on a fait pour l’avortement) car il faut faire bouger cette société et lutter contre les laboratoires qui font la loi aujourd’hui. » Maya

« Une conférence vient de se tenir à Washington : aucune efficacité n’a été prouvée dans la prévention contre le VIH avec des spermicides ou des virucides. Il ne faut pas faire de la prévention au rabais. » Emmanuelle

« Pourquoi on recherche sur des moyens de prévention qui ne fonctionnent pas alors qu’il suffit d’apprendre à mettre une capote ?! » Brigitte

« Et une intervention qui pourrait bien résumer le débat : J’ai senti une hostilité envers les féministes ce soir, et cela m’a gêné quand une personne est intervenue en commençant par " je ne suis pas féministe, je suis avocate ", pourquoi ne pourrait-on pas se dire féministe ? Si on travaille ensemble, il faut prendre en compte l’impatience d’Act Up. Act Up est un groupe généreux qui travaille sur d’autres problématiques que les siennes et qui a fait un effort d’appropriation des luttes des autres, mais la réciproque a été rare. Il y a une impatience envers les féministes et on aurait aimé que les militantes comprennent intuitivement nos luttes et qu’elles pensent systématiquement au sida. Il faut que ce travail commun soit généreux aussi de votre part, incluez dans vos discours cette putain d’épidémie. » Stany


A la suite de cette assemblée, la commission Femmes d’Act Up s’est enrichie d’une dizaine de femmes militantes et motivées. Des stratégies doivent être mises en place pour augmenter la visibilité des femmes séropositives et créer un espace de parole et de lutte spécifique aux femmes. Si vous souhaitez rejoindre la commission Femmes d’Act Up-Paris, vous pouvez nous envoyer un mail