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Dossier Toronto

Coinfection et santé publique

lundi 30 octobre 2006

La coinfection est le nouveau défi à relever pour prouver que nos politiques de santé publique peuvent être efficaces, même face à deux épidémies virales en même temps, qui relèvent pourtant de différentes spécialités médicales, sauf pour les malades co-infectés.

Lors de la seule session sur la co-infection VIH-hépatites, à la conférence mondiale sur le sida à Toronto, Irina Eramova, représentante de l’OMS Europe, a exposé un tableau assez documenté sur la situation en matière de co-infection VIH-hépatites en Europe, en 2005, ainsi que les résultats des premiers projets qu’ils ont mis en place.

Depuis l’arrivée des trithérapies, il y a eu un changement crucial dans l’épidémie de sida puisque la proportion des décès suite à des complications hépatiques a pris, petit à petit, plus d’importance que ceux dus au sida. Dans le monde, il y aurait, selon l’OMS, environ 4 à 5 millions de co-infectés VIH-VHC et 2 à 4 millions de co-infectés VIH-VHB, et l’Onusida estime un total mondial d’environ 11 millions de co-infectés VIH-hépatites sur les 38,6 millions de personnes vivant avec le VIH (Cette différence s’explique par l’ajout des hépatites A, D, E et chiffre obtenu par d’autres modes de calcul.).

De l’épidémiologie à la santé publique

Les chiffres de l’OMS Europe sont recensés à partir des données de 52 états membres, comprenant l’Asie centrale et la Russie. La prévalence européenne moyenne des hépatites chroniques chez les séropositifs VIH est d’environ 40 % et jusqu’à 70 % dans les pays ou le mode de transmission principal du VIH est l’injection de drogues. Dans certaines villes des pays de l’Est, cette prévalence atteint même les 95 %.
Dans le même temps, l’explosion de la co-infection VIH-VHB, chez les homosexuels, est aussi un problème de santé publique car contrairement au VHC, cette co-infection peut aggraver le pronostic du VIH si elle n’est pas stabilisée par un traitement adapté, doublement efficace sur le VIH et le VHB.

En Europe, il semble que les co-infectés n’ont quasiment pas accès au traitement des hépatites virales, par interféron notamment. Il y a plusieurs causes évidentes :
 Les épidémies d’hépatites B et C ont été cachées et il n’y a donc pas eu de mobilisation en termes de perspectives de santé publique.
 Il y a encore peu de chiffres disponibles sur les malades mono et co-infectés par les hépatites B et C en Europe.
 La prise en charge à 100 % du coût du traitement n’est pas effective partout. Ça n’est qu’en 2004 que les essais internationaux ont publié de maigres résultats de guérison du VHC par Peg-Interféron/ribavirine chez les co-infectés VIH. Les coûts exorbitants de ce traitement n’ont pas permis de prise en charge par plusieurs États membres (Ainsi en Ukraine, le coût annuel est de 24 000 euros à la charge d’éventuels malades très fortunés).
 Les mesures de charge virale (PCR VHC et ADN VHB) sont d’un accès très limité qu’il s’agisse des charge virale qualitatives et quantitatives ou des génotypages pour les hépatites virales B et C. Dans certains pays, 160 euros environ restent aussi à la charge du malade.

Pour l’accès aux traitements du sida dans les pays pauvres, la mobilisation a permis d’obtenir une réduction drastique des prix des molécules d’environ 93 % en moyenne sur le prix public des pays riches. Il faut absolument s’inspirer de ce modèle pour développer l’accès aux traitements à base de Peg-Interféron/ribavirine contre le VHC, à l’adéfovir et au ténofovir contre le VHB, ainsi qu’aux produits de substitution (méthadone et buprénorfine) qui ne sont pas accessibles aux usagers de drogues dans plusieurs pays. La plupart n’ont toujours pas de recommandations officielles de prise en charge médicale de la co-infection.

Le constat de l’OMS est alarmant. Certes, ils reconnaissent qu’ils commencent à comprendre mais ils ne peuvent pas encore résoudre les problèmes car ils sont face à un nouvel enjeu. À cause de la co-infection, les hépatites ont changé la mortalité VIH et au lieu de faciliter et d’augmenter l’accès aux antirétroviraux, la situation recule et s’aggrave. L’OMS déclare qu’on ne peut plus l’ignorer aujourd’hui.

Leur première réponse a été la mise en place d’essais cliniques dans le but de produire des recommandations normatives et une standardisation de la prise en charge puisque c’est un des mandats de l’OMS. Il y a des essais et des recommandations sur les co-infections VIH-VHC et VIH-VHB, ainsi que de la prévention sur les hépatites A, B et C mais aussi de tous les autres facteurs hépatotoxiques chez les séropositifs VIH. L’OMS Europe a donc initié un total de 14 essais cliniques. Concernant la production des recommandations, elles sont éditées en anglais et en russe. De plus, l’OMS a mis en place une journée européenne annuelle des hépatites virales le 1er octobre.

Mais en guise de conclusion étonnante, concernant les stratégies de réduction des prix et la facilitation de l’accès aux vaccins contres les hépatites virales A et B, l’OMS déclare au final avoir besoin de plus d’argent. Act Up-Paris avait largement plaidé, lors d’une réunion pour le nouveau plan de l’OMS Europe, à Berlin en octobre 2005, pour qu’elle revendique au moins cette position de mobilisation en faveur de la réduction des prix.

L’étendue des problèmes de la co-infection en Europe est maintenant plus évidente à percevoir en termes de catastrophe sanitaire. Elle risque de passer sous silence dans certains pays où il est de bon ton de “ laisser crever les toxs ”, pays montrés du doigt lors de cette conférence mondiale puisque pour la première fois, environ un tiers des sessions étaient enfin consacrées à l’état des lieux des politiques de réduction des risques liés aux drogues dans le monde. Parmi ces pays, les deux plus importants responsables d’un génocide d’usagers de drogues, par lâcheté politique , sont les États-Unis d’Amérique et la Russie. Cette conférence mondiale avait aussi pour but de tirer les leçons pour les 25 ans à venir. Une leçon à base de millions de morts, ça ne vous rappelle rien ?

En France

Depuis 2001, l’InVS, en s’impliquant dans l’enquête nationale un jour donné de l’APPITT, avait déjà confirmé qu’environ 40 % des co-infectés VIH-VHC étaient au moins en pré-cirrhose, soit une hépatite sévère (Métavir>F3). Avec la mise à jour de cette enquête InVS datant de 2005 et l’étude CPAM sur la prévalence du VHC et VHB, on estime qu’il y aurait environ 8 000 co-infectés VIH cirrhotiques en France. Ces chiffres alarmants reflètent le retard de prise de conscience des enjeux d’une prise en charge précoce des hépatites virales chez les séropositifs au VIH.

Les trois quarts des co-infectés ont été contaminés par injection de drogues, même si bon nombre sont aujourd’hui ex-injecteurs. Plusieurs études, par contre, ont démontré qu’ils ont toujours une forte consommation d’alcool, de psychostimulants et de médicaments psychotropes hépatotoxiques. La prise en charge des co-infectés est donc une spécialité nécessitant plus que jamais la compétence d’équipes multidisciplinaires. Aujourd’hui en France, quelques équipes se sont mises en place. Mais sans thérapeutiques nouvelles, plus efficaces et moins toxiques, aucun progrès majeur ne permettra d’enrayer l’hécatombe annoncée. Le Dr Pascal Melin, vice-président de la fédération SOS-Hépatites, a déclaré suite au symposium ANRS sur la prise en charge des cirrhoses chez les séropositifs au VIH « L’évolution vers la cirrhose est une fois et demi plus fréquente en cas de co-infection, et pourrait être la cause de 10 000 décès au cours des trois années à venir ! » .

Toutefois, depuis 2004, la situation semble avoir évolué concernant l’accès précoce à un traitement contre l’hépatite virale pour les co-infectés. Avant 2003 la mise sous ribavrine/peg-interféron était difficile pour les co-infectés, les hépatologues apprenaient au cas par cas. Depuis c’est l’effet inverse, jusqu’à près de 50 % des co-infectés seraient mis sous traitement d’après les chiffres des laboratoires pharmaceutiques. Mais la moindre efficacité thérapeutique des thérapies de référence expose encore beaucoup de co-infectés à la survenue rapide d’une cirrhose (Contre le VHC : bithérapie PEG-Interféron et ribavirine, soit entre 27 et 40 % de guérison et, de plus, entre 20 et 40 % supplémentaire de régression de fibrose voire de cirrhose, étude ANRS Ribavic). En clôture du symposium de l’ANRS sur la co-infection, son nouveau directeur, Jean-François Delfraissy déclarait : « Aujourd’hui nous avons dans les pipelines, trois nouvelles molécules à portée de main, il faut que les associations de malades et les activistes nous aident impérativement pour les obtenir au plus tôt ! ». Malgré cet appel au secours, il est alarmant de constater que l’IAS n’a pas jugé opportun de consacrer plus qu’une session de deux heures sur la co-infection alors qu’il est impératif qu’une collaboration internationale soit promue au plus haut niveau afin d’éviter le pire.

Comme pour l’arrivée précoce des antiprotéases contre le VIH, les « activistes sida » se soulèvent aujourd’hui pour accélérer l’ouverture d’essais compassionnels et d’ATU des nouvelles molécules contre les hépatites virales B et C. Pour ce faire, les agences du médicament et l’industrie pharmaceutique doivent dès aujourd’hui anticiper la mise en place d’une chaîne de production et de distribution suffisante.

Transplantation hépatique pour les séropositifs

Lors de la conférence internationale de consensus sur la co-infection , le Pr. Miro de Barcelone en s’appuyant sur 109 co-infectés espagnols ayant eu une première complication de cirrhose, nous révélait que le délai moyen de survie, était d’environ 14 mois. C’est-à-dire juste le temps nécessaire à la préparation d’une transplantation, à condition qu’il ne s’agisse pas d’un groupe sanguin trop rare. Au point qu’en Espagne, le taux de décès en liste d’attente de transplantation est de 64 % chez les co-infectés, comparé à 17 % chez les mono-infectés (hépatite B et C confondu). À cause de l’immunodéficience, la première décompensation de cirrhose chez les co-infectés met déjà en jeu le pronostic vital à très court terme. À partir de plusieurs études internationales, le Pr. Miro estimait en juillet 2005, qu’entre l’Europe de l’ouest et l’Amérique du nord, il y avait déjà environ 8 700 co-infectés ayant déjà décompensé leur cirrhose, nécessitant donc une transplantation en urgence. Alors qu’à ce jour, guère plus de 300 transplantations hépatiques pour des co-infectés ont été réalisées dans le monde, et ce depuis 1998.

En France, les derniers résultats en matière de transplantation chez les co-infectés VIH-VHC, confirment que suite à la transplantation, la réinfection du greffon est particulièrement rapide et sévère. Dans la cohorte française de 33 co-infectéEs, deux ans après la transplantation, un tiers étaient déjà en cirrhose. Le Pr Didier Samuel a récemment publié une alerte sur les grandes difficultés qu’il y a à programmer suffisamment tôt, une transplantation hépatique chez les co-infectés.

Il est clair que les transplantations pour les co-infectés relèvent toujours du domaine de la recherche clinique. Malgré les efforts brillants de tous ces chercheurs pour combiner les traitements anti-rejet à base d’immunosuppresseurs et de trithérapies antirétrovirales, ils doivent aujourd’hui, ajouter au plus tôt à ce cocktail une bithérapie à base d’interféron, afin de limiter la survenue d’une cirrhose. Il n’est pas raisonnable aujourd’hui de présenter la transplantation comme une solution de dernier recours qui puisse être envisageable pour les 8 000 co-infectés cirrhotiques en France, dont environ 1 000 à 2 500 auront besoin d’une transplantation avant 2010. Il n’y a pas assez de greffons, le coût d’une transplantation hépatique reste prohibitif et les résultats obtenus ne permettent pas encore de pouvoir définir des recommandations claires, simples et applicables à l’échelle nationale.

Toutefois, depuis quinze ans, l’Espagne a prouvé que seule une décision politique courageuse privilégiant les dons d’organes en cas de décès, et donc la vie et la santé publique, face aux seules volontés familiales, permet de doubler le nombre de greffons disponibles. À population comparable, alors que pourtant le pouvoir religieux y est plus puissant, l’Espagne fait trois fois plus de greffes du foie que la France.

Même si les pionniers en la matière ont déjà commencé à former d’autres centres, seule la constitution d’un réseau national doté suffisamment de moyens permettra d’impliquer tous les centres de greffe sur la co-infection en bénéficiant de l’appui des associations de malades du sida et des hépatites virales. L’exemple est donné par l’Espagne et les Etats-Unis qui ont déjà mobilisé plusieurs dizaines de centres dans leur nouveau réseau national de transplantation pour les co-infectés. En France, rien n’est encore officiellement annoncé dans ce sens.

À l’échelon international, l’IAS doit aujourd’hui être à l’initiative d’un réseau mondial de coordination des différents protocoles d’essais nationaux de transplantation hépatique pour les co-infectés, afin de minimiser les effets néfastes et pitoyables de la compétition « nationaliste » ou inter-continentale entre équipes scientifiques, comme en 1985, lors de la découverte du VIH.

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