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Bangkok 2004 : en guise de conclusion

dimanche 18 juillet 2004

« Et alors, quoi de neuf à Bangkok ? » Une question qu’on entendra souvent dans les prochaines semaines. Tout en essayant d’être clair et complet, ce texte essaiera de répondre à la question en présentant un résumé des synthèses de ce vendredi matin, jour de clôture de la XVème conférence mondiale sur le sida. L’essentiel des propos rapportés ci-dessous sont ceux des intervenants des cinq fils et deux thèmes de cette conférence.

Fil A : la recherche fondamentale

Pas de révolution à cette conférence, mais un travail qui se poursuit essentiellement dans quatre directions :
 De nouvelles pistes thérapeutiques : où il fut question du T20 (est-ce vraiment nouveau aujourd’hui ?) en tant que médicament à cible virale et beaucoup de nouveaux produits à cible cellulaire qui sont encore en phase d’étude pré-clinique comme le 873 140 de GSK, le PRO140 qui cible le co-récepteur CCR5, ou bien d’autres qui ont une approche anti- CXCR4 ou même des produits se liant au récepteur CD4. Des recherches sont menées également sur les réservoirs latents du VIH, les lymphocytes infectés et inactifs, traités par des cytokines comme l’IL7 ou d’autres produits stimulants. Ces travaux s’appuyant sur la découverte des mécanismes contrôlant la latence des lymphocytes.
 Peu de d’avancées sur les vaccins thérapeutiques, exceptés la découverte de quelques nouveaux vecteurs sur les protéines virales GAG et ENV.
 À propos du vaccin contre le VIH, deux questions ont retenu l’attention des spécialistes : l’évaluation des essais d’efficacité avec des méthodes fiables et instructives ; la sempiternelle question des modèles animaux.
 Le chapitre principal de ce fil sur la recherche fondamentale reste celui consacré à « l’évolution moléculaire du VIH ». Ce thème avait retenu notre attention dès son apparition (lire nos chroniques Bangkok 2004 : Prévention, surcontaminations et qualité de vie et Bangkok 2004 : mardi soir, coup de blues entre deux sessions). Les scientifiques ont constaté combien « il va être compliqué de maîtriser ces virus ».

Le rapporteur du « fil A » a souligné l’aspect parfois rebutant de la science fondamentale, et a souhaité qu’elle soit plus intégrée aux autres aspects de la recherche sur le sida. « Cette conférence est la seule illustration de ce souhait » a-t-il rappelé.

Fil B : Recherche en clinique, traitements et soins

« Les 20 antirétroviraux actuellement approuvés aux Etats Unis permettent de réaliser 1333 combinaisons différentes de trithérapies. À partir de là, laquelle est la meilleure ? » C’est par ces mots que le rapporteur du « fil B » a résumé posé la problématique de base de son domaine. Il a ensuite rappelé les grandes lignes des travaux présentés à Bangkok :
 l’étude sur la prévention de la transmission mère-enfant, dont nous avons déjà parlé à l’occasion de la dernière CROI de San Francisco, a été à nouveau présentée à Bangkok devant un public beaucoup plus large et plus concerné, montre que la prescription pour la mère et l’enfant d’une monothérapie (AZT) associée à des mono-doses de névirapine au moment de l’accouchement permet, certes, de réduire la transmission, mais provoque également l’apparition de mutations qui rendent le virus résistant aux traitement dans 32% des cas pour la névirapine. L’adjonction de Combivir à ce traitement réduit de 50% à 9,8% le risque d’apparition de résistances. Il est maintenant évident que la trithérapie doit devenir un standard, comme l’a d’ailleurs recommandé le groupe d’experts français. Cette recommandation est d’autant plus facile à tenir que les traitements génériques combinés le permettent.
 Nous attribuerons une mention particulière pour la présentation d’une technique de comptage des lymphocytes CD4 par fluorescence qui présente l’avantage d’être efficace, économique et aisément transportable.
 Puis, vint la question du meilleur traitement. Les essais de stratégie et de comparaison de molécules ont été nombreux. L’utilisation du Saquinavir associé à deux inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) donne de bons résultats dans les pays à faibles ressources (91% des patients ont moins de 50 copies du virus). La combinaison du lopinavir et ritonavir en booster permet d’obtenir un taux de 99% des patients dont le nombre de copies est inférieur à 400. Si l’on considère la question de la survie à long terme, la comparaison entre les combinaisons de traitements utilisée dans le cadre du plan dit « 3 fois 5 » (3 millions de personnes traitées en 2005) de l’ONUSIDA, le départage est plus difficile à faire. Et comme le souligne le rapporteur : « la combinaison la plus efficace est celle avec laquelle les malades vivent, sans médicament, ils meurent ».

Enfin en conclusion, l’orateur a rappelé que « ce qui est cher n’est pas forcément meilleur » tandis qu’apparaissait sur l’écran derrière lui « Fuzeon », la molécule de Roche..

Fil C : Epidémiologie et prévention

Le thème retenu pour la conférence, « Access for all », rappelle, s’il était encore besoin, que l’accès aux traitements n’est effectif que pour une minorité de malades. Pour autant, il ne faut pas oublier les nécessités d’une prévention efficace. Cette conférence a montré que de nouvelles options biomédicales sont possibles. Des solutions existent y compris pour les pays à faibles ressources, c’est-à-dire des pays où l’accès aux soins est pratiquement inexistant. Après trois ans d’abandon, un essai de phase III sur un microbicide a été enfin entrepris. Des essais sur les traitements prophylactiques et sur les vaccins sont en cours. On a aussi vu des études sur l’acceptabilité des traitements ainsi que sur les stratégies de prévention et d’administration des antirétrovraux.

Mais il reste encore des efforts à faire : améliorer le soutien psychologique, développer la dispensation de moyens de contraception et de préservatifs, offrir un meilleur soutien à ceux qui participent aux essais. Des travaux ont montré que la classification habituelle des modes de contamination est aujourd’hui faussée. UnE usagerE de drogues a aussi des rapports sexuels ; un hétérosexuel a parfois des relations avec d’autres hommes. Les modes de contamination sont plus complexes que le schéma simpliste usuel le laisse entendre. En matière de techniques de prévention, il faut encore améliorer l’échange de seringues pour les usagerEs de drogues, l’accès de la prévention en milieu carcéral est insuffisant, voire inexistant. L’épidémiologie donne encore trop souvent des résultats faussés par les acteurs pour obtenir plus de crédits ou par les autorités pour minimiser les problèmes. Il faut de meilleures méthodes, plus précises, plus simples. Et puis, il faut arrêter de se focaliser exclusivement sur les chu˜o<es eªo-@¹pidöþÿ¿ q5i-teft parfois un prétexte. Il n’est pas nécesssaire de connaître l’ampleur des contaminations pour se mobiliser. Enfin, dans de nombreux pays, les personnes les plus touchées sont aisément identifiables ; c’est en direction de ces personnes que l’accent doit être mis essentiellement en organisant une prévention ciblée : jeunes, travailleurs du sexe, femmes, personnes précaires.

Fil D : aspects sociaux et économiques

Sur ce thème, trois orientations de travail ont été privilégiées :
 le risque et la vulnérabilité des personnes ;
 le maintien de la qualité de vie ;
 la transformation des résultats de la recherche en actions.
Le thème de la conférence (« Access for all ») soulevait bien plus de questions qu’elle n’apportait de réponses : accès à quoi ? Pour qui ? Quand ? À quel prix ? Mais les sessions organisées pour ce « fil » ont montré que les conditions socio-économiques étaient mieux appréhendées et que des réponses sont en cours d’élaboration.

La question centrale de ce « fil » reste la vulnérabilité des personnes. De nombreuses sessions ont été consacrées à des groupes identifiés de personnes. Mais la barrière entre « groupes à haut et faible risque » s’atténue. La « transversalité » des modes de contaminations apparaît. Les facteurs sociaux déterminants sont notamment l’absence de droits, la discrimination et la vulnérabilité des personnes. Et il est urgent de considérer la situation des jeunes femmes mariées pauvres. Souhaitons que la prochaine conférence, qui se tiendra dans deux ans à Toronto, saura tenir compte de ces travaux. On notera enfin que les débats à propos de la stigmatisation, de la discrimination et de l’accès aux droits ont suscité de nombreuses discussions.
Organiser le changement et faire face aux besoins : ce discours n’a pas été pas suffisamment entendu et c’est pourquoi les décideurs (politiques, médias, mais aussi les personnes atteintes) doivent le portent haut et fort. Il faut accélérer l’accès aux soins et aux traitements mais aussi aux études comportementales et sociales qui permettent d’adapter les réponses.

Les conclusions retenues pour ce « fil » sont les suivantes : poursuivre les études sur l’évaluation du coût de la prise en charge ; améliorer l’implication des personnes atteintes afin que les réponses apportées soient appropriées au contexte social des malades ; se préoccuper sans attendre des femmes mariées et pauvres ; l’accès pour tous doit être effectif.

Fil E : Politique et implémentation des programmes

Les « principes directeurs » de ces sessions étaient les suivants :
 les politiques doivent renforcer le succès des programmes mis en place
 les politiques qui empêchent le succès doivent être reformulées
 les politiques et les programmes doivent être basées sur des preuves et des faits non sur des idéologies.

À partir de là, les principaux thèmes de travail étaient :
 la remise en cause d’un leadership national : il faut promouvoir un système d’évaluation et d’estimation unique pour tous les pays ;
 le développement des partenariats avec les communautés pour leur donner plus de pouvoir et d’autonomie ;
 assurer la protection des droits de l’homme et mettre fin à l’ostracisme et à la discrimination ;
 les accords commerciaux bilatéraux ne doivent pas être un frein au développement ou à l’accessibilité des traitements ;
 La mobilisation des ressources afin de rendre effective une synergie et une concertation des moyens alloués. « Access for all », c’est aussi un large accès aux moyens de prévention et pas seulement un accès aux traitements.

Enfin, des appels ont été lancés pour favoriser les actions militantes, pour assurer la bonne marche du plan de l’OMS « 3 millions de personnes sous traitements en 2005 », pour favoriser la notion d’accès libre et gratuit aux traitements pour tous les malades.

Thème 1 : la synthèse du rapporteur communautaire

Le rapporteur s’est lancé dans une vive critique de la politique dite « ABC » largement promue par le gouvernement Bush. « On a voulu privilégier A et B [Abstinence et fidélité - Be faithfull en anglais] et laisser peu de place à C [condom] » a-t-il précisé. De même, il a rappelé que les femmes, les jeunes, les usagers de drogues, les prisonniers ou les lesbiennes ont été au centre de nombreux travaux lors de la conférence, sans que personne ne s’assure de leur présence effective à Bangkok.

À propos des mensonges : « c’est quoi un leader ? comment l’oblige-t-on à rendre des comptes ? » a demandé le rapporteur tandis qu’il montrait une caricature de George Bush en Lucky Luke chevauchant le monde.

À propos des promesses non tenues : 50000 personnes sont mortes du sida pendant cette conférence. Les engagements des hommes politiques seront-ils enfin tenus ? Les personnes malades doivent s’organiser afin d’obliger les responsables politiques à nous rendre des comptes.

À propos de la place des malades pendant la conférence : l’attitude des organisateurs lors de la cérémonie d’ouverture est inacceptable. On ne peut tolérer que le représentant des malades soit la dernière personne à intervenir.

En conclusion de son intervention, le rapporteur a ajouté que la conférence de Bangkok a permis aux malades de rendre effective l’appartenance à une communauté mondiale.

Thème 2 : le « Leadership program »

C’est la première fois qu’une série de rencontres, intitulée « leadership program » a été organisée. Elle permettait de confronter des responsables politiques, économiques, médiatiques et des leaders d’opinion. 90 personnes ont participé à ces sessions. Ce programme a permis d’organiser des confrontations et de permettre aux personnes atteintes de se faire entendre.

Mais le constat reste le même : la majorité des promesses faites depuis la conférence Barcelone n’ont pas été tenues. Que faire pour que cela ne se reproduise pas ? Lors de la prochaine conférence, il faudra que chacun rende compte des succès et des échecs.

La cérémonie de clôture de la 15ème conférence internationale suivait immédiatement cette séance plénière de synthèse. Après les interventions de différents représentants officiels (Suradat Keyruaphan le ministre de la santé thaïlandais, Helene D Gayle, la nouvelle présidente de l’International Aids Society qui remplacera Joep Lange, Peter Piot, directeur exécutif d’ONUSIDA, Lee Jong-Wook, directeur général de l’OMS), Irene Khan, la secrétaire générale d’Amnesty International et surtout Paisan Suwannawong, activiste « Thaï AIDS Treatment Action Group & Thaï drug Users’Network » sont montés à la tribune (photo ci-dessus). La présence de Paisan marquait la revanche des personnes malades après l’humiliation organisée par J. Lange lors de la cérémonie d’ouverture. Cette cérémonie s’est achevée en présence de Nelson Mandela et de Sonia Gandhi qui ont été particulièrement applaudis. Rendez-vous dans deux ans à Toronto pour la XVIème conférence internationale sur le sida.