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les traitements

Quand commencer un traitement ?

janvier 2003

Celui qui apprend sa séropositivité est à coup sûr en proie aux questionnements, aux inquiétudes, voire à l’angoisse. Entrer dans un monde inconnu entouré d’une image sinistre demande à chacun un effort pour apprivoiser cette Terra incognita et y trouver ses marques.

Mais il est une deuxième étape dans ce parcours de la maladie qui reste probablement aussi traumatisante : le début d’un traitement antiviral. Toutefois, force est de constater que cette étape a non seulement fortement évolué au cours de l’histoire récente au gré des connaissances acquises tant sur le virus que sur les traitements, mais, de plus, l’inégalité est grande d’une personne à l’autre en la matière. Et la science médicale sur ce dernier point s’est toujours vue confrontée au grave dilemme de savoir sur quels critères déterminer la nécessité de ce traitement.

avant l’apparition du premier antiviral,

l’AZT, la question ne se posait pas : on est passé d’une absence de solution à des possibilités. Et, comme toujours dans ce cas, tout le monde s’est engouffré dans cette voie. Rétrospectivement, on sait que cette thérapie était dangereuse, car insuffisamment puissante,et elle a été, chez de nombreux malades, à l’origine de l’émergence de virus résistants. D’ailleurs, dès l’apparition de la deuxième molécule sur le marché, nombreux furent ceux qui envisagèrent immédiatement l’usage simultané des deux produits. L’essentiel, à ce moment - là, était de permettre d’enrayer la destruction du système immunitaire des personnes atteintes qui se retrouvaient exposées aux pires maladies opportunistes. Le critère était donc essentiellement le nombre de CD4, mais la limite précise était floue, et plusieurs questions sont encore sans réponse. Outre le fait qu’on ne disposait de toute façon pas d’un traitement suffisamment efficace pour arrêter la chute des lymphocytes CD4, personne ne savait à ce moment là si le processus était réversible et si on parviendrait à reconstituer ses défenses immunitaires une fois le virus éliminé. Le principal élément d’appréciation qu’a laissé cette période est que l’évolution de la maladie se faisait lentement, et qu’entre la contamination et la période critique, il se passait, chez la plupart des personnes atteintes, plusieurs années.

après l’apparition

D’où les grandes discussions rendues encore plus importantes dès l’apparition des antiprotéases et donc des trithérapies. Disposant alors d’un arsenal suffisant pour arrêter la progression du virus, la question de savoir sur quel critère démarrer le traitement devint le centre des discussions de stratégie thérapeutique. Simultanément, la mesure de la charge virale se généralisant, elle fournit un paramètre supplémentaire à prendre en compte. Dès lors, devait-on initier un traitement le plus tôt possible, à la fois pour éviter autant que possible la destruction du système immunitaire et limiter l’installation du virus dans les cellules infectées ? De nombreux résultats de la recherche sont venus moduler cette considération. En effet, il apparut que, sous l’effet des trithérapies, le système immunitaire se reconstituait, et ce même chez des personnes qui avaient subi des dommages très avancés. Il n’y avait donc pas d’urgence de ce point de vue à prendre un traitement. Par ailleurs, l’hypothèse d’une éradication du virus fut aussi avancée, ce qui supposait donc que l’élimination la plus précoce possible serait aussi la plus rapide. C’est de cette époque que datent les essais thérapeutiques de traitement dès la primo-infection. Mais avec les années, un certain nombre de constats sont venus alimenter le débat.

résistances

Le premier problème est celui de l’apparition de résistances du virus aux antiviraux. La question est simple : le virus est connu pour se répliquer de manière imparfaite. A chaque génération, il apparaît donc des virus plus ou moins dynamiques, c’est-à-dire plus ou moins fonctionnels, et capables de se multiplier plus ou moins vite et facilement. Sans la pression des médicaments, ce sont évidemment les plus performants qui l’emportent. Mais en introduisant dans le circuit une molécule qui perturbe une étape précise de la réplication virale, il se peut que certains virus, moins performants en l’absence de traitement, deviennent les plus efficaces parce qu’ils sont pourvus d’un moyen d’échapper à l’effet du médicament employé. Ce sera alors cette souche qui dominera la population virale. Mais en disant cela, on sous-entend que le traitement employé n’a pas empêché totalement la réplication des virus présents dans le corps. C’est là la délicate question de l’efficacité des antiviraux. Pour bien comprendre cette idée, il faut savoir deux choses. D’une part, certains antiviraux agissent en tant que compétiteurs d’éléments naturels dans les processus de réplication du virus ; leur efficacité est donc inévitablement plafonnée par la présence possible des molécules naturelles qui permettent la production de virus qui marchent, tandis que l’augmentation de la quantité de médicament est limitée par les effets toxiques que ces produits ont sur les fonctions naturelles de l’organisme. D’autre part, la présence d’un antiviral, à l’endroit où il peut agir, n’est pas un phénomène simple et statique. Le médicament absorbé doit circuler dans le corps pour être présent à l’endroit voulu, en tenant compte que ceci n’est pas instantané et que tout produit ingéré est aussi éliminé s’il n’est pas utilisé par les fonctions vitales de l’organisme. Par ailleurs, on ne pénètre pas dans tous les endroits du corps avec la même facilité. Dans ce cas encore, il existe une limite de toxicité qui fait qu’on ne peut dépasser une certaine concentration de produit dans l’organisme. Or, éviter l’apparition de résistances consiste à bloquer au maximum la réplication virale. Les médicaments disponibles actuellement permettent un résultat de ce type, mais seulement parce qu’on associe plusieurs traitements différents pour augmenter l’efficacité d’ensemble des molécules dirigées contre la réplication virale, mais chacun ayant par ailleurs une toxicité de nature différente permettant de ne pas cumuler ces effets. La question qui se pose ici est donc bien de savoir si l’efficacité du traitement utilisé est suffisante pour empêcher l’apparition de résistances.

toxicité

Le deuxième problème est précisément la toxicité des médicaments. L’usage de traitements efficaces a essentiellement permis de prolonger la vie des personnes atteintes, et ce de façon considérable. On a pu constater l’effet à long terme de traitements dont la toxicité est loin d’être anodine sur des personnes infectées par un virus dont on ne connaît pas non plus tous les effets délétères sur l’organisme. En dehors de divers effets indésirables plus ou moins immédiats et la plupart du temps identifiés lors des essais cliniques des antiviraux, un certain nombre d’autres effets sont apparus avec leur usage à long terme. Les plus clairement établis sont à ce jour : l’augmentation de risques cardio-vasculaires, la décalcification osseuse, les atteintes neurologiques et la grande variété des lipodystrophies. Cette liste n’est non seulement pas exhaustive, mais elle se précise et se développe au fil des années. De plus, bon nombre de ces phénomènes demeurent encore mal compris aujourd’hui. En particulier, il est difficile de dire quelle substance est responsable de quel effet, pas plus qu’il n’est aisé de différencier l’effet du virus de celui du médicament. Il reste donc clairement observable que la plupart des personnes infectées et sous traitement subissent des effets indésirables suffisamment préoccupants pour qu’ils influencent sérieusement l’usage des antiviraux.

l’expérience

Le troisième problème est un peu le résultat de tout ce qui précède. La situation d’une personne infectée par le VIH n’est plus la même aujourd’hui, autant parce que la plupart des gens ont une certaine idée de la maladie que parce que les professionnels de la santé ont acquis également beaucoup de connaissances sur elle. En fait, la plupart des gens auxquels on propose un traitement maintenant se portent bien en apparence. Or, on leur propose un traitement qui va provoquer des effets indésirables. De plus, personne ne peut dire clairement quelle est la durée du traitement. Tout le contraire d’un antibiotique contre une infection classique. L’héroïsme des pionniers des traitements n’est donc plus de mise. Le principal résultat de tout ceci est que, dans le meilleur des cas, les malades sous traitement sont tentés à un certain moment d’arrêter, de faire une pause dans leur thérapie, et que dans le pire des cas, ils oublient, négligent, refusent, omettent une partie de leur traitement, qu’ils ne le supportent plus, physiquement ou psychologiquement. Ils se retrouvent alors dans la situation d’une personne prenant un traitement insuffisamment efficace, et donc très probablement générateur de résistances.

utopie

Enfin, l’idée d’éradiquer le virus n’est plus qu’un souvenir. Jamais chez un malade traité la décroissance de la charge virale ne s’est poursuivie au même rythme que lors de l’attaque du traitement. Au contraire, l’on observe non seulement des niveaux différents de décroissance chez bon nombre de personnes, mais, quelle que soit la durée de la baisse de la charge virale sous traitement, il n’a pratiquement jamais été observé de cas où l’activité virale ne reprenne pas après une interruption du traitement. Force est donc de constater que le virus demeure présent dans l’organisme malgré les traitements puissants. D’où la notion de réservoirs et le problème de leur élimination. Cette notion est facile à concevoir : il s’agit d’identifier les endroits où les virus sont capables de subsister malgré la présence des traitements. Les chercheurs s’intéressent à deux types d’aspects de ces réservoirs. D’une part le virus infectant une cellule en copiant son patrimoine génétique dans celui de la cellule, cette dernière peut rester à l’état latent avec la capacité de produire de nouveaux virus à certaines conditions de stimulation. Toujours est-il que ladite cellule potentiellement productrice de virus peut très bien rester inactive. Combien de temps ? C’est là la question. D’autre part, comme on l’a déjà évoqué, les médicaments pénètrent plus ou moins facilement certains compartiments du corps dans lesquels on a détecté par ailleurs des virus. Le système nerveux, le liquide séminal ou la glaire cervicale peuvent-ils ainsi constituer des réservoirs de virus qui n’apparaissent pas lorsqu’on mesure la charge virale dans le sang ? Combien de temps faudrait-il pour purger ces réserves en présence d’un traitement antiviral ? C’est l’autre question qui suscite bien des controverses.

inventaire

Bien des années se sont écoulées depuis l’apparition de l’AZT. Toutes les situations ou presque ont existé au gré des découvertes, des espoirs et de la témérité plus ou moins grande des thérapeutes. De nombreux chercheurs ont analysé les nombreuses stratégies employées et ont essayé également de répondre à la question de l’initiation des traitements grâce à des outils statistiques évaluant ces stratégies. Que sait-on aujourd’hui de toutes ces études ?

D’abord, le seuil de 200 CD4 / mm3 est clairement admis comme un minimum sous lequel il ne faut pas descendre sous peine d’être à la portée des infections opportunistes les plus dangereuses, celles qui causaient le décès des personnes atteintes au début de l’épidémie, à l’époque où l’on ne disposait pas encore de traitements. Il est donc clair que les braves inconscients, trop nombreux encore, qui découvrent leur séropositivité à l’hôpital où ils sont arrivés en raison d’une maladie " inhabituelle ", laquelle se révèle être une de ces maladies opportunistes, ont toutes les chances d’être en dessous de ce seuil et risquent fort de tout avoir à gérer en même temps, séropositivité et traitement.
Ensuite, il y a une limite supérieure : 350 CD4 /mm3 selon le rapport du groupe d’experts français sous la direction du Pr. Jean-François Delfraissy. Au-dessus de cette limite, l’on considère qu’il n’est pas nécessaire de suivre un traitement sauf, précise le rapport, dans certains cas particuliers.

Que faire entre ces deux limites ? Bon nombre d’études ont été menées, alimentant la controverse entre les pourfendeurs de virus qui traitent le plus tôt possible et les modérés qui préservent l’avenir du traitement. Les arguments des uns et des autres sont principalement étayés par toutes sortes de résultats d’études statistiques qui ont bien du mal, aujourd’hui encore, à arbitrer ce dilemme.

Si l’on s’en tient à l’observation de ce que cela représente pour la personne concernée, on peut tout de même avancer quelques éléments de choix qui nous paraissent importants. En premier lieu, le passage de 350 à 200 CD4 peut bien prendre de longs mois chez nombre de personnes. Il semble que la personne avertie, donc qui connaît ses chiffres par un suivi régulier, peut mettre à profit ce temps pour s’informer et discuter la mise en place du traitement. Chaque individu a des habitudes et chaque médicament a des contraintes. Il est donc intelligent de réaliser l’adéquation entre ces deux aspects dans le respect des nécessités de la maladie : un traitement insuffisamment efficace conduit inévitablement à l’échec. Comme on l’a discuté précédemment, insuffisamment efficace est aussi synonyme de mal suivi, c’est-à-dire bien souvent mal compris ou mal adapté. Mais les choses ne sont pas aussi faciles. Un traitement donné, s’il a été bien choisi, peut aussi générer des intolérances imprévisibles qui demanderont des adaptations avant de parvenir à quelque chose d’efficace, de stable et de tolérable. La réussite de cette combinaison est d’une telle importance pour la suite de l’évolution de la maladie qu’il est difficile d’admettre que certains praticiens puissent encore pratiquer l’injonction avec un traitement standard ayant pour seul but des résultats d’analyse, et qu’ils puissent considérer que les effets indésirables soient les plaintes de leurs patients.

et après

Vivre au long cours avec un traitement contre le VIH passe par une étape cruciale : celle qui consiste à bien démarrer ce traitement. La qualité de vie des personnes atteintes est essentielle à leur adhésion à la thérapie, inévitablement aliénante. La palette de médicaments antiviraux actuelle est suffisamment large pour permettre à chaque cas de trouver une solution adéquate. Encore faut-il que les médecins prennent le temps d’expliquer et de trouver la complicité nécessaire avec leur patient pour qu’un traitement efficace le reste vraiment. Les données physiologiques actuelles, admises comme seuils pour initier un traitement antirétroviral, permettent de prendre le temps de ce dialogue. Et que dire de l’interruption de traitement ? (voir page 18). Peut-on encore considérer aujourd’hui, au vu des résultats d’études, que le traitement est réellement à vie ? Ne pourrait-on pas, dès l’initiation du traitement envisager les conditions de son arrêt ? Ne serait-ce pas là donner à celui qui démarre son traitement de meilleures raisons d’adhésion et de vigilance pour réussir le challenge ?