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Soigner, surveiller et punir. Observance et technothérapeutiques

lundi 11 février 2013

Nous avons souhaité faire cet article car il pose un certains nombre de questions éthiques relatives aux questions de soins dans le domaine du VIH. Ces questions n’apportent pas présentement d’informations utiles aux soins ou au traitement, mais portent sur le contexte de « pouvoir » lié à la question de l’observance. Il s’agit pour nous de retracer les idées développées dans un article paru dans la revue Nursing Inquiry. Celles-ci font écho à des questions que nous nous posons sur le risque qui existe de présenter les stratégies de dépistage et traitement précoce (test and treat) et de traitement comme prévention (TasP – traitement comme prévention) comme absolument idéales pour en finir avec l’épidémie et nécessairement libératrices pour les personnes vivant avec le VIH (PVVIH), notamment parce que la deuxième viendrait mettre fin à la stigmatisation des séropositifVEs.

Les raisons du manque d’observance :

 la distraction, le manque de rigueur, d’attention ou de méthode
 la relation avec son médecin
 la combinaison thérapeutique et les effets indésirables
 les facteurs sociaux (perte d’emploi, ne pas avoir de logement stable… )
 la stigmatisation
 les ruptures d’approvisionnement
 le coût des médicaments…

Marilou Gagnon, Jean Daniel Jacob et Adrian Guta sont les auteurs de l’article publié sous le titre « Treatment adherence redefined : a critical analysis of technotherapeutics [1] » (L’observance au traitement redéfinie : une analyse critique des technothérapeutiques) dans lequel ils mettent en lumière les risques inhérents à des techniques visant en premier lieu à améliorer l’observance au traitement, dont on connaît bien l’importance pour lutter efficacement contre le VIH. Nous allons exposer ce que cet article nous apprend.

Pourquoi favoriser une bonne observance ?

Les auteurs de l’article rappellent que « selon l’Organisation Mondiale de la Santé les taux d’observance sont particulièrement bas pour les personnes ayant une maladie chronique et devant prendre des traitements à longs termes » ; et qu’ils baissent avec la durée du traitement et la survenue d’effets indésirables.
Pour ce qui est du VIH, l’observance est positivement liée au contrôle viral et la mauvaise observance à un risque de survenue de résistance aux traitements. La baisse de la charge virale réduit la probabilité d’une transmission du virus et donc devient un objectif non plus exclusivement pour sa propre santé, mais aussi pour celle de ses partenaires.
Enfin, last but not the least, les coûts annuels provenant de la mauvaise observance sont estimés à 290 milliards aux USA…

Que sont les technothérapeutiques ?

Des recherches et des annonces plus ou moins récentes semblent indiquer qu’une classe de médicaments pourrait guider avec précision l’observance au traitement quand ils sont associés à des microprocesseurs : les technothérapeutiques. Elles sont destinées à renforcer l’observance et orientées vers les maladies chroniques ou, en tout cas, nécessitant un traitement prolongé.
En mars 2010, l’Université de Floride a annoncé que des chercheurs avaient réussi à intégrer un microprocesseur et une antenne digestible dans une pilule standard, capables de transmettre à un appareil électronique porté par le malade des informations par la suite transmises à un téléphone portable ou un ordinateur portable.
Le secteur privé s’intéresse également aux technothérapeutiques ou « médicaments digitaux » (voire « intelligents ») et pense pouvoir bientôt passer à la phase de commercialisation, du fait de l’approbation du système par la FDA (Food & Drugs Administration – USA) . La pilule dotée de capteurs peut ainsi analyser les fluides à l’intérieur de l’estomac et envoyer des signaux digitaux à un microprocesseur implanté sous la peau du malade ou en patch [2] .
Aussi les informations quant à l’ingestion ou non des médicaments peuvent être transmises en temps réel à qui en est destinataire. Dès lors se pose la question de savoir qui reçoit ces informations et à quoi peuvent-elles servir ?

Quelle analyse les auteurs apportent-ils ?

Premièrement, il faut indiquer qu’ils se décentrent du cadre traditionnel du soin et du « problème » de l’observance et s’appuient sur les propositions théoriques de Michel Foucault en termes d’anatomo-politique et de biopolitique, concepts respectivement centrés sur la « discipline » de l’individu et sur la régulation de la vie à l’échelle d’une population ou de l’Etat. (Sachant que pour Foucault, le monde contemporain se caractérise par l’effacement du pouvoir qui caractérisait l’ancien régime, celui de faire mourir via les supplices et exécutions, au profit d’un nouveau type de pouvoir consistant à faire vivre ou laisser mourir.)
La « discipline », c’est l’intégration par chacun d’un contrôle de soi en fonction de prescriptions admises comme au moins bonnes, au mieux nécessaires à sa vie.
La discipline vaut si elle est continue, diffuse et si elle produit des individus qui orientent leur action en fonction d’un référentiel classé et surtout hiérarchisé.
Or ici, les technothérapeutiques offrent la possibilité de produire des informations sur des comportements à priori hiérarchisés, comme on a pu le voir plus haut. Et il s’agit bien de surveiller la prise de médicaments, de façon continue et en temps réel, pour « le bien » des individus et de la population. Par cette surveillance, ce contrôle, les PVVIH se voient conférer une responsabilité populationnelle : si elles ne sont pas observantes, elles accroissent les dépenses de santé et prennent le risque de transmettre le virus à leurs partenaires.
Les personnes qui ne prendront pas leur médicament selon la prescription risqueront, outre une perte de chance thérapeutique, d’être perçues comme davantage coûteuses et dangereuses.
« Comme cela a été observé historiquement, ces technologies peuvent devenir à terme discriminantes et servir à distinguer les « bons » des « mauvais », ou, dans un sens bio-politique, à différencier ceux qui sont dignes de la vie (d’avoir un traitement et du soutien) et ceux que l’Etat doit « laisser mourir » (refus de médicaments ou de couverture sociale). Dans l’ensemble, nous comprenons les technotherapeutiques comme servant à la fois la discipline des corps individuels et aussi pour réguler des groupes entiers de personnes considérées comme une menace pour le corps collectif. En ce sens, nous considérons que le travail d’adhérence est avant tout un projet politique qui s’efforce de parvenir à une gestion optimale de la maladie (par la surveillance et la discipline), de réduire la charge financière de la non-adhérence au traitement pour les systèmes de santé, et servent à marginaliser davantage et différencier les « groupes à risque » en raison de leur refus ou de leur incapacité de se conformer. »

notre avis

Si l’observance est en premier lieu un atout pour sa propre santé, il n’en reste pas moins que les technothérapeutiques risquent d’avoir des conséquences graves pour les libertés des malades et qu’elles ne répondront pas à toutes les causes de mauvaise observance [3].

Il existe chez Michel Foucault une contradiction entre volonté de savoir et risque d’un usage disciplinaire, voire policier des savoirs, ou plutôt une exigence sur la question du pouvoir. Cette exigence est illustrée par l’épigraphe faite par les auteurs, mais insuffisamment travaillée dans l’article sous l’angle de ce que les malades pourraient y acquérir comme pouvoir : « Mon propos n’est pas que tout est mauvais, mais que tout est dangereux ». En effet, il pourrait en découler selon un autre propos de Foucault, repris comme slogan par Act Up (INFORMATION = POUVOIR) que les technothérapeutiques ne seront un pouvoir supplémentaire pour les malades qu’en rapport à ceux qui maîtriseront l’information. Il est vrai qu’une publication scientifique n’est pas l’endroit pour faire des recommandations pratiques. À ce titre, il conviendrait d’empêcher une appropriation de l’information par d’autres personnes que les malades, via des refus de propriété des données et des refus de vente et commercialisation des données et que chaque système soit totalement autonome, inaccessible à l’entreprise qui le commercialise, aux soignants, aux assurances sociales. Autrement dit, si les auteurs font une bonne et lourde mise en garde sur les risques inhérents aux technothérapeutiques, ils ne donnent pas l’indication des moyens qui permettraient de les éviter ; moyens qui, dans le contexte actuel,semblent pour le moins peu sûrs. Cela d’autant plus que la baisse de l’innovation thérapeutique risque de pousser les firmes sur des marchés annexes, comme celui du contrôle de l’observance. Les économies nationales et les systèmes d’assurances sociales cherchent à réduire leurs dépenses, les procès aboutissant à une condamnation pour transmission du VIH s’accumulent et la question de charge virale indétectable est déjà devenue, au Canada, une condition légale qui s’ajoute à celle du port du préservatif pour n’être pas obligé de dévoiler sa séropositivité à ses partenaires [4]. Voilà l’un des premiers signes montrant que le traitement comme prévention (TasP) peut être une contrainte pour les PVVIH, à laquelle il ne faudrait pas adjoindre un dispositif de surveillance et de sanction.

Il existe un véritable risque de contrôle, pouvant avoir des conséquences tant sur le plan de la prise en charge sociale, c’est-à-dire des refus de remboursement, que sur le plan judiciaire. Autrement dit, le risque d’aboutir avec les technothérapeutiques à une injonction au traitement, y compris judiciaire (déjà bien connu dans le champ de la sexualité non consentie), n’est pas loin de s’immiscer dans la sexualité des PVVIH, si l’on ne se fait pas plus prudents quant au message délivré sur le TasP comme solution à l’épidémie et vraiment vigilants quant à la mise sur le marché de technothérapeutiques.


[1En savoir plus : www.academia.edu/
1470254/Treatment_
adherence_redefined_
a_critical_analysis_of_
technotherapeutics

[2La version approuvée par la FDA est en patch, qui doit être enlevé lors de certains examens médicaux non invasifs.