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Roselyne Bachelot-Narquin à Vienne
lundi 19 juillet 2010
A l’occasion de la venue de la ministre de la santé à Vienne, Act Up-Paris revient sur la mise en place de "centres de consommation supervisés" et sur la politique de santé de la France qui va à l’encontre des malades
1. La réduction des risques exige du courage politique
La ministre de la santé autoriserait les collectivités locales à mettre en place des centres de consommation supervisés (CCS). Pourquoi le ministère de la santé ne le ferait pas lui même ?
Roselyne Bachelot-Narquin autoriserait la création de ces centres en concertation étroite avec les collectivités locales qui déposeront un projet, nous a affirmé son cabinet. Elle déclare dans Libération du 19 juillet :
« Je tiens clairement à dire qu’il ne s’agit pas, avec ces dispositifs, de dépénaliser l’usage de drogues. Il s’agit bien d’une démarche sanitaire et c’est dans ce cadre que j’ai saisi l’Inserm, car, en tant que ministre de la Santé, je suis en charge de la politique de la réduction des risques chez les usagers de drogues. Dans le rapport, les experts affirment qu’il faut une politique de prise en charge globale intégrant la prévention, la réduction des risques et les soins. Je constate que l’Inserm, et au-delà la communauté médicale, a émis une recommandation favorable à la mise en place expérimentale de centres de consommation supervisés. Il nous revient de prendre en considération cet avis et d’engager une concertation avec tous les partenaires concernés, notamment les collectivités locales. »
Responsabilités de l’État et égalité territoriale
Si c’est une première victoire pour le collectif qui défend les salles de consommation [1], nous nous posons la question de savoir pourquoi le ministère de la santé ne lance pas directement l’expérimentation, et renvoie la responsabilité aux collectivités locales. Car c’est à l’État d’assumer et de mettre en place la politique de réduction des risques liés à l’usage de drogues, y compris financièrement. Si des grosses agglomérations comme Paris pourront certainement avoir l’argent pour lancer ce type de dispositif, qu’en est-il des plus petites villes ? Cela va renforcer l’inégalité d’accès aux soins et à la réduction des risques sur le territoire français.
Quel courage politique pour défendre les impératifs de santé ?
C’est visiblement par manque de courage politique que la ministre de la Santé ne franchit pas le cap et n’annonce pas que son ministère lance lui-même un programme d’expérimentation. Ce serait pourtant le seul moyen de défendre les impératifs de santé publique face aux logiques sécuritaires. Imagine-t-on Michelle Barzach dans les années 80 attendre que des pharmacies lui demandent de vendre des seringues pour les y autoriser les unes après les autres ? Ou Simone Veil proposer dans les années 70 que l’avortement ne soit possible que dans les régions qui en font la demande ?
Nous demandons à la ministre de la santé un peu de courage politique.
Que sont les Centres d’injection supervisée ?
Cette déclaration, bien qu’insuffisante, est l’aboutissement de plus d’un an de travail du Collectif du 19 mai (Act Up – Paris, Asud, Anitea, Safe, Sos Hépatites Paris, Gaïa, salledeconsommation.fr), qui a relancé le débat en France en installant le 19 mai 2009 (journée mondiale des hépatites) une CCS dans les locaux d’Asud, et en rencontrant de multiples responsables politiques de tout bord. Une CCS est une structure où des usagers de drogues, souvent très précarisés, peuvent venir consommer des drogues – qu’ils amènent - de manière hygiénique et digne, supervisés par des professionnels de santé qui les conseiller et les orienter.
Après avoir rencontré le Collectif, Roselyne Bachelot-Narquin saisissait l’Inserm sur la pertinence des CCS, dans le cadre d’une expertise collective sur la réduction des risques liés à l’usage de drogues.
Après plusieurs mois d’attente, le rapport d’experts de l’INSERM est sorti le 24 juin dernier. Il confirme l’intérêt des centres d’injection supervisés (des CCS centrés sur l’injection), ce que les associations du Collectif savaient depuis longtemps :
– les Centres d’Injection supervisés (CIS) atteignent les usagerEs injecteurs très vulnérables et cumulant les risques (sans domicile fixe, injection fréquente et/ou sur la voie publique, antécédents d’overdose récente, porteurs de maladies infectieuses, échec de traitement de la dépendance...) mais également des usagerEs en situation moins précaire. Ceux/celles-ci l’investissent comme un lieu refuge qui leur permet d’être un trait d’union vers d’autres services ;
– Ils assurent une injection plus sure en mettant à disposition du matériel stérile et également une supervision de l’injection, parfois l’enseignement de techniques plus sûres ;
– Ils améliorent l’état de santé des usagerEs injecteurs et diminuent les comportements à risques ;
– Ils réduisent les risques de contaminations VIH/VHC et ont une influence sur la communauté des UD sur ce sujet : les usagerEs de drogues se saisissent de l’information et l’a font circuler. Moyen reconnu de faire changer les pratiques ;
– Ils réduisent considérablement les overdoses (aucune overdose mortelle n’est arrivée dans un CIS du fait de l’intervention rapide d’un personnel compétent) ;
– Ils améliorent l’accès aux soins de base, généraux et spécifiques de nombreux usagerEs pour lesquels le système actuel n’est pas adapté. Les CIS peuvent orienter les usagerEs vers des structures de soins généraux ou de traitement de la dépendance, ainsi que vers l’aide sociale ;
– Les experts n’ont pas trouvé que les CIS augmentent ou diminuent la consommation de drogues chez les usagerEs ou dans la communauté ou bien qu’ils augmentent les rechutes chez les usagerEs de drogues en traitement ;
– Ils réduisent l’impact sur l’ordre public. On constate autour des CIS une diminution rapportée de l’injection en public ainsi qu’une diminution du matériel d’injection et des déchets abandonnés dans l’espace public. De nombreuses structures, comme Quai 9 à Genève, ont instauré un programme de ramassage des seringues usagées dans leur quartier d’implantation par les usagerEs eux/elles-mêmes. Il est aussi constaté que les CIS n’augmentent pas les délits liés à la consommation ;
– Ils améliorent les perceptions de la population ;
– Ils sont coût-efficaces : bien que les CIS représentent un coût important pour leur mise en place, les experts sont unanimes pour reconnaître qu’ils contribuent à diminuer la charge financière à venir sur la société en diminuant le nombre de morts par overdoses et les contaminations par le VIH.
L’installation de CIS doit se faire en concertation étroite avec les collectivités locales et les CIS doivent être considérés comme une mesure complémentaire (et non concurrente) dans le dispositif de réduction des risques liés à l’usage de drogues. Ils s’intègrent dans une politique globale sur les drogues qui va de la prévention jusqu’ à la réduction des risques et les soins.
2. Roselyne Bachelot-Narquin : depuis mai 2007, le ministère de la santé contre les malades
Loi Hôpital Santé Patients Territoire (HSPT), mise en place des ARS : la casse du service public de santé
Votée en 2009, la loi Hôpital Patients Santé, Territoires, dite « loi Bachelot », a renforcé la logique marchande et bassement comptable du fonctionnement de l’hôpital public et de la Santé en général.
Cette loi s’inscrit dans la continuité des plans « Hôpitaux 2007/2012 » et de la tarification à l’Acte (T2A) : au prétexte d’une rationalisation des dépenses du système de santé français, et d’un retour à l’équilibre budgétaire, elle permet un nouvel accroissement de l’intervention du privé dans des missions de service public, au détriment des malades les plus précaires et les plus pauvres.
L’hôpital public, quant à lui, est voué à des « restructurations », qui se traduisent par des fermetures ou des réductions des services les moins rentables, notamment ceux prenant en charge des pathologies lourdes, complexes ou évolutives, nécessitant un suivi médical.
Par la création de « groupements de coopération sanitaire », incluant des structures privées bénéficiant de fonds publics, la loi HPST encourage encore le transfert des actes les plus rémunérateurs vers le privé, privant l’hôpital public de revenus, et en réduisant par ailleurs les moyens.
Alors que le nombre de malades du sida augmente chaque année en France, Roselyne Bachelot Narquin a instauré une dégradation de la qualité de la prise en charge VIH par une réduction des services et personnels dédiés.
Par ailleurs, la loi Bachelot a profondément modifié la gouvernance hospitalière, réduisant les contre-pouvoirs. La mise en place des Agences Régionales de Santé est un véritable coup porté à la démocratie sanitaire. Ses directeurs, nommés en conseil des ministres, ont pour mission première la maîtrise des coûts, et les représentants des malades et des personnels médicaux sont parqués dans des structures ne disposant que d’un vague rôle consultatif.
Hausse du forfait hospitalier, franchises médicales : faire payer toujours plus les plus pauvres et les plus malades (épisode 1)
Dans l’histoire du système de soins français, Roselyne Bachelot-Narquin restera comme la ministre qui a mis en place un impôt sur la santé : les franchises médicales, dont doivent s’affranchir chaque personne lors d’une consultation, d’un examen ou de l’achat d’une boîte de médicaments. Plus vous êtes malades, plus vous devez payer : c’est la fin du principe de solidarité qui fonde la Sécurité sociale.
Dans la droite ligne de ce mépris des malades les plus précaires, Roselyne Bachelot-Narquin a augmenté en septembre 2009 le forfait hospitalier. Les frais d’hospitalisation sont passés de 16€/jour à 18€/jour. Une charge supplémentaire de 200 millions d’euros pour les ménages, et une répercussion sur les tarifs des mutuelles santé, pour qui a les moyens d’en bénéficier.
En France, moins de 20% des PVVIH ont une activité professionnelle, les autres subsistent avec des prestations sociales, notamment l’AAH (Allocation Adulte Handicapé) qui les maintient sous le seuil de pauvreté mais au-dessus du plafond de ressources ouvrant droit à la Couverture Maladie Complémentaire (CMU), dont les bénéficiaires sont dispensés du paiement du forfait hospitalier.
Roselyne Bachelot-Narquin a justifié cette augmentation en parlant des frais d’hospitalisation comme des « frais d’hôtellerie ». Comment qualifier ainsi les 18 €/jour dont devra s’acquitter le bénéficiaire de l’AAH (696,63€/mois au 1er avril 2010) qui n’a pas les moyens de s’offrir une mutuelle, pour être hospitalisé ?
Projet de mise en place d’un droit d’entrée à l’AME : faire payer toujours plus les plus pauvres (épisode 2)
Mi-juin 2009, auditionnée par la Commission des finances du Sénat, Roselyne Bachelot-Narquin, a annoncé qu’elle voulait mettre en place un droit d’entrée annuel de 15 euros à l’Aide Médicale d’Etat. L’AME est le dispositif d’accès aux soins pour les personnes en situation irrégulière qui gagne moins de 610 euros par mois.
Roselyne Bachelot-Narquin fait cette proposition :
– alors que parmi les 200 000 sans-papiers qui ont l’AME, le nombre de personnes séropositives a progressé de 27% en 2009,
– alors que toutes les études montrent que les personnes en situation irrégulière sont les premières victimes du retard aux soins. Dans un contexte de répression permanente des sans-papiers, Médecins du Monde a constaté une progression de plus de 7% en 2008 du nombre de personnes en situation de retard aux soins venues les consulter.
– alors que pour les étrangers en situation régulière et les français qui sont, à la CMU-C, selon les mêmes conditions de ressources, une exemption des franchises avait été arrachée par les associations, car ces sommes seraient insupportables pour les personnes les plus pauvres et entraîneraient des renoncements au soins massifs.
Avec la mise en place de ce droit d’entrée, les personnes en situation irrégulière devront retarder leur accès aux soins, ils seront soignés alors qu’ils sont plus malades et ils mourront plus vite.
Alors qu’en matière de réduction des risques pour les usagers de drogue la ministre de la santé entend finalement le consensus scientifique et les acteurs de la lutte contre le sida, pourquoi pour l’accès aux soins des plus pauvres Roselyne Bachelot-Narquin satisfait-elle les revendications de l’extrême droite ?
Si Roselyne Bachelot-Narquin met en place ce droit d’entrée,
elle sera la première ministre de la santé à remettre en cause le principe des soins gratuits pour les plus démunis institué en 1893 !
pour elle, la vie d’un sans-papiers ne vaut rien.
[1] Act Up-Paris, Asud, Anitea, Safe, Sos Hépatites Paris, Gaïa, salledeconsommation.fr