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L’affaire Viracept

mardi 13 novembre 2007

Entre juin et octobre, le feuilleton Viracept® a préoccupé les associations de lutte contre le sida et inquiété les malades. Des informations incomplètes et contradictoires se sont succédées. Il nous semble important de faire le point afin de clarifier une situation encore peu claire pour les personnes qui prennent ou ont pris ce médicament.

Le Viracept® (nelfinavir) est un antirétroviral, inhibiteur de la protéase, produit depuis 1997 par le laboratoire Roche, sous forme de comprimés à 250 mg et de suspensions buvables. Le 5 juin 2007, Roche informait l’EMEA que certains lots de comprimés, produits depuis mars 2007, étaient contaminés par du Méthane Sulfonate d’Éthyl (EMS). Cette substance a été découverte après que plusieurs personnes se sont plaintes d’une « odeur bizarre ». La seule chose alors connue est que l’EMS est une substance cancérigène chez le rat, mais on ne sait pas s’il s’agit d’une toxicité déclenchante ou d’une toxicité seuil, et il n’y a aucune information sur la toxicité chez l’homme.
Le laboratoire Roche met alors en place un numéro vert*, et l’AFSSaPS invite, par alertes multisupports, les personnes traitées à rapporter leurs boîtes à leur pharmacien et à rencontrer leur médecin pour trouver un traitement alternatif.

Cafouillages

Mais alors que Roche n’organise le rappel des lots incriminés qu’en Europe, l’AFSSaPS et l’EMEA continuent dans un premier temps à écrire qu’il n’y a « pas de risque immédiat » et que les « conséquences potentielles d’une exposition à moyen et long terme sont en cours d’évaluation ». L’information circule mal. En France, la communication aux médecins et aux associations se met très lentement en place. Les premiers témoignages d’Afrique, désastreux quant aux changements de traitements, commencent à nous parvenir. Le TRT-5, groupement interassociatif thérapeutique, décide alors d’écrire à tous les prescripteurs pour les inciter à rappeler leurs patients sous Viracept® afin de leur proposer un traitement alternatif, et insiste pour obtenir une réunion avec l’AFSSaPS.

Expertises au sommet

Un groupe d’experts toxicologues se réunit à Londres le 13 juin et estime que les données disponibles sont insuffisantes pour établir les taux de toxicité de l’EMS chez l’homme : l’EMEA demande alors à Roche de réaliser de nouvelles études chez l’animal pour mieux quantifier la toxicité du contaminant. Les premiers résultats devraient être disponibles d’ici à la fin de l’année 2007.

Le 20 juin, l’EMEA recommande à l’Europe de suspendre l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) du Viracept®, et décide d’analyser tous les lots sortis depuis 1997. La Commission Européenne donnera, très rapidement, l’ordre à tous les gouvernements de diffuser l’information de l’EMEA en temps réel. Le 21 juin, l’AFSSaPS annonce la mise en place d’une cohorte de suivi. Le TRT-5 de son côté envoie un courrier officiel au PDG de Roche, exigeant qu’il assume ses responsabilités, en réalisant les études nécessaires et en communiquant correctement en direction des malades (L’Afssaps continue d’informer les professionnels de santé et a mis en place une [adresse mail à leur intention->viracept@afssaps.sante.fr).

La conférence de Sydney

La firme pharmaceutique profite de la conférence de l’IAS à Sydney en juillet pour organiser deux réunions : la première le 22 juillet avec les associations (TRT-5, ECAB, EATG, etc.), la seconde le 23 juillet avec les ONG qui fournissent des traitements dans les pays en développement. Réunions de pure langue de bois qui tentent de rassurer les associations, mais où aucune vraie réponse n’est apportée, si ce n’est l’affirmation orale que la poudre de Viracept® n’a jamais connu de taux d’EMS supérieurs à 1,4 ppm (partie par million), seuil de toxicité chez l’animal.

Présents le 22 juillet, nous ne l’entendons pas ainsi et publions dès le lendemain un « faux » communiqué de presse où nous listons les promesses de Roche : prise en charge des frais occasionnés par les changements de traitements, les réunions des autorités sanitaires, le rappel des comprimés contaminés, les études épidémiologiques et indépendantes. Roche réplique aussitôt, en corrigeant les « inexactitudes » de notre communiqué de presse. Malgré tout, des articles commencent à paraître dans la presse grand public, comme le Figaro, et dans des revues médicales comme Destination Santé, qui rapporte « l’incurie, la mauvaise volonté et la lenteur dénoncées par le TRT-5 ».

Le 7 août, le laboratoire communique officiellement sur le fait que l’EMS possèderait une dose-seuil toxique chez l’animal, non atteinte dans les lots incriminés. Les dirigeants prétendent ensuite avoir communiqué aux agences de santé les détails des niveaux de contamination par lot, ce que l’AFSSaPS va démentir par la suite. Comme si la situation n’était pas assez embrouillée, Roche ajoute que certains pays n’auraient pas reçu de lots « fortement contaminés ». Ce ne serait pas le cas de la France. Ils s’engagent par contre à payer les frais supplémentaires liés au rappel des produits contaminés, mais sans prendre en charge les frais liés aux traitements de substitution, ni l’indemnisation des victimes. Le 7 août toujours, la Commission européenne décide de la suspension de l’AMM du Viracept® dans l’ensemble des pays membres de l’Union.

L’importation américaine

Aux Etats-Unis, au Canada et au Japon, seules régions du monde où Roche ne le distribue pas, c’est le laboratoire Pfizer qui produit et commercialise le nelfinavir. Or la législation française permet, lorsqu’un médicament n’est disponible qu’à l’étranger, qu’un médecin dépose pour un ou plusieurs de ses patients une demande d’Autorisation temporaire d’utilisation (ATU) auprès de l’AFSSaPS, ce qui équivaut alors à une demande d’importation. Le 24 août, l’EMEA annonce qu’elle ne s’oppose pas à des importations ponctuelles du Viracept® produit par Pfizer pour des malades donnés.
Malheureusement, le 11 septembre, la Food and Drugs Administration (FDA, l’agence américaine du médicament, l’équivalent de l’AFSSaPS aux USA) avertit à son tour que le nelfinavir produit par Pfizer souffre d’une contamination identique à celle des usines de Roche en Europe, et met en garde contre les risques encourus, sans pour autant le retirer du marché. Revenant sur sa décision du 24 août, l’EMEA communique alors sur l’impossibilité d’importer en ATU du Viracept® américain.

Mi-septembre, le laboratoire Roche ayant pu modifier son procédé de fabrication, le présente à l’EMEA, qui publie alors un communiqué de presse recommandant à l’Europe de lever la suspension d’AMM du Viracept®. Le 19 octobre, la Commission Européenne suit ces indications et décide de lever l’interdiction de commercialisation du Viracept®. S’il ne fait pas de prévisions pour la recommercialisation de la suspension buvable, le laboratoire Roche prévoit que le Viracept® sous forme de comprimés soit à nouveau disponible dès janvier 2008.

La contamination elle-même

Il aura fallu plusieurs semaines pour comprendre l’origine de l’accident. Lorsque le principe actif du Viracept® est fabriqué, il subit une batterie de tests, dont une spectrométrie de masse, pour chercher d’éventuels contaminants, puis est ensuite stocké dans une cuve. Or, dans le cas des lots incriminés, cette cuve contenait des restes de méthyl sulfonate acide, c’est la réaction par oxydoréduction avec la base du principe actif, qui va donner l’EMS. Pour terminer la fabication du Viracept et le transformer en produit fini (comprimé ou suspension buvable), on reprend le principe actif sans refaire de vérification puisqu’on pense avoir déjà tout vérifié auparavant !

Actuellement

Aujourd’hui le nouveau procédé de fabrication, validée par l’EMEA, prévoit :
 de contrôler de principe actif et le produit fini ;
 de traquer l’EMS mais également le MMS, un autre produit dangereux susceptible d’apparaître ;
 d’organiser des « études de dégradation », pour mieux prévoir quels produits peuvent apparaîtrent, même dans les cas les moins prévisibles.
La communication de Roche a été et reste désastreuse. On ne sait toujours rien ni de l’importance de la contamination, ni des dangers de l’EMS : tératogène ? cancérigène ? mutagène ? risques pour le fœtus et pour l’enfant ? Les études toxicologiques sont néanmoins en cours chez les animaux et chez l’homme grâce aux cohortes DMI-2 et Aquitaine.

L’EMEA a demandé que le laboratoire Roche constitue un registre pour les pays européens. Cela a permis la création de trois cohortes de suivi : une première regroupant les personnes exposées de mars à juin 2007 ; une deuxième consacrée aux femmes exposées durant leur grossesse entre janvier 1998 et juin 2007 ; et une troisième pour les enfants exposés de mars 1998 à juin 2007, directement ou in utero. Le suivi est censé être de deux ans, mais il sera sans doute prolongé à dix ans.

A retenir

Même si le problème concernant la qualité du Viracept® n’est survenu que dans les lots produits depuis début 2007, les différentes agences de santé européennes recommandent par le biais de l’EMEA de le signaler ou rappeler à votre médecin en indiquant, si possible, la période de prise et de lui donner des moyens de vous contacter facilement en cas d’élément nouveau. Ces recommmandations concernent les personnes exposées de mars à juin 2007, les femmes exposées durant leur grossesse entre janvier 1998 et juin 2007 et les enfants exposés de mars 1998 à juin 2007, directement ou in utero.


Le 0800 88 17 87 pour les personnes qui prennent ou ont pris du Viracept® et pour les prescripteurs.