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L’art de cultiver le mensonge

lundi 30 octobre 2006

Didier Lestrade a rédigé une chronique dans le JDS de septembre dernier, n° 188, où il pose la question de l’impact contreproductif du combat associatif dans le domaine thérapeutique. Selon lui, à force d’évoquer les aspects les plus noirs de la maladie, contraintes et effets indésirables des traitements surtout, nous masquerions les réels progrès obtenus et, plus grave, découragerions les personnes à commencer ou prendre correctement leurs traitements*. Nous souhaitons répondre ici, sans engendrer une polémique que le titre de sa chronique, « Mensonges » et certains arguments avancés pourraient autoriser.

Depuis plus de 15 ans, les associations de malades comme Act Up, et les autres membres du groupe TRT-5 suivent, souvent pressées par l’urgence, l’apparition de nouvelles molécules actives contre le VIH. Chacune nous rend plus confiants dans l’avenir. Pourtant, il fut une époque où la bataille fut rude : les effets secondaires des antirétroviraux sont devenus des effets indésirables ! Que d’heures, de communiqués, d’articles, de zaps et de palabres pour en arriver là ! Anémie, nausées, diarrhées, lipodystrophies, troubles du métabolisme, fatigue, etc. (liste non exhaustive !), d’abord considérés comme des à-côtés inéluctables, sont aujourd’hui intégrés comme un aspect essentiel de la mise sous traitement notamment en raison de leur répercussions possibles sur leur adhérence.
Chaque année, certains traitements se simplifient : le nombre de prises par jour diminue, le nombre de comprimés à avaler aussi, la pile des boîtes de médicaments dans les tiroirs et dans le frigo est moins stupéfiante ! ! La qualité de vie est meilleure, sans doute. Et nous sommes les premiers à nous féliciter de ces progrès. Mais grâce à qui ? Pense-t-on vraiment que le corps médical et les laboratoires se seraient adaptés aussi vite à la réalité de la maladie et des contraintes des traitements sans l’activisme thérapeutique des associations de malades ?

Dire et ne pas laisser taire

Certes, comme dans toutes les pathologies lourdes, les médecins cherchent à rendre supportables les contraintes du traitement et ses effets indésirables. Mais l’infection à VIH est, en plus, une maladie chronique engageant le pronostic vital et nécessite de ce fait des traitements à vie, à doses massives. Ces doses nécessaires au maintient d’une charge virale indétectable restent très élevées au regard des autres maladies chroniques engageant le pronostic vital recensées (hypertension, asthme, diabète, arthrite, maladies cardio-vasculaires). Notre vigilance doit donc rester la même. Si les nouvelles molécules semblent avoir moins d’effets secondaires le recul est-il suffisant pour le dire ? Ne négligeons pas non plus le phénomène de résistances aux antirétroviraux. Preuve en est, aujourd’hui, les laboratoires communiquent d’abord sur les profils de résistance de leurs nouvelles molécules pour en vanter les mérites au détriment des efforts nécessaires pour réduire les effets secondaires. N’oublions pas qu’actuellement deux personnes sur trois sous traitement risque de développer une lipodystrophie.

Chaque fois que nous entendons des scientifiques ou des journalistes nous parler de nouvelles molécules à l’essai, c’est avec un enthousiasme qui tient plus souvent de la logique marketing que de la rigueur scientifique On annonce de nouvelles associations de médicaments dont l’efficacité sera renforcée, de nouveaux concepts de prise en charge. Une nouvelle classe d’antirétroviraux ? Par exemple, les anti-CCR-5, nous ont été présentés comme une nouvelle classe particulièrement prometteuse. Notre vigilance a été plus que jamais utile : toxicité hépatique, mutations du virus qui devient résistant très vite, entre autres. Deux des trois molécules testées ont ainsi été abandonnées.

Alors, pourquoi avoir une position différente de celle d’hier, quand nous nous réjouissions de l’arrivée des antiprotéases, rappelant dans le même temps que « l’épidémie n’est pas finie » ? Il faut sans doute diversifier notre discours, mieux le diffuser, rendre plus visibles tous les aspects, notamment positifs, de la prise en charge actuelle de l’infection à VIH, mais ne jamais cesser d’être aux aguets face aux discours triomphalistes scientifique, technologique, pharmaceutique, face aux médias incompétents ou trop enthousiastes, face au refus des administrations de considérer les contraintes et les effets des traitements comme un handicap. Doit-on encore le dire ? Si nous insistons à ce point sur tout ce qui va mal dans la lutte contre le sida, c’est parce que personne d’autres que nous, associations de malades, ne le fera. Informer sur l’infection à VIH est un exercice particulièrement difficile : ne pas cacher la vérité pour mettre en garde les séronégatifs, ne pas inquiéter plus que de mesure les séropositifs sous traitement, ne pas dissuader les séropositifs sans traitement d’en démarrer un. En plus de cela nous portons aussi la voix des malades à l’ensemble du corps médical, mais nous nous devons aussi de tempérer l’enthousiasme intéressé des laboratoires en leurs rappelant que les études post-AMM doivent être menées.

Public

Les informations diffusées dans Protocoles sont destinées à des publics variés, à savoir les séropositifs en quête de données sur la prise en charge actuelle ou à venir, tout un personnel médical accompagnant cette démarche, certaines firmes pharmaceutiques impliquées dans le domaine du VIH, mais aussi des institutions, telles que l’ANRS, ou l’AFSSaPS. Cela implique de la part de tous ceux et celles qui participent à la rédaction de Protocoles de ne jamais oublier combien cette démarche doit être accessible et multiple.
Élargir notre discours ? Oui. Pour mieux aider ceux qui doivent faire face au quotidien de la maladie, mais il doit toujours refléter la permanence de notre combat pour accompagner la recherche dans toute sa vérité. En un mot, ne jamais mentir !


* Inutile de rappeler en détails qu’en Afrique du Sud, ce qui décourage les personnes à prendre leurs traitements, ce ne sont pas les associations, mais bien le gouvernement lui-même, qui accrédite la thèse que les antirétroviraux sont un poison. Parler dans ce cas de mensonge associatif est proprement aberrant. Manto Tshabalala-Msimang, la ministre de la Santé, prétend toujours que le VIH ne cause pas le sida, que les antirétroviraux sont inefficaces, et qu’une alimentation saine, accompagnée d’un traitement à base d’ail et de jus de citron, permet de contrôler la maladie...