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L’État camerounais doit réagir contre les essais inéthiques pas contre les malades

jeudi 20 janvier 2005

Aujourd’hui, jeudi 20 janvier 2005, une dizaine de militants d’Act Up-Paris ont investi l’ambassade du Cameroun pour dénoncer le laxisme criminel de cet État. Celui-ci accepte que le laboratoire Gilead utilise des prostituées comme de véritables cobayes pour tester sa molécule Tenofovir/Viread® dans le cadre d’un essai inéthique [1] sur lequel nous l’alertons depuis plusieurs mois. Les militants d’Act Up-Paris ont été brutalement pris à parti et mollestés, des coups portés, des injures homophobes et des menaces ont été proférés, un manifestant a été séquestré dans un bureau après que des menaces comme « ce pédé-là, on va bien le baiser » ont été prononcées à son encontre.

Le laboratoire Gilead a choisi de tester sa molécule Tenofovir/Viread® chez l’être humain, afin d’étudier son indication comme traitement prophylactique pour prévenir l’infection à vih. Cet essai est organisé dans 4 pays en voie de développement (Ghana, Cameroun, Nigeria et Cambodge) et sponsorisé par la fondation Bill et Melinda Gates à hauteur de 6,5 millions de dollars. La méthodologie adoptée est celle d’un essai randomisé en deux groupes (Tenofovir/Viread® contre placebo) l’un recevant effectivement la molécule, l’autre prenant un comprimé ayant le même aspect mais ne contenant pas de principe actif (placebo). À la fin de l’essai, le nombre de séropositifs sera dénombré dans chacun des bras, ce qui revient à compter les morts.

Pour des raisons financières, le laboratoire a fait le choix d’organiser cette série d’essais dans des pays du sud plutôt qu’au Nord où la probabilité d’être exposé au vih, en population générale, est plus faible. Le laboratoire aurait dû inclure au moins 100 fois plus de personnes au Nord qu’au Sud pour obtenir des résultats significatifs. Comble du cynisme, Gilead a choisi d’inclure les personnes les plus vulnérables, des prostituées, qui sont fortement exposées au risque de contamination par le vih. La stratégie de Gilead va à l’encontre des règles éthiques et répond avant tout à des considérations économiques.

D’une part nous dénonçons :
 le fait de mener un essai préventif sur les prostituées des pays en développement. Les prostituées appartiennent à un groupe précarisé, stigmatisé, sans statut légal. De plus, elles doivent affronter de perpétuelles négociations avec les clients pour imposer des rapports sexuels protégés. Au Cameroun, on estime qu’un rapport sexuel tarifé sur deux n’est pas protégé.

D’autre part, la prise en charge des personnes incluses est inadmissible à plus d’un titre :
 les modalités d’incitation à entrer dans l’essai et la rémunération. L’essai propose un accès aux soins et aux traitements contre les infections sexuellement transmissibles (IST) qui font cruellement défaut au Cameroun. Cette disposition, a priori généreuse, est en réalité un moyen d’influencer le consentement des personnes et de s’assurer de leur assiduité aux examens médicaux indispensables au recueil de données prévu par le protocole. De plus, une indemnité de 3 dollars par visite mensuelle qui couvre les frais de transport et le manque à gagner est prévue. Ce versement complète un dispositif cynique fondé sur le chantage.
 L’absence de programme de prévention et d’éducation à la santé. Même si les personnes incluses connaissent l’existence d’un bras placebo, un essai de traitement prophylactique peut leur laisser penser que la molécule qu’elle prendront les protègera des risques de contamination. Pour neutraliser ce risque, il conviendrait de mettre en place un dispositif de « counseling » individuel et renforcé. De plus, le programme de prévention est piloté par l’ONG locale Care and Health Program qui est également chargée de mener l’essai à son terme. Il y a là un évident conflit d’intérêt. Enfin, aucun accès au préservatif féminin n’est prévu et les moyens mis en œuvre pour accompagner les personnes sont dérisoires avec seulement 5 travailleurs sociaux pour 400 personnes incluses.
 Prise en charge des personnes séropositives au terme de l’essai. Aucun suivi médical ni accès aux traitements antirétroviraux n’est prévu pour les personnes dont la séropositivité au vih est découverte à l’inclusion, ni pour celles qui sont contaminées pendant l’essai. Ces dispositions de suivi et d’accès aux traitements sont pourtant un engagement minimal que les promoteurs d’essais doivent respecter à partir du moment où la personne a accepté de participer à une recherche.

Ce réquisitoire a déjà été médiatisé par les actions publiques des associations de lutte contre le sida lors de la conférence de Bangkok (juillet 2004) en partenariat avec les travailleuses du sexe cambodgiennes et thaïlandaises. Elles ont poussé le Premier ministre cambodgien Hun Sen à interdire l’essai dans son pays.

Nous exigeons des autorités sanitaires camerounaises de suspendre le déroulement de l’essai en attendant que le laboratoire Gilead, le promoteur de l’essai (Family Health International) et son sponsor la fondation Bill et Melinda Gates financent :
 la mise en place d’un vrai dispositif de « counseling » individuel de prévention pour favoriser l’usage du préservatif féminin et masculin par les prostituées ;
 un programme de prévention piloté par une ONG indépendante de Care and Health Program, organisation chargée de l’essai au Cameroun ;
 la prise en charge complète des personnes séropositives qui ont été dépistées à l’entrée ou pendant l’essai (suivi médical, traitements contre les infections opportunistes, antirétroviraux si nécessaire).


[1Cet essai à fait l’objet d’un reportage très critique, intitulé « Médicaments : ce que les labos ne disent pas », diffusé sur France 2 dans l’émission " Complément d’Enquête " le lundi 17 janvier 2005.