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Morceaux choisis d’une nouvelle politique européenne de lutte contre le sida

décembre 2000

Le Conseil du Développement de l’Union européenne, pour introduire sa récente résolution sur les maladies transmissibles, “ reconnaît que la santé est un bien public mondial ”.
Bonne nouvelle.

Pourtant, si la santé appartient à tout le monde, les traitements, eux, appartiennent malheureusement en exclusivité aux grands laboratoires pharmaceutiques, tandis que les États du Sud ont surtout l’apanage de la maladie et de la mort. Cette contradiction violente est enfin apparue à la Commission européenne, qui, dans son nouveau programme de lutte contre “ les trois principales maladies transmissibles ” (sida, tuberculose, paludisme), tente de la résoudre tant bien que mal. Les recommandations issues de ce Conseil du Développement doivent prendre le problème à bras le corps. Evidemment, elles resteront inscrites dans les limites imposées par le respect forcé de la propriété intellectuelle, des brevets et du monopole absolu des grands labos avec lesquels négocie actuellement le Commissaire européen du Commerce, M. Lamy. Mais bon, on ne peut pas en demander trop à des gens qui ont nié pendant des années la simple nécessité de soigner les malades.

L’issue de ces négociations avec l’industrie pharmaceutique - auxquelles personne d’autre que M. Lamy n’a été convié - pourrait d’ailleurs être plus déterminante que les discussions en cours sur le nouveau programme de l’Union. On imagine aisément un “ deal ” vite passé : l’Union européenne allonge l’argent, les labos baissent un peu leur prix pour les pays pauvres, et hop, le tour est joué, on laisse de côté ces histoires de production locale et de génériques, de licences obligatoires et d’importations parallèles.

Prière : M. Lamy, s’il vous plaît, quelles que soient les concessions tarifaires que les Glaxo-Smithkline, Merck, Abbott ou Roche vous font miroiter, imposez la compétition avec les génériques, n’offrez pas sur un plateau le “ marché du sida ” aux quelques labos de marque, ne contraignez pas les pays en développement à se subordonner aux multinationales.

Le Conseil du Développement reconnaît “ les succès mitigés dans la lutte efficace et à grande échelle contre ces trois principales maladies transmissibles ”. Rien d’étonnant compte tenu de la politique absurde menée jusqu’à présent, consistant à verser 53% du budget à la prévention sans financer les soins et les traitements. Il faut donc “ optimiser l’impact des politiques de santé et de développement, notamment en matière de prévention et d’éducation ”. Le plan d’action qui découlera d’une telle recommandation risque fort de rester fidèle au credo des plus ringards experts de l’OMS : on n’aurait qu’à mettre les bouchées doubles sur la prévention, cibler les populations à risque un peu mieux, élargir l’accès aux préservatifs en faisant appel à des boîtes de service type “ marketing social ”, renforcer l’accès aux soins communautaires pour les pauvres en leur demandant de s’organiser eux-mêmes, construire quelques usines à orphelins en réduisant la transmission mère-enfant sans soigner les mères et leur conjoint, vite fait bien fait, et tout ira mieux.

Là où l’Union pourrait par contre rendre service aux séropositifs des pays en développement, c’est lorsqu’elle s’enjoint à travailler à “ la réduction des coûts de la prise en charge des soins, entre autre par la baisse des prix des produits pharmaceutiques et des traitements ”. Elle préconise notamment un “ soutien accéléré aux politiques pharmaceutiques et aux capacités techniques des pays concernés ”, “ le renforcement des capacités de production et de contrôle de qualité ”, “ l’amélioration de la transparence des prix et des coûts des médicaments ” - là, on lui souhaite bon courage. Le Conseil prône, en outre, “ la mise en œuvre d’un système de prix réduits et l’examen des mesures, y compris législatives, requises pour l’établissement d’un tel système qui devrait prévenir la réexportation parallèle des médicaments vers les marchés solvables, notamment ceux des pays développés ”. On se demande ce qu’il faut encore comme garanties aux labos pour accepter de pratiquer des prix différents entre Nord et Sud. On nous propose également “ la mise en place d’un système de prix différenciés sur le modèle en vigueur pour les vaccins ”. Espérons que les grands labos ne seront pas seuls à dicter leurs conditions dans ce cadre et que les fabricants de génériques seront invités.

Le meilleur est pour la fin : le Conseil “ rappelle la possibilité de recourir à des systèmes de licences volontaires ”, c’est-à-dire de produire ou distribuer un traitement sous brevet moyennant royalties au détenteur de la marque - avec son accord. Il stipule également “ l’existence, aux termes de l’Accord sur les Aspects de Droit de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC), de la flexibilité permettant l’utilisation de licences obligatoires, notamment pour protéger la santé publique ”. Si l’on ajoute à cela le fait que la Commission du Commerce a finalement admis que les pays recourant à des licences obligatoires pouvaient vendre une partie de leur production à l’export, on pourrait presque penser que la solution est à portée de main.

Pourtant, aucun des pays qui ont tenté d’utiliser ces dispositions légales pour développer l’accès aux traitements pour ses malades n’est jusqu’ici arrivé à ses fins. L’Union européenne emboîtant le pas aux Etats-Unis n’a pas hésité à soutenir les grandes compagnies pharmaceutiques pour faire pression sur les pays pauvres un peu trop téméraires. Si le Conseil de l’Europe souhaite nous convaincre de sa volonté de lutter contre l’épidémie, il faudra qu’il fasse plus que rédiger d’aimables recommandations. Il faudra qu’il passe à l’acte au plus vite et soutienne financièrement et politiquement la production locale de médicaments génériques ainsi que l’organisation de marché régionaux dans les pays pauvres.