Accueil > L’association > La judiciarisation de la transmission du VIH

Action=Vie

La judiciarisation de la transmission du VIH

février 2009

En France, aucun texte de loi ne réprime les séropositifs en cas de transmission du VIH.
Pourtant, en 1991 lors de l’examen de la réforme des dispositions du code pénal, le Sénat avait adopté un amendement faisant de la transmission du virus du sida une infraction punissable d’un emprisonnement de trois ans et d’une amende. Suite aux pressions associatives, notamment d’Act Up-Paris, cette disposition avait ensuite été supprimée par l’Assemblée nationale.

Depuis plusieurs années, les procès liés à la transmission du VIH-sida se multiplient en France et dans le monde. Si les premières procédures judicaires concernaient des hommes hétérosexuels, aujourd’hui elles également des femmes ou des homosexuels. Plusieurs séropositifs ont été condamnés à des peines de prison et sont actuellement en détention. La position d’Act Up-Paris est relativement ferme, nous sommes opposés à toute forme de judiciarisation de la transmission du virus du sida, cela a été le mot d’ordre de notre dernière manifestation du 1er décembre. Sur cette position, il y a évidemment plusieurs raisons : pour nous, ces procès ne servent pas à la lutte contre le sida, nous pensons également que lors d’une transmission sexuelle du VIH/sida, il n’y a ni coupables, ni victimes et qu’en l’occurrence il y a d’abord un virus qu’il faut combattre. Nous refusons de prendre parti pour l’une ou l’autre des personnes parties au procès. Mettre un séropositif en prison pour nous, n’a jamais permis de lutter contre l’épidémie rappelons à cette occasion l’incompatibilité des conditions de la détention avec la séropositivité. La pénalisation de la transmission sexuelle du VIH/sida ne nous semble pas constituer une réponse de santé publique, au contraire elle pourrait constituer un frein à des politiques de dépistage. Par ailleurs, elle pourrait constituer une fausse protection pour une population qui ne semble pas être concernée par le VIH/sida. Au contraire, Act Up-Paris réclame des réponses de santé publique : des campagnes de prévention qui abordent la question de l’infidélité par exemple ou qui porte sur la non-discrimination des personnes séropositives. Il s’agit ici de mettre à disposition des personnes concernées des informations précises sur la judiciarisation de la transmission sexuelle du VIH/sida, il ne s’agit pas d’appuyer la position d’Act Up-Paris ou de la défendre. Pour nous, il est d’abord nécessaire que les personnes concernées, qu’elles soient séropositives ou séronégatives, plaignantes ou accusées, puissent disposer d’une vision claire de l’état du droit et de la jurisprudence.
C’est pourquoi, il est intéressant de voir selon quelles modalités la responsabilité de celui qui a transmis le VIH peut être engagée.

I. La responsabilité pénale

Le Droit pénal est la branche du droit qui détermine quelles sont les conduites socialement acceptables. Il concerne les relations entre les individus et la sociéte. L’infraction peut donc être définie comme l’acte qui ne respecte pas les régles de la sociéte et qui est sanctionné à ce titre, par une peine.
Pour ce qui est de la responsabilité éventuelle de séropositifs dans la transmission sexuelle du VIH à des partenaires, les plaintes déposées l’ont été sur plusieurs fondements. Seul l’un d’entre eux a été retenu par les juges : l’administration de substances nuisibles.

A. La mise en danger de la personne

Selon l’article 223-1 du Code penal “Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou blessures de nature à entraîner une mutilation ou un infirmité permanente par violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende”.
Cela n’a pas été retenu par les juges car il n’est pas possible de reprocher à la personne séropositive de désobéir à la loi ou au règlement en dissimulant son état sérologique alors qu’il en avait connaissance.

B. L’empoisonnement

Selon l’article 221- 5 du code penal “Le fait d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort constitue un empoisonnement. L’empoisonnement est puni de trente ans de réclusion criminelle”.
Plusieurs plaintes ont été deposes à partir de ce fondement contre certains médecins, notamment lors de l’affaire du sang contaminé, le Dr Garetta par exemple. La Cour de cassation a considéré qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer ce texte car celui –ci nécessite une intention de tuer. Les médecins qui se sont rendus coupables d’avoir transmis le VIH, n’avaient pas l’intention de tuer les malades, ils prenaient le risque de les contaminer. C’est pour la même raison que ces dispositions n’ont pas été appliquées par les juges aux personnes séropositives qui n’informent pas ou qui dissimulent à leur partenaire, leur statut sérologique : ils ont été imprudents, ils ont pris le risque de les contaminer sans avoir l’intention de les tuer .

C. L’administration de substances nuisibles

Toutes les personnes condamnées pour transmission du VIH l’ont été sur la base de l’article 222-15 du Code pénal : la répression de l’administration de substances nuisibles.
Comme pour toute infraction, pour condamner une personne pour administration de substances nuisibles, il faut que deux éléments constitutifs soient réunis : un élément matériel et un élèment moral.
L’élément matériel est la transmission du virus de l’immunodéficience humaine.
Jusqu’à présent, cette qualification visait des corps solides comme l’arsenic, liquides ou gazeux et des modes d’administration différents (voies buccale, respiratoire, cutanée, anale). Aujourd’hui, on a affaire à un nouveau mode d’administration : les relations sexuelles supposées mortifères.
L’élément intentionnel repose sur la connaissance du caractère nuisible. Il faut donc que la personne sache qu’elle est séropositive et qu’elle risque de contaminer son partenaire.
En ce qui concerne la transmission de la mère à l’enfant, le droit français ne conçoit pas la plainte de l’enfant contre sa mère qui lui aurait transmis le VIH.
La preuve de cette infraction ne nous semble pas possible de façon certaine. En l’état actuel des connaissances scientifiques, il est impossible d’apporter une preuve scientifique attestant que c’est X qui a contaminé Y.
Par ailleurs, la réponse juridique nie complétement la difficulté de dire son statut sérologique et d’assumer une maladie encore honteuse qui entraîne souvent rejet, stigmatisation et discrimination.

D. Le viol

Certains juristes suggèrent une autre répression possible qui est celle du viol qui est défini comme “tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise.” On pourrait considérer qu’avoir un rapport sexuel avec une personne en dissimulant sa sérologie consiste en un viol dès lors qu’on procède par surprise au sens du droit, c’est-à-dire en dissimulant à son partenaire sa séropositivité.

Ce qu’il faut retenir : Si vous êtes séropositifs, pour la loi française vous n’êtes absolument pas tenu de réveler à quiconque votre statut sérologique.
Avec votre partenaire sexuel, vous êtes légalement tenu de le mettre au courant dès lors que vous risquez de le contaminer.
Si le préservatif rompt, il faut informer le partenaire car une trithérapie d’urgence est possible. Si vous ne l’informiez pas, il pourrait juridiquement vous reprocher de lui avoir fait manquer la chance de ce traitement.

II. La responsabilité civile

Pour la responsabilité civile, celle ci se fonde sur deux articles du Code civil, l’article 1382 « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer » et l’article 1383 « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ».
En ce qui concerne la transmission du VIH, les juges considérent que le fait d’être contaminé par le VIH constitue un dommage et condamnent celui qui a transmis le VIH à le réparer. La condamnation se traduit par le versement de dommages et intérêts et celle-ci est souvent importante.
Néanmoins, une personne qui en contamine une autre peut faire jouer son assurance “responsabilité civile “ si sa responsabilité est mise en cause. Cependant il faut que cette personne soit un tiers : si les partenaires sexuels forment un couple (Mariage, concubinage ou PACS), pour l’assurance, cela ne marche pas. On se retrouve donc dans une situation paradoxale puisque plus on est proche de la personne, moins on est assuré.
Par ailleurs, si vous êtes séronégatif et que vous vous exposez volontairement à un risque avec votre partenaire séropositif, d’un point de vue du droit civil, il pourra y avoir un partage de responsabilité et une atténuation de la condamnation de l’autre.

III. La plainte

Si l’on porte plainte contre vous, c’est que la personne se sentira victime d’une infraction pénale.
En ce qui concerne la transmission du VIH, l’administration de substances nuisibles est un délit. Toutefois, cette infraction peut être qualifiée de crime en cas de circonstances aggravantes : c’est notamment le cas lorsque la contamination a lieu au sein d’un couple (Mariage, concubinage ou PACS)

Attention, une fois que la plainte a été déposée il est difficile de faire machine arrière, car même si la personne decide de retirer sa plainte, le ministère public a toujours la possibilité de poursuivre la personne incriminée. Les conséquences d’une responsabilité pénale peuvent être trés lourdes : emprisonnement, casier judiciaire, etc.
Il existe deux types de plainte : la plainte simple et la plainte avec constitution de partie civile.

A. La plainte simple

Il s’agit d’un courrier adressé par la personne plaignante au procureur de la République du Tribunal de Grande Instance du lieu de l’infraction ou du domicile de l’auteur de l’infraction, soit au commissariat de police le plus proche du lieu de l’infraction, qui transmettra la plainte au procureur de la République après avoir effectué une enquête. Il est à noté que le procureur de la République classe souvent sans suite les plaintes simples.
Quelles sont les suites possibles de la plainte ?
Le procureur de la République est saisi de l’affaire et peut faire mener une enquête par la police. Il peut classer sans suite le dossier s’il considère qu’il n’y a pas lieu de donner suites ou bien le poursuivre, s’il estime que l’infraction est constituée. Dans ce cas, il y aura jugement et les juges le condamneront ou non.
Il est possible de faire appel. En règle générale, le délai d’appel est de dix jours à compter du prononcé du jugement ou de l’arrêt de condamnation. Toutefois, le délai d’appel ne court qu’à compter du jour de la signification du jugement lorsque la décision a été prononcée hors la présence du prévenu et que celui-ci n’a pas été informé de la date à laquelle ce jugement serait rendu.

B. La plainte avec constitution de partie civile

Si la plainte permet d’engager la responsabilité pénale de l’auteur de l’infraction, la partie civile, permet à la personne plaignante de demander réparation financière du préjudice subi.
La procédure suivi est celle de la plainte simple avec une qualification que la personne qui a porté plainte a dû préciser, ainsi que l’évaluation de son préjudice, texte du code pénal applicable à l’appui. La constitution de partie civile peut suivre une plainte simple.
Cette procédure nécessite une bonne connaissance de la loi et implique généralement l’aide d’un avocat ou d’une association. La personne plaignante ne peut plus témoigner, mais seulement être entendu sans prestation de serment ; donc son audition a moins de valeur.
L’instruction est menée par un juge d’instruction : c’est une enquête avec l’aide de la police (perquisition, interrogatoire, etc.)
Le procureur de la République, quant à lui, peut soutenir les poursuites s’il considère qu’il y a une infraction. Sinon, il peut donner un avis au juge d’instruction pour que celui-ci prenne une décision de non-lieu.
Le juge d’instruction peut rendre une ordonnance de non-lieu par laquelle il/elle dit qu’il n’y a pas lieu de poursuivre l’accuséE ou une ordonnance de « lieu à suivre » s’il/elle considère que la plainte est recevable. En ce cas, il y aura procès. Il est aussi possible de faire appel.