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publicité directe aux patients : info ou intox ?

lundi 20 mai 2002

Intox officielle

Un groupe de jeunes adultes en pleine forme escaladant une montagne, une lanceuse de javelot musclée en action, ce sont les visuels irréels de publicités pour des médicaments contre le sida que vous ne pouvez pas voir dans vos journaux habituels.

Jusqu’à présent, la publicité directe au consommateur pour les médicaments soumis à prescription est en effet interdite dans tous les pays industrialisés, à l’exception des Etats-Unis et de la Nouvelle-Zélande. Pourtant, la Commission Européenne a émis en juillet dernier une proposition de directive visant à autoriser la publicité directe de l’industrie pharmaceutique à destination des patients, pour trois pathologies (VIH / sida, diabète et asthme), pour une période d’essai de 5 ans.

Cette proposition de directive émane de la Direction Générale du Commerce - et non de la Direction Générale à la Santé et à la Protection des consommateurs - elle a comme objectif affiché la satisfaction du besoin d’information des patients. D’ailleurs, le Commissaire européen au commerce Erkki Liikanen prétend que cette initiative est une réponse « aux demandes réitérées des groupes de patients ». Mais en amalgamant information et publicité, c’est aux industriels qu’on rend service, pas aux patients.

La DTCA

Aux Etats-Unis, la publicité directe aux consommateurs, ou DTCA est pleinement autorisée depuis 1997, et donne toujours lieu à d’importantes controverses. Les publicités présentent régulièrement des affirmations trompeuses et fausses. En 1998, plus de la moitié des produits publicisés à la télévision ont enfreint la réglementation, selon une études américaine citée par HAI, réseau sans but lucratif faisant campagne pour la diffusion d’une information équilibrée et indépendante concernant les médicaments. Le plus souvent, ces infractions consistent à exagérer les bénéfices et à minimiser les risques. Une autre étude publiée dans le New England Journal of Medicine en 2000 révélait que sur 207 DTCA (presse et télévision) analysées, seulement 47% mentionnaient les risques. De plus, sur 170 citant un expert ou une étude scientifique, 50% citaient des experts ou des études liés à l’industriel annonceur.

En quelques années, la DTCA est devenue un gros business. En 2000, 2.5 milliards de dollars ont été consacrés à la publicité directe aux consommateurs. Le problème de fond est que la productivité de la recherche de l’industrie pharmaceutique est actuellement mauvaise et que les nouveaux médicaments ne sortent pas à la cadence nécessaire à leur prospérité future. Alors que les fusions et acquisitions se sont multipliées ces dernières années, il s’agit maintenant de générer des médicaments à très grand succès (les « blockbuster drugs », assurant des ventes de 500 millions de dollars par an ou plus) et la DTCA constitue un moyen efficace d’augmenter les ventes. Comme il s’agit également de se développer sur l’ensemble des marchés (le marché US représente encore 40% du marché mondial), l’industrie pharmaceutique, forte de ses 6.000 lobbyistes à Bruxelles, cherche à rendre la législation européenne en matière de publicité sur les médicaments plus conforme à ses intérêts commerciaux.

Effets pervers

Il importe de souligner que ce genre de publicité a des effets pervers y compris parmi la population non infectée. Aux Etats-Unis, des publicités sur les médicaments contre le sida sont entrées en conflit avec les messages de prévention. Ainsi, une étude américaine a montré que la représentation outrageusement sexy des personnes séropositives dans les publicités pour des médicaments a des effets sur la représentation que se font les jeunes gays séronégatifs de la maladie. L’enquête portait sur 262 patients masculins fréquentant les cliniques de MST de San Francisco. Elle a mis en évidence que les hommes jeunes étaient moins enclins à adopter des pratiques sexuelles safe à cause des images irréalistes associées à ces publicités. En montrant des personnes tantôt hilares, tantôt bodybuildées, ces images portent à croire que le sida peut être effectivement contrôlé. La réalité de ceux et celles qui ont recours à la trithérapie est très éloignée de ces images. De fait, les hommes homosexuels qui avaient été les plus exposés aux publicités étaient plus enclins à avoir des relations sexuelles non protégées avec un partenaire séropositif ou avec un partenaire inconnu (27% contre 16%) et étaient plus enclins à croire qu’avec la trithérapie, le sida était une infection moins grave qu’auparavant (25% contre 17%).

Publicité = Info ?

L’information sur les médicaments et les symptômes est un atout décisif pour combattre sa maladie, mais la confusion menace quand des « informations » de type promotionnel sont représentées comme si elles avaient une vocation éducative. Pourquoi vouloir faire passer de la publicité pour de l’information ? La mission d’information des malades est trop importante pour être laissée à l’industrie pharmaceutique, dont la motivation principale est mercantile. Ce n’est pas des laboratoires que l’on peut attendre les informations dont nous avons besoin, les sources doivent être objectives et non intéressées commercialement parlant.

C’est précisément sur ce point que la Commission européenne et les gouvernements nationaux doivent s’engager : que sont-ils prêt à mettre en œuvre afin d’assurer l’accès à une information médicale de qualité pour les malades et les prescripteurs de médicaments ? Les patients et l’ensemble de la population ont besoin d’informations objectives et indépendantes sur les avantages et inconvénients des traitements. Ce type d’information ne requiert nullement une transformation de la législation, mais simplement une volonté politique.

En outre, croire qu’un encadrement strict suffirait à garantir une bonne information est illusoire. Aujourd’hui, l’EMEA qui serait chargée de veiller à la bonne application de la future législation reconnaît volontiers qu’elle n’aura pas les moyens de contrôler la véracité des publicités en provenance des laboratoires, tandis que l’agence française peine déjà à faire ce travail sur les publicités diffusées au sein de la presse médicale française. Pourquoi ne pas s’attacher plutôt à impliquer les agences du médicament vers un rôle de diffuseur d’information et d’ « empowerment » des malades ?

A bientôt

C’est en juin prochain que le Parlement européen devra discuter le texte de la directive. Il reste donc quelques mois pour lever toutes les incertitudes autour de cette question de la publicité directe aux patients. Au niveau européen, les associations de malades et de consommateurs s’organisent pour qu’un contre-modèle émerge, qui soit favorable aux intérêts des patients. C’est donc naturellement qu’Act Up-Paris, au côté du TRT-5 s’est engagé dans ce combat contre le projet de directive européenne sur la publicité directe.