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La difficile reconnaissance du handicap pour les séropositifVEs

avril 2008

Selon l’enquête Vespa, 35 % des séropositifVEs vivent de l’AAH ou d’autres pensions d’invalidité. Mais si ce recours à l’AAH témoigne bien de la vulnérabilité sociale qui empêche les malades du sida de bénéficier d’un régime classique plus avantageux, il n’en demeure pas moins que son obtention et son maintien relèvent du parcours du combattant.

L’article 2 de la loi pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » du 11 février 2005 stipule que le handicap est légalement constitué dès lors que les conséquences des déficiences ont un impact sur le quotidien de la personne [1] . En ce sens, le handicap doit désormais être envisagé, non pas comme la simple conséquence des déficiences d’un individu, mais bien comme le résultat des interactions entre ces déficiences et son environnement. Plus particulièrement, c’est l’expression « trouble de santé invalidant » qui permet dans cette définition d’affirmer que le VIH est explicitement compris comme constitutif d’un handicap. Et comme nous l’avons vu précédemment, cette reconnaissance est plus que légitime.

Un système de reconnaissance du handicap inadapté

Le montant de l’AAH attribuée dépend des ressources, calculées par la CAF sur l’année civile antérieure. Il y a donc un écart de plusieurs mois, parfois d’un an, entre les ressources actuelles et celles prises en compte pour le calcul du montant de l’AAH. Ce mode de calcul est injuste, en particulier pour les personnes atteintes d’une pathologie évolutive.

Imaginons que, séropositifVEs, nous puissions travailler et obtenir un salaire correct. Notre état de santé peut s’aggraver très rapidement, nous empêchant de travailler, nous contraignant à demander l’AAH parce que nous n’avons plus aucune ressource. Mais la CAF prendra en compte les salaires perçus au cours de l’année civile antérieure, alors même que nous ne touchons plus rien actuellement. Résultat : nos « ressources » dépassant le plafond, la CAF estimera que nous sommes trop « riches » pour y avoir droit.

A l’inverse, dès lors qu’unE malade atteintE d’un handicap souhaite travailler, l’évaluation de son handicap est remise en cause et il ou elle perd le bénéfice de la compensation dudit handicap. Dans ces conditions, s’engager dans un projet professionnel fragilise les malades, qui risquent alors de se retrouver au RMI en cas d’échec, alors même que les discriminations à l’emploi restent fortes.
En outre, de nombreuses personnes séropositives reconnues handicapées ont été « déclassées » par les MDPH, c’est-à-dire le taux de handicap qui leur a été attribué s’est trouvé inférieur au taux de 80 % dont ils et elles bénéficiaient antérieurement.
Par ailleurs, les délais de traitement des demandes sont trop longs. Si les textes prévoient un délai de 2 mois, dans les faits, ce délai est trop souvent dépassé. Selon les MDPH, ce délai est de 4 à 8 mois. De surcroît, la durée pour laquelle l’AAH est accordée est trop courte. L’AAH peut être légalement accordée pour 5 ans. Pourtant aujourd’hui, elle est plus fréquemment accordée pour un an seulement, alors que dans certains cas, aucune amélioration de l’état de la personne bénéficiaire n’est prévisible dans ce délai. Enfin, les pratiques varient selon les MDPH, ce qui est contraire au principe d’égalité des chances, inscrit dans la loi.

Les causes de ces dysfonctionnements

 La reconnaissance du handicap et l’accès à l’AAH relèvent du parcours du combattant.
Pour obtenir l’AAH il faut que les malades fassent remplir un certificat médical spécifique aux demandes d’AAH qui est ensuite examiné par la MDPH. Une équipe pluridisciplinaire au sein de cet organisme fixe alors un taux de handicap de moins de 50 %, entre 50 et 80 %, et plus de 80 %, chaque taux ouvrant des droits et des prestations différents. Seul le stade sida ouvrait droit automatiquement aux 80 % de reconnaissance du handicap, taux qui peut être accordé également hors du stade sida, mais qui nécessite de se battre plus en plus pour l’obtenir.

Une fois le taux de handicap fixé, c’est la CAF qui est chargée de dispenser les prestations accordées. L’intervention de ce deuxième acteur, avec ses propres dysfonctionnements et pratiques parfois arbitraires, n’est pas sans entrave pour le principe de l’égalité des chances. La MDPH est également chargée de proposer un dispositif ou une orientation professionnelle, mais il existe de grandes incohérences et des inadaptations à la réalité des malades, comme des propositions d’emplois précaires, notamment inadaptés aux problèmes de santé des individus).

 Un manque de formation de l’ensemble des acteurs.
Les caractéristiques du handicap chez les séropositifVEs sont notamment de ne pas être visibles. Pourtant certains médecins traitants dont la mission est d’établir un certificat médical décrivant les handicaps dont souffre le malade, peuvent répondre sans avoir établi le moindre diagnostic : « Vous n’avez pas besoin de cela, vous n’êtes pas handicapé, vous ne savez pas ce que c’est. »

Les membres des MDPH qui évaluent nos dossiers, ne sont pas du tout forméEs aux spécificités liées au VIH, et pour beaucoup encore, le lien entre VIH et handicap n’existe pas. La MDPH 75 nous a d’ailleurs exprimé un besoin de formation des praticienNEs hospitalierEs, des médecins généralistes, mais aussi de son personnel.

 Le guide barême est insuffisant et mal appliqué.
Afin d’établir le taux du handicap des demandeurSEs, il existe en France un outil : le guide barème. Il fonctionne par types de déficiences. Ce guide s’appuie sur des degrés de sévérité pour chaque déficience. Le chapitre 6 de ce guide constitue la partie consacrée aux déficiences viscérales et générales dans lesquelles se trouve le VIH.

Le guide barème a été modifié par un décret du 6 novembre 2007 mais malheureusement, les modifications, attendues depuis longtemps, n’ont pas donné lieu à la concertation réclamée par Act Up-Paris. La modification du guide barème est trop récente (novembre 2007) pour qu’on puisse juger de son impact, mais il y a fort à parier que ses effets seront nuls, si celle-ci n’est pas accompagnée à grande échelle d’une véritable action de sensibilisation et de formation à la conception du handicap.

La prise en compte des effets secondaires des traitements, de l’aspect fatigabilité, des situations sociales comme conséquences des déficiences, et donc comme constitutives du handicap, n’est pas encore entrée dans les moeurs. Dans le processus d’évaluation du handicap, il faut presque systématiquement rappeler et s’appuyer sur les termes du guide barème, notamment dans sa dernière version (novembre 2007), pour que les acteurRICEs diversES : médecins qui remplissent le certificat AAH ou équipe pluridisciplinaire des MDPH y ait recours. Dans certaines MDPH, les malades VIH qui ne sont pas accompagnéEs (par une association ou par l’entourage) peuvent se voir refuser iniquement l’accès au dispositif.

Des conséquences humaines intolérables

Il n’est plus à prouver que les dispositions qui régissent aujourd’hui la reconnaissance du handicap sont inadaptées aux pathologies lourdes, incurables et à diagnostic imprévisible (absence de prise en compte des effets secondaires, méconnaissance de la pathologie, restrictions qui interdisent l’accès au complément de ressources, etc.). Ainsi, bien qu’un peu plus du quart des malades soient reconnuEs en invalidité (cette proportion passe de 46 % pour les personnes diagnostiquées avant 1987 à 8 % pour celles diagnostiquées depuis 2000), nombre d’entre nous, faute d’une prise en compte du handicap lié à la maladie, se voient arbitrairement refuser l’AAH et sont contraintEs de vivre avec le RMI.

La situation des détenuEs est particulièrement dramatique. En effet, ces dernierEs au cours de leur incarcération n’ont le droit de bénéficier que de 12 % du montant de l’AAH. Et à leur sortie, faute de domiciliation administrative, une période de plusieurs mois s’écoule avant qu’ils ne puissent à nouveau percevoir ce à quoi ils et elles ont droit.
Quant aux étrangerEs malades, les nombreux obstacles posés par les autorités publiques dans leur accès à un titre de séjour pour soins (auquel ils doivent pourtant avoir accès de plein droit), sont autant de freins à leur obtention de l’AAH. Ainsi, de nombreux malades étrangerEs se retrouvent pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, privéEs de toutes ressources.

Nos revendications

 Une modification de la loi sur le handicap de 2005 pour garantir la reconnaissance effective du handicap pour les personnes atteintes de pathologies lourdes ;
 Une revalorisation de l’AAH à hauteur du SMIC ;
 L’intégration des associations de malades dans la révision du guide barême prévue dans la loi et qui n’est toujours pas effectif ;
 Des mesures urgentes pour résorber les retards de traitement des demandes de prestation handicap ;
 Une formation du personnel des MDPH à la prise en compte des problèmes rencontrés par les personnes atteintes de pathologies graves ;
 L’ouverture de l’AAH aux sans-papierEs ;
 Le versement intégral de l’AAH aux détenuEs malades incarcéréEs et son maintien à leur sortie.


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[1“Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant”