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Papillomavirus atteintes intimes

Attention, cancer en vue

dimanche 20 octobre 2002

L’infection à papillomavirus est une MST très fréquente, mais c’est aussi un facteur de risque du cancer du col de l’utérus et du canal anal, cancers auxquels les séropositifs semblent particulièrement exposés. Or, si le dépistage et les risques des pathologies du col de l’utérus (cervicales) sont à présent bien établis, on ne peut pas en dire autant de celles du canal anal. Quelles sont les différences entre ces deux situations, à quels risques sont spécifiquement exposés les séropositifs, quels progrès sont à apporter à l’heure actuelle ? C’est ce à quoi nous essaierons de répondre dans ce dossier.

les papillomavirus (PHV)

Les papillomavirus sont une grande famille de virus qui regroupe près de soixante types différents. Certains d’entre eux provoquent une MST très fréquente puisqu’elle est retrouvée sur 1 à 2 % des frottis cervicaux. Sa contagiosité est élevée : 65 % des partenaires d’un sujet atteint le sont aussi. Cette contamination se fait par contact direct entre une lésion et une muqueuse saine. Le virus a la particularité de pouvoir rester latent dans les cellules, c’est-à-dire qu’il est présent mais ne provoque aucun symptôme. Quand il se manifeste, il engendre des papillomes*. Parmi les différents types de PVH, certains sont responsables de papillomes génitaux dont le risque de dégénérer en cancer est à peu près nul ; d’autres (les types 16 et 18) sont, quant à eux, présents dans 95 % des cancers du col de l’utérus, des organes génitaux externes et de l’anus.

Chez la femme séropositive, l’infection est plus fréquente que dans la population générale (plus de 50% contre 2%). De plus elle est se manifeste plus volontiers par des lésions visibles sur le col, la vulve et parfois l’anus. Lors de l’accentuation de l’immuno-dépression, les virus qui se trouvaient là « en sommeil » se « réveillent » et vont se manifester.

En outre on trouve chez les séropositives infectées différents types de PVH et plus souvent les types 16 et 18. Or, ces deux situations sont connues comme facteur de risque de cancer.

Chez l’homosexuel masculin, la présence de l’infection anale est 2 à 3 fois plus élevée chez le séropositif que chez le séronégatif.

les papillomes

Les symptômes de l’infection sont de trois types :
 1. infraclinique : on ne voit rien à l’œil nu mais des anomalies sont détectables par frottis* ou par révélation lors d’une colposcopie*.
 2. condylomes* plans : petites papules surélevées blanchâtres (comme une petite verrue)
 3. condylomes acuminés : ce sont de petites excroissances de chair molle ("crêtes de coq").

Avant tout traitement un test à l’acide acétique est indispensable : il permet de révéler les lésions infracliniques. Le frottis* cervical et la colposcopie sont systématiquement pratiqués chez la femme. Chez l’homme, en cas de lésion de l’orifice de l’urètre*, il est nécessaire d’en explorer les premiers centimètres (péniscopie). En cas de lésion anale, une anuscopie* est réalisée.

Plusieurs traitements existent : soit par des crèmes soit par brûlure au froid (cryothérapie*), par électrocoagulation ou au laser.

De façon générale, toutes les thérapeutiques sont basées sur le principe que le patient va guérir spontanément de son infection à PVH et aucune ne permet d’éliminer le virus lui-même. Les sujets séronégatifs se débarrassent souvent spontanément du virus sans manifester aucun symptôme ; ce qui est plus rare chez les séropositifs.
Chez les femmes séropositives l’étendue et la gravité de l’infection cervicale à PVH est 2 à 4 fois plus importante que dans la population générale. Les papillomes sont plus fréquemment dus à la réactivation d’une infection ancienne qu’à une nouvelle contamination. De plus les lasers et la cryothérapie sont accusés par certains de disséminer le virus en faisant éclater les cellules, favorisant les récidives.

les dysplasies*

Le papillomavirus intègre son ADN à l’ADN des cellules du col de l’utérus ou du canal anal, entraînant ainsi des dysfonctionnements. Avant de devenir des cancers, les cellules vont présenter des anomalies. Celles-ci sont détectables grâce aux frottis cervico-vaginaux que toute femme doit subir environ 1 fois par an dès le début de sa vie sexuelle (et tous les six mois pour les femmes séropositives) et ce jusqu’à 65 ans. Les anomalies cellulaires sont ordonnées selon une classification : autrefois Papanicolaou, actuellement Béthséda qui fait la différence en lésions de bas grade (CIN* I) et celles de haut grade (CIN II & III). Si les premières peuvent régresser spontanément, les secondes sont à haut risque de dégénérer en cancer.

Le traitement dépend du grade. Pour les lésions de bas grade qui peuvent régresser il arrive qu’on ne fasse rien ou que l’on pratique une destruction par laser ou par cryothérapie (méthodes destructives) ; en cas de lésion de haut grade, une conisation* est nécessaire (méthode ablative).

Chez la femme séropositive, les dysplasies seraient 10 fois plus fréquentes que dans la population générale. Notons que plus les CD4 sont bas et plus il y a de dysplasies.
Il peut arriver que les frottis de dépistage se révèlent parfois négatifs malgré l’existence d’authentiques dysplasies de haut grade. Les médecins doivent proposer des frottis deux fois par an après la découverte de la séropositivité. Les avis divergent pour savoir si un simple frottis suffit chez les séropositives afin de détecter une dysplasie. D’après le rapport Delfraissy un frottis annuel suffit si les CD4 sont supérieurs à 200/mm3. Deux frottis par an, associés à une colposcopie, seront systématiques devant : un frottis antérieur anormal, une infection connue à PVH, à la suite d’une conisation*, ou enfin si les CD4 sont inférieurs à 200.

Des problèmes se posent en ce qui concernent les traitements : les méthodes destructives exposent au risque de dissémination déjà évoqués ci-dessus et, pour ce qui est des méthodes ablatives, non seulement la cicatrisation s’effectue difficilement chez les sidéens mais les lésions ont tendance à récidiver sur la partie restante du col. De façon générale le risque de récidive après traitement est plus important que dans la population générale (39 contre 9 %) et ce d’autant plus que le taux de CD4 est bas.
Les études manquent mais des observations semblent indiquer un effet bénéfique sous HAART* pour l’évolution des dysplasies : les régressions spontanées augmentent les risques de récidive sont moins importants et le potentiel de cicatrisation s’en trouve amélioré.

Pour ce qui est de l’anus, une étude a montré que, chez les séropositifs, le nombre de dysplasies ainsi que le risque de transformation en lésion de haut grade sont plus élevés. Ce risque est d’autant plus important que le nombre de CD4 est bas. Ceci peut suggérer que le risque de cancer sera également plus élevé du fait de l’évolution de ces lésions de haut grade. De plus une HAART ne semble pas avoir un effet protecteur. Ici aussi le taux de récidive est plus fréquent.

les cancers

Le cancer du col de l’utérus
 C’est un cancer très fréquent : il représente 5 % des cancers féminins et c’est la deuxième cause des morts par cancer de la femme en France, avec 3.000 décès par an. La moyenne d’âge d’apparition de ce cancer est à 55 ans. De nombreux facteurs de risque, autres que l’infection à PVH (risque relatif* de 8), sont connus : le fait d’avoir eu plusieurs grossesses, une vie sexuelle précoce, un nombre important de partenaires, une mauvaise hygiène, un niveau socio-économique bas, le tabac et l’immuno-dépression.

Ce cancer a comme particularité de passer par un stade de Carcinome In Situ* (CIS). A ce stade, le cancer peut être traité par conisation. Dès qu’il atteint d’autres couches de cellules, le cancer est dit invasif : c’est un cancer "classique" qui va envahir les tissus avoisinant et métastaser*. Le traitement sera alors plus agressif et consistera en une colpo-hystérectomie élargie (on retire l’utérus, les trompes, le fond du vagin (colpos) et les ganglions périphériques) associée à une curiethérapie (mise en place dans le fond du vagin d’un fil radioactif, sorte de radiothérapie locale) voire d’une radiothérapie externe et parfois même d’une chimiothérapie.

A l’heure actuelle, le cancer du col n’est pas plus fréquent chez les femmes séropositives que dans la population générale. Certains chercheurs expliquent cette absence de différence par un meilleur suivi et donc une meilleure prévention de celles-ci. La durée de latence entre les lésions de haut grade et l’apparition du cancer est de 10 ans à 15 ans. Avant l’apparition de thérapies efficaces les femmes séropositives décédaient du sida avant que le cancer n’apparaisse.
Il semble que les études où ce cancer est retrouvé plus fréquemment le doivent à une erreur d’interprétation. En effet ces études portaient sur des toxicomanes. Or la marginalisation sociale est à la fois un risque de contamination par le VIH et de développement de cancer du col. Ce qui confirme qu’un des principaux facteurs de risque reste l’absence de suivi gynécologique.

Le cancer de l’anus
 C’est un cancer assez rare : il touche 1 habitant sur 100.000 en France. Les symptômes en sont des douleurs à la défécation et des saignements par l’anus (ce qui explique l’importance de consulter pour un examen devant des signes qui pourraient faire croire à une simple hémorroïde !). Le traitement en est la chirurgie (souvent très lourde et invalidante) et la radio-chimiothérapie (dont les effets secondaires sont, dans cette région, très pénibles). Ce cancer est actuellement en augmentation et ce essentiellement chez les homosexuels masculins (risque relatif de 80 par rapport à la population générale) où il est pratiquement toujours associé à une infection à PVH.

Chez les séropositifs, le cancer est souvent découvert à un point d’évolution plus grave. Comme le cancer invasif du col, il fait entrer le malade dans le stade sida, quel que soit le nombre de CD4. La mise sous HAART ne protège pas du cancer mais est nécessaire avant de commencer le traitement car elle permet d’obtenir une meilleure cicatrisation et moins d’effets secondaires à la radio-chimiothérapie.

Problèmes
 Avant toute chose il est assez troublant de voir que, si les cancers font entrer dans la maladie sida, les infections à papillomes ne sont pas prises en compte comme indicateur d’un stade de progression de la maladie.

Actuellement, si l’évolution et les risques de l’infection à PVH sont bien connus et souvent étudiés pour le col de l’utérus, les études manquent pour le canal anal. La cause en est probablement la rareté de ce cancer dans la population générale et la nouveauté de son émergence dans la population séropositive. Or, si le dépistage et le traitement du cancer du col de l’utérus sont bien déterminés, même en tenant compte des particularités des séropositives, le cancer de l’anus n’est quasiment pas dépisté. Les similitudes sont pourtant grandes entre ces deux pathologies et il semble que les connaissances pour l’une devraient inspirer la prise en charge de l’autre. De plus le frottis anal chez les homosexuels masculins répond à tous les critères de mise en place d’un test de dépistage : il est peu coûteux, facile d’exécution, s’adresse à une population bien définie et permet de dépister à temps des anomalies encore bénignes mais qui risquent de conduire à une maladie grave et dont le traitement est très mutilant.

Dans un article récent, les Dr Etienney et Bauer du service de proctologie des Diaconesses à Paris suggèrent un certain nombre de propositions préventives :
 faire un examen anal systématique en cas de lésions génitales ou de la gorge dues au PVH chez un sujet atteint et ses partenaires. Celui-ci consistant en une anuscopie avec révélation à l’acide acétique et biopsies ;
 détruire toute lésion due au PVH par ablation large de toute lésion suspecte. Il est important de rappeler qu’une intervention sur des lésions trop étendues peuvent entraîner des complications comme une incontinence anale et/ou un étranglement potentiellement douloureux. Cet aspect n’est pas à négliger ;
 réaliser une surveillance régulière et prolongée après traitement, même complet ;
 proposer systématiquement une sérologie VIH devant des lésions à PVH quelles qu’elles soient ;
 de plus, chez un sujet séropositif ou avec des antécédents multiples de MST, même si la muqueuse anale semble normale à l’œil nu, ils engagent à rechercher, soit des anomalies par frottis anaux, soit le PVH lui-même par détection de son ADN.

lexique

 Anuscopie : technique d’examen de l’anus suivant le même principe que la colposcopie.
 CIN (Cervical Intra-epithelial Neoplasia) : dysplasies du col atteignant un tiers (I), les deux tiers (II) ou toute la hauteur de l’épithélium du col. CIN III=CIS
 CIS (Cancer In Situ) : c’est une lésion cancéreuse mais qui reste limitée à l’épithélium, ne franchis pas la membrane qui la sépare des autres couches et donc n’est pas responsable de métastase. Le traitement à ce stade à toutes les chance d’être efficace et doit être effectué avant que le cancer ne devienne invasif, c’est à dire aussi dangereux qu’un cancer classique.
 Colposcopie : colpos : vagin, scopie : vision, examen consistant à regarder le fond du vagin et le col de l’utérus grâce à une loupe. Il peut nécessiter la mise en évidence d’anomalies cellulaires au moyen de colorants comme le lugol (iode) ou l’acide acétique (acide présent dans le vinaigre) : c’est le test de Schiller.
 Condylome : tumeur anogénitale, le plus souvent bénigne.
 Conisation : intervention sous anesthésie qui consiste à ôter un cône à la partie inférieure du col de l’utérus au moyen d’une anse. Il permet de traiter un cancer à condition que les dimensions de celui-ci soient assez modestes pour permettre de passer en zone saine. Il permet aussi (à la différence des méthodes destructives que sont le laser et la cryothérapie) d’analyser les cellules anormales en laboratoire.
 Cryothérapie : méthode de destruction des cellules par application du froid (un peu comme quand on brûle une verrue à l’azote liquide)
 Dysplasie : anomalie des cellules qui, bien qu’anormales, ne sont pas encore des cancers mais peuvent dégénérer, notamment si elles sont dites « de haut grade ».
 Epithélium : la couche supérieure des cellules.
 Frottis : il consiste à passer un petit bout de bois sur le col de l’utérus et le fond du vagin afin de récolter des cellules qui seront étalées sur une lame et observées au microscope à la recherche d’anomalies.
HAART (Highly Active Antiretroviral Therapy) : thérapie antirétrovirale en vue d’obtenir un effet maximal sur la charge virale en premier lieu puis sur les CD4
 Papillome : tumeur muqueuse ou cutanée due au papillomavirus.
 Risque relatif : risque de développer une pathologie si on est soumis à un facteur de risque par rapport à un sujet qui n’y est pas soumis. Par exemple le tabac expose à un risque relatif de 10 de cancer du poumon : si je fume, j’ai 10 fois plus de risque de développer un cancer que quelqu’un qui ne fume pas.
 Urètre : partie terminale des voies urinaires qui va de la vessie au méat (trou) urinaire


Lire la brève publiée dans Protocoles 43.