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Sarkozy, Mattéi, Jayle… même combat.

lundi 1er septembre 2003

Le rapport de la commission d’enquête sur la politique française en matière de drogues ferait sourire s’il n’était rempli de dispositions dangereuses pour la liberté, la santé et le respect des usagerEs de drogues.

Le 4 juin dernier, le Sénat a rendu public le rapport de la commission d’enquête présidée par Nelly Olin (UMP) à propos de la politique française en matière de drogues. 64 propositions concluent les 1 200 pages d’un rapport qui ferait sourire s’il n’était rempli de dispositions dangereuses pour la liberté, la santé et le respect des consommateurs de drogues. Il forme une nouvelle étape dans la destruction et le renoncement des acquis de ces dernières années en matière de santé publique, et un pas de plus vers une plus grande mise en danger des usagers de drogues. Les membres de cette commission d’enquête, frappés d’amnésie et de velléités autoritaires, renoncent aux progrès que la France a connu dans ce domaine, auxquels la droite elle-même a d’ailleurs contribué. Plus grave, ils écartent les lourdes conséquences de l’épidémie de sida et d’hépatites en voulant faire passer pour ridicules les quelques avancées vitales que ces pandémies nous ont imposé et nous imposent encore (acceptation sans conditions de la consommation des drogues comme fait, nécessité de l’intervention concrète loin des considérations morales ou sécuritaires, etc.). Ils tentent de faire croire aujourd’hui que nous avons collectivement eu tort d’augmenter l’accès à l’information du public en misant sur l’éducation et l’intelligence de tous pour améliorer l’autonomie de chacun, qu’en expliquant la vérité nous avons été permissifs et incitatifs. Qu’il aurait mieux valu maintenir les citoyens dans l’ignorance, au risque de les laisser courir de graves dangers, en les matraquant d’interdits, certes parfois spectaculaires, mais toujours inefficaces.

Mise en danger

La guerre à la drogue et la répression désignent, classent et excluent les populations qu’elles sanctionnent. La marginalisation qu’elles renforcent condamne les usagers de drogues à se cacher. À ne pas vouloir voir, ne pas accepter, on pourchasse et on met en danger. Les sénateurs ont-ils une idée de ce qui a poussé cet usager de drogues à s’isoler dans une cave du 18ème arrondissement de Paris, et que l’on a retrouvé deux semaines après son décès ? La loi de 1970, incohérente et dangereuse, aurait dû être abrogée depuis longtemps. C’est ce que nous demandons, pas seulement parce que les dispositions qu’elle contient sont inapplicables ou inadaptées, mais plus simplement parce qu’elle a plus de 30 ans aujour-d’hui. Face à des phénomènes aussi évolutifs et croissants que les drogues et leurs usages, émergeant parfois au travers de l’expression culturelle, nul ne peut se satisfaire d’une réponse figée, incapable de comprendre et d’accompagner les changements de la société. Nous ne pouvons pas nous contenter de réponses centrées sur la privation de liberté personnelle : le Sénat recommande l’augmentation des pouvoirs répressifs par la création de nouveaux dispositifs, la mise en place de nouvelles contraventions, la création de centres d’emprisonnement pour traitement forcé de la toxicomanie. Nous ne pouvons pas non plus raisonner sur la seule base d’une dangerosité que la science contredit ou renforce, selon les années et l’état d’avancement des connaissances : voir les rapports contradictoires de l’INSERM et de l’Académie de médecine sur le cannabis. Les questions posées par les drogues et l’usage que l’on en fait, si polémiques depuis une trentaine d’années, méritent d’être traitées avec intelligence, humanisme et respect.

Amnésie

Si les sénateurs l’ont oublié, nous pouvons leur rappeler que des dizaines de milliers de consommateurs de drogues sont morts depuis les années 70 à cause de réponses inadaptées de la part de la société. Nous pouvons rappeler que durant toutes ces années où nous nous sommes battus pour tenter de garantir aux uns et aux autres la survie ou l’accès aux soins, nous avons appris, au corps à corps, que les comportements de consommation de drogues ne se comprennent pas dans une équation où seuls le bien et le mal, la dépendance ou l’abstinence se feraient face. L’opposition entre bons et mauvais comportements, entre bons et mauvais pensants, on le sait, peut tuer. Aujourd’hui le Sénat précède le gouvernement vers une modification du cadre légal. Il le fait sans tenir compte des enseignements du passé. Nous, malades, consommateurs de drogues, militants, professionnels de la réduction des risques, nous voulons avoir la liberté de choisir de consommer ou non des drogues, et pour ceux qui en deviennent malades, d’accéder aux modes de soins de leur choix. Nous ne tolérons plus pour nous-même et pour les plus marginalisés des consommateurs, d’être discriminés et bafoués dans nos droits. Les drogues ont une place importante et essentielle dans notre société, comme dans d’autres. D’aucuns s’en offusquent, mais loin d’être un « cancer », les drogues sont avant tout un plaisir et un outil, tant personnel que collectif, que la plupart des français d’ailleurs revendiquent par leur consommation, d’alcool, de tabac, de cannabis, de drogues de synthèse, d’opiacés ou de médicaments. Le pragmatisme dont les acteurs de terrain ont fait preuve en matière d’accompagnement et de prise en charge des usagers de drogues, notamment au travers de la politique de réduction des risques, a été et demeure la première manière efficace d’intervention sur les différents aspects de la consommation des drogues (baisse du nombre des overdoses, responsabilisation des consommateurs, éducation à la santé, baisse de la criminalité, etc.). Cette intervention concrète et raisonnable, a permis depuis plus de 10 ans de faire reculer les effets néfastes des mésusages des drogues. Le Sénat ne propose aucune action d’envergure vis-à-vis d’un monde associatif à l’agonie, il n’a pas non plus jugé adéquat d’auditionner ces personnes durant les 6 mois d’enquête.

Avant-goût

Nous savons bien que ce rapport constitue un avant-goût de ce que le gouvernement va nous proposer sous couvert d’accord de surface avec les politiques de réduction des risques, comme aimerait le faire croire Nicolas Sarkozy depuis qu’il organise des rassemblements techno. Nous ne croyons pas à ses mensonges. Nous ne croyons pas non plus à l’inutilité de Jean-François Mattéi et Didier Jayle qui, de leur coté préparent discrètement la réforme de la loi de 70 durant les vacances d’été. La loi qui a vu le jour un soir de Saint-Sylvestre, le 31 décembre 1970, a démarré son toilettage pendant les grandes vacances. Didier Jayle avait oublié de prévoir la consultation des premiers concernés par l’usage de drogues, nous le lui avons rappelé, suite à quoi il a cru bon d’inviter plusieurs associations de réduction des risques pour nous annoncer que la seule concertation des « malades et des consommateurs » n’est prévue que par une séance de lecture collective des propositions qu’il aura à nous faire courant septembre. Comme s’il suffisait de nous faire per-dre du temps en réunion pour nous donner l’impression d’être entendus, c’est mal nous connaître. Le projet de réforme qui s’amorce est une insulte à l’ensemble des victimes de la loi de 70, des personnes touchées par le VIH et les hépatites. Nous saurons le faire entendre.