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de la théorie à la pratique

pharmacologie

janvier 2003

En mars 1999, pour la première fois nous vous parlions des dosages plasmatiques dans les colonnes de Protocoles (n°9). Le temps a passé, les connaissances se sont approfondies, nous en faisons ici l’état des lieux.

Chaque patient infecté par le VIH est amené, à un quelconque moment, à se poser des questions concernant les traitements qui lui sont prescrits : est-ce que j’ai les bonnes molécules, est-ce que les doses sont bien adaptées, pourquoi ai-je des diarrhées, pourquoi chaque nuit les mêmes insomnies reviennent-elles ? Questions apparemment simples, réponses de plus en plus précises, une recherche en continu.

persévérance

L’année 2002 a vu la publication des recommandations pour la prise en charge des personnes infectées par le VIH, sous la direction du Professeur J.F. Delfraissy. Il y a dans cet ouvrage un chapitre intitulé "Pharmacologie des antirétroviraux". Ce chapitre n’est pas là par hasard, il a fallu beaucoup de temps et de persévérance pour que l’ensemble de la communauté scientifique admette son indiscutable utilité. Il représente aujourd’hui une étape importante, il est le résultat de nombreuses étude, qui apportent aux cliniciens des outils indispensables pour le suivi thérapeutique pharmacologique (c’est-à-dire le dosage des médicaments pour un suivi personnalisé) des patients traités par antirétroviraux. La recherche en ce domaine doit se poursuivre. C’est ce que nous allons essayer d’expliquer.

développement

Les firmes pharmaceutiques, lorsqu’elles développent une molécule, après des tests in vitro, en laboratoire, s’assurent de l’activité de celles-ci in vivo, et cherchent ensuite à déterminer les doses nécessaires pour obtenir un effet antiviral certain. C’est une étape capitale dans le développement d’un médicament. Les industriels souhaitent le plus souvent que leur produit soit testé dans les conditions les plus favorablespour eux : patients naïfs de tout traitement, interactions médicamenteuses réduites au minimum, cependant les effets secondaires sont parfois sous-estimés !

Depuis quelques années, quelle que soit la classe d’antirétroviraux, le développement d’une nouvelle molécule exige pour arriver à son terme, la connaissance d’un certain nombre de données, la connaissance de son métabolisme, de sa pharmacocinétique (c’est-à-dire son dosage, qui nous dira son absorption, sa distribution et sa vitesse d’élimination). Seule une partie de la dose du médicament sera absorbée et parviendra jusqu’à la circulation générale. La diffusion vers le compartiment tissulaire est également limitée par les protéines du plasma. Une partie sera stockée, une autre partie agira sur la cible choisie, enfin une partie sera transformée par des enzymes. Les métabolites obtenus seront éliminés par les reins ou le foie. Il sera donc indispensable à partir du sang de doser une molécule et d’essayer de prévoir ce qui se passe dans l’organisme.

concentration

On distingue donc : une phase d’absorption, une phase de distribution et une phase d’élimination. Cette dernière est caractérisée un paramètre important, la demi-vie d’élimination, qui est utilisée pour proposer un intervalle de temps optimal entre deux prises du médicament. Les concentrations de celui-ci vont augmenter dès la première prise, la deuxième dose permet d’atteindre un pic maximal, pour redescendre ensuite à une concentration résiduelle ou minimale que l’on dosera avant la prise suivante. Il faudra donc osciller entre des concentrations maximales non toxiques et des concentrations minimales toujours efficaces.

Pour chaque molécule, il a fallu déterminer la zone de concentration plasmatique correspondant à une efficacité thérapeutique optimale avec le minimum de toxicité et d’effets indésirables. C’est donc un travail de recherche permanent et difficile car les antirétroviraux ont une marge thérapeutique étroite, leurs effets sont dose-dépendants et, comble de bonheur, beaucoup sont métabolisés par le foie. Cette recherche, en France, est menée pour une part importante par le groupe de pharmacologie constitué en 1999 au sein de l’ANRS.

classes

Actuellement, la connaissance de la relation entre la concentration d’un médicament et son effet (thérapeutique ou toxique) n’est pas identique suivant la classe de l’antirétroviral :
 Les inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse. On sait qu’ils sont métabolisés dans la cellule sous forme de dérivés phosphorylés. Le dosage plasmatique de la forme inchangée et le dosage des formes phosphorylées intracellulaires est possible, mais la corrélation entre ces dosages est aléatoire, et les tentatives pour prédire les effets sur la charge virale sont difficiles. Les techniques de ces dosages existent, mais elles ne sont réalisées que dans certains centres spécialisés.
 Les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse. Dans leur cas, au contraire, on a pu à l’aide de dosages plasmatiques établir une corrélation entre les concentrations résiduelles dite AUC (prélèvement effectué le matin, 10 à 12 heures après la dernière prise, et avant la prise matinale) et la réponse virologique. Ceci a été réalisé avec la névirapine. Pour l’éfavirenz, on a montré à l’aide de ces dosages qu’il existait une relation entre les concentrations plasmatiques et la toxicité sur le système nerveux.
 Les inhibiteurs de la protéase. La relation entre les concentrations et les effets virologiques a été mise en évidence pour toutes les molécules disponibles actuellement. On peut corréler la diminution de la charge virale et l’apparition de mutations de résistance, en cas d’échec virologique, aux valeurs des paramètres pharmacocinétiques, en particulier aux concentrations résiduelles. Les antiprotéases, comme les inhibiteurs non nucléosidiques, sont en majeure partie métabolisés et éliminés au niveau du foie par le cytochrome P450 ; il peut ainsi y avoir compétition entre les diverses molécules et modification des concentrations plasmatiques ainsi que du temps d’élimination. Les interactions sont un problème majeur, parfois utilisées pour "booster" une molécule à l’aide d’une autre (c’est le cas du ritonavir).

contrôle

Depuis plusieurs années, la question du suivi thérapeutique des médicaments se pose, en raison de la variabilité intra et inter-individus, d’interactions médicamenteuses modifiant la pharmacocinétique et la pharmacodynamie des différentes molécules composant les multithérapies. On observe aussi la possibilité d’échecs thérapeutiques, même avec des posologies standard. Enfin, pendant longtemps, les dosages ont été utilisés pour vérifier l’adhésion au traitement, et par là même, mal perçus par les patients qui voyaient là une pratique de "flicage". Les choses ont changé maintenant.

Le groupe de pharmacologie de l’ANRS a eu pour mission, ces dernières années, de valider les techniques de dosages, de mettre en place un contrôle de qualité pour que, comme cela s’est passé au moment de la mise en place de la mesure de la charge virale, les résultats soient exploitables et interprétés facilement par tous les virologues et cliniciens spécialistes du VIH.

vigilance

Actuellement,dans les essais cliniques, il est important que, la présence d’un pharmacologue au sein du conseil scientifique soit systématique ; de même pour le suivi des cohortes. Pour aider à l’interprétation du suivi pharmacologique, des essais ou des sous-études sont indispensables afin d’étudier les relations entre le niveau d’exposition aux antirétroviraux, leur efficacité et leur tolérance. L’efficacité est jugée à travers l’évolution des CD4, de la charge virale, l’apparition ou non des résistances. Il reste aussi à définir l’utilité du quotient inhibiteur, c’est-à-dire le niveau de concentration nécessaire par rapport au nombre et à la nature des mutations virales chez les patients en échec. Il faudra enfin définir quelle concentration est la meilleure indication de l’efficacité : la concentration plasmatique résiduelle, la concentration moyenne à l’équilibre, la concentration non fixée aux protéines plasmatiques, la concentration intracellulaire/tissulaire.

Les études d’interactions doivent être menées pour chaque nouvelle molécule, en prenant aussi en compte des patients co-infectés, des enfants, des patients âgés. Une thèse soutenue en novembre 2002 par Mayeule Legrand, intitulée "Etude de la relation concentration / effet des associations d’antirétroviraux in vivo" apporte une amélioration de la définition de la notion de marge thérapeutique (concentration nécessaire et suffisante pour inhiber la réplication virale et inférieure à la limite de toxicité), variable chez les patients naïfs ou en échec, en tenant compte de l’ensemble des molécules du traitement. Ce travail a été mené à partir de 3 études de l’ANRS : Comet, Gighaart et Cophar I.

Pour finir, il convient d’insister sur le fait que l’interprétation des dosages des antirétroviraux doit se faire dans le cadre d’une collaboration entre les pharmacologues, les virologues et les cliniciens, parce que nous sommes loin d’avoir ciblé avec certitude les valeurs des concentrations efficaces mais non toxiques, compte tenu de la complexité des traitements.