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Les Hôpitaux de Paris ont-ils une dent contre nous ?

jeudi 1er mai 2003

Au mois de novembre 2002, François se présente au centre dentaire situé rue du Maroc (près de Stalingrad dans le 19ème arrondissement de Paris). Il souffre d’un abcès dentaire. Ancien usager de drogue, François est coinfecté VIH/VHC depuis 15 ans. Asymptomatique, il n’a jamais déclaré aucune des deux maladies. Depuis 2 ans, il est en CES et pris en charge socialement dans le cadre d’un dispositif d’insertion par le logement.

S’étant déjà présenté dans ce centre pendant ses années de galère, l’établissement possède un dossier médical le concernant. Après consultation, le dentiste l’informe qu’il n’est pas en capacité de le soigner : « nous sommes un centre dentaire d’urgence ; à ce titre, nous devons effectuer un soin toutes les 15 minutes. Or, vous êtes séropositif et les protocoles de désinfection du matériel sont plus longs dans ce genre de cas [1]. Nous ne pouvons plus garantir le rythme des soins. De plus, c’est un problème de stomatologie que vous avez, pas un problème dentaire. Je vais donc vous orienter vers l’hôpital Saint-Louis. » Nous sommes retournés sur place avec François, nous avons eu exactement la même réponse.

Arrivé à l’hôpital Saint-Louis, François, un peu désemparé, fait mention de son statut sérologique et de l’importance d’un soin rapide, compte tenu du fait que les infections dentaires sont un vecteur massif de déclaration de la maladie. Le service « comprend bien, mais il y a eu une erreur d’orientation : à Saint-Louis, c’est un service de stomato classique et pas du tout un service d’urgence en stomatologie ». C’est bien dommage.

François est orienté vers l’hôpital Lariboisière qui traite ce type d’urgence. Arrivé à Lariboisière, une brosse à dent et du dentifrice lui sont remis, et François a un rendez-vous pour début janvier 2003. « Ici on soigne tout le monde, alors vous comprenez, il y a forcément un délai. » Un délai de deux mois, logique pour un service d’urgence !

Impardonnable

Angoissé, François n’est pas allé au rendez-vous. Lorsque, avec l’aide d’un service social, il a repris contact pour un nouveau rendez-vous, on lui a bien fait comprendre qu’avec une telle liste d’attente, rater un rendez-vous était impardonnable. Nous étions mi-février et rendez-vous a donc été pris pour le 2 avril 2003. Six mois après, le soin n’est toujours pas réalisé et François a des ordonnances pour calmer la douleur. Mais pourquoi n’est il pas allé chez un dentiste de ville ? Parce que François, à 38 ans, ne connaît que les hôpitaux ; il n’a jamais consulté en cabinet privé. De plus, un CES rapporte environ 530 euros par mois et quand on sait que la Sécurité sociale ne rembourse que 70% des frais dentaires des cabinets conventionnés, on comprend l’hésitation.

Nous savions que la santé à deux vitesses existait. Nous découvrons ici l’administration de ce second tour. Le véritable problème est l’accès aux soins des personnes les plus précarisées. Avec ou sans CMU, les règles du jeu n’ont qu’un but : dégager le malade gênant des circuits de soins, sachant qu’un refus de soins conduit le plus souvent le malade à l’abandon de sa demande. C’est seulement après une évolution catastrophique de sa pathologie que le malade sera pris en charge. Et on soignera alors les conséquences avant la cause qui, elle, devra attendre une remise en forme générale du malade.

Comment un circuit de santé peut-il mépriser à ce point ses usagers ? Quelle utilisation est faite de nos dossiers médicaux (CNIL) ? Le centre dentaire de la rue du Maroc est sans doute le centre le plus exposé au VIH : environnement très précaire, nombreux migrants et toxicomanes. Ce refus de soins, en plus d’être illégal, est choquant de par les populations qui sont amenées à fréquenter ce centre. Les personnes qui viennent se faire soigner pour la première fois et qui ne font pas état de leur statut sérologique, courent-elles un risque ou font-elles courir un risque aux patients suivants ? A la rue du Maroc, comme dans de nombreuses structures hospitalières ou de soins, il semble qu’on n’en ait cure.


[1NdR ce qui est faux