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Edito

Guerre aux labos

décembre 1999, par Emmanuelle Cosse

En exerçant des pressions sur les laboratoires pour obtenir la distribution de molécules, nous avons toujours su que nous favorisions leur politique commerciale : en exigeant des produits, nous ouvrons nous même un marché qu’ils ont du mal à conquérir.

Mieux que n’importe quel directeur médical, les associations de malades ont été un outil précieux pour les labos : en s’appuyant sur nos travaux et nos actions, ils ont bénéficié gratuitement de véritables agents commerciaux. L’industrie pharmaceutique fait du profit sur nos vies depuis 15 ans. Nous l’avons toujours reconnu. Chacun a sa logique : nous, celle de notre vie et de notre maladie, eux, celle de leur marché. Notre but est d’obtenir des molécules efficaces qui nous soignent durablement.

Nous n’avons pas le choix.

Pourtant nous avons donc décidé de partir en guerre contre les labos. Le 1er décembre, nous manifesterons contre eux.

L’industrie pharmaceutique a profité de notre maladie pendant 17 ans. Elle est aujourd’hui redevable envers les malades du sida. Nous ne pouvons plus accepter cet éternel recommencement. En réponse à nos exigences en matière d’échappement thérapeutique, nous avons droit aujourd’hui aux mêmes arguments qu’en 1996, lors de l’arrivée des trithérapies : difficultés de production, pénurie, stocks insuffisants. L’industrie pharmaceutique n’a tiré aucune leçon de ces dernières années : elle a toujours le même mépris des malades, le même cynisme et les mêmes incompétences. Cela fait maintenant 2 ans que le TRT-5 a mis en garde l’ensemble des laboratoires et des pouvoirs publics concernés des risques d’impasse thérapeutique et de la catastrophe sanitaire qui nous attend.

Il a fallu 6 mois de pression et de harcèlement pour obtenir seulement quelques avancées : l’ABT 378 [1] va enfin être disponible mais reste actuellement la seule nouvelle molécule utilisable et ne peut donc répondre à elle seule aux problèmes d’échappement. Ce n’est pas un seul médicament que nous réclamons mais un ensemble de nouvelles molécules qui puisse prendre le relais des trithérapies qualifiées aujourd’hui de classique. Enfin pour nous, malades vivant au Nord.

Car le cynisme des labos, s’il est insupportable quand il s’exerce contre nous, l’est tout autant quand il joue contre des malades qui ont sinon rien, au mieux l’AZT et plus rarement des traitements contre les maladies opportunistes.

Il y a 10 ans, le monde entier se lamentait déjà sur la pandémie qui explosait au Sud.

Aujourd’hui, on se lamente toujours. Les choses ont changé. Il y a aujourd’hui des traitements. Nous savons les utiliser et les prescrire. Mais si les labos veulent bien consentir à des efforts au Nord, parce que nous achetons au prix fort leurs molécules, il n’en est rien au Sud. Ils refusent de modifier leur politique tarifaire pour l’adapter aux moyens des pays du Sud. Pire, ils cherchent à réduire à néant les seules possibilités qui leur restaient ouvertes : notamment l’utilisation des brèches existant dans les accords TRIPS du GATT OMC qui permettent aux pays de produire eux-mêmes ou d’importer à un coût inférieur des molécules. Appuyée par les gouvernements occidentaux, l’industrie pharmaceutique n’hésite pas à peser de tout son poids sur les renégociations de ces accords pour faire disparaître ces brèches.

Aujourd’hui l’industrie pharmaceutique méprise les malades du sida en difficulté : ceux du Sud qui n’ont pas de ressources suffisantes pour se soigner, ceux du Nord qui sont en échappement thérapeutique. Elle a pourtant une dette envers nous. Il faut qu’elle la paye.


[1Lopinavir/r, commercialisé sous le nom de Kalétra®.