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PACS : du droit à la politique

vendredi 9 octobre 1998

D’une association comme Act Up, on attend sans doute qu’elle oppose à la reconnaissance timorée que le PACS accorde sans le dire aux couples homosexuels le maximalisme lyrique de ses revendications : adoption et mariage ; égalité des droits et droit à la famille.

Cette position attendue de l’homosexuel transgressif, nous ne la tiendrons pas.
Non que nous ayons décidé d’être sages : nous maintenons nos revendications et les ferons entendre lorsque Elisabeth Guigou présentera son projet sur la famille. Nous avons simplement décidé de prendre les promoteurs et les défenseurs du projet au pied de la lettre : le PACS, nous dit-on, n’est pas un " sous-mariage homosexuel ".
Dès lors, puisqu’en effet ce projet ne règle rien en matière d’accès des homosexuels à la famille, il ne faut le juger ni du point de vue- ridiculement paniqué - des théologiens de la famille qui monopolisent l’espace médiatique, ni du point de vue - dans lequel on souhaite nous maintenir - des " pédés " de service.

A la veille de l’ouverture des débats parlementaires, il serait temps de penser au-dessus de la ceinture.
Historiquement le PACS n’est pas une revendication homosexuelle élargie aux hétérosexuels. C’est une vieille exigence des malades du sida et de leurs amants (ce qui n’équivaut pas exactement aux " homosexuels ", même si nous avons payé le tribut le plus lourd à l’épidémie) qui ne deviendra droit commun que si elle s’adapte aux conditions de vie concrètes d’une multitudes d’autres groupes sociaux qu’on ne saurait réduire à la catégorie des" hétérosexuels ". Pour juger le PACS, il faut quitter le sexuel pour le social et le symbolique pour le réel. Le seul point de vue qui importe, c’est celui, jusqu’à présent occulté, de ses usagers.

Or, examiné depuis nos conditions de vie réelles, ce projet comporte des absurdités, des effets pervers et des injustices qui n’ont rien à voir avec la révolution normative qui effraie la droite et que la gauche essaie de brider. Pour notre part, nous en recensons de trois sortes :
 né dans l’épidémie de sida, le projet devait nous permettre de garantir, par la succession, la survie matérielle de celui ou de celle qu’on aime et que l’on va laisser veuf ; de conserver l’appartement du compagnon dont nous avons partagé la vie ; de bénéficier des prestations de sécurité sociale du conjoint ; et de résister à l’arrogance - trop fréquente, hélas - des familles. Par obsession de la fraude, et pour distinguer le PACS du mariage, la plupart des droits qu’il accorde ont été bardés de délais. Malheureusement, l’espérance de vie d’un malade du sida - ou de toute autre pathologie grave - ne lui permet pas d’attendre. Ici, la création de garde-fous conduit à mépriser les situations concrètes des personnes dont le projet se proposait pourtant d’améliorer le sort ;
 ceux d’entre nous qui relèvent de l’allocation adulte handicapé (AAH) et, par extension, tous les allocataires de prestations sociales qui prennent en compte les revenus du conjoint - risquent de la perdre s’ils contractent un PACS. Les bénéficiaires de minima sociaux devront donc choisir entre la reconnaissance de leur couple et leur droit au revenu. Ou attendre patiemment les compensations très hypothétiques d’une imposition commune elle-même soumise à délai. Ce projet n’est certainement pas ce gadget pour riches que d’aucuns raillaient, mais il risque de devenir un cauchemar (ou un rêve inaccessible) pour les pauvres ;
 pour les étrangers, on a préféré faire du PACS l’une des multiples pièces du dossier de régularisation examiné par les préfectures et non un critère suffisant pour l’obtention d’un titre de séjour. Ce qui se révèle là, c’est que ce texte est hanté par l’obsession du mariage blanc pourtant démentie par le taux de divorce très ordinaire des couples mixtes - perpétuellement opposée à nos amants étrangers. Soumis à l’examen d’une administration traditionnellement suspicieuse, nos couples devront-ils rester tributaires de la paranoïa du contrôle des migrations ?

Des soucis de délais, des inquiétudes financières, des angoisses de guichet : on nous trouvera peut-être triviaux. C’est pourtant là, à l’intersection des lois et des vies, que le débat doit porter - car c’est là, précisément, qu’il devient politique. Pour notre part, comme les chômeurs ou les sans-papiers (qu’ils y réfléchissent : nos inquiétudes sur le PACS les concernent), c’est ainsi que nous luttons :
en opposant le détail de nos inquiétudes aux majorités tranquilles, aux lois rigides et aux administrations mécaniques. Nous continuerons. Il faudra bien sûr peser sur les débats pour que les parlementaires soient attentifs à nos vies. Mais la vraie bataille, en vérité, commencera après le vote du texte. Qu’on se le dise : nous avons l’intention de mettre en place un Observatoire du PACS, avec tous ceux qui le voudront : non pas " un comité de sages ", moral et pseudo-compétent, mais des " groupes d’usagers " revendiquant un droit de surveillance sur l’application du texte et une participation active à sa jurisprudence. " C’est là, disait le philosophe Gilles Deleuze, qu’on "passe du droit à la politique."

Ce texte a été rédigé par des militants d’Act Up-Paris, il est paru dans Le Monde du 9 octobre 1998.