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Lipodystrophies au féminin pluriel

A l’écoute des femmes

lundi 1er mars 2010

Marilou Gagnon est infirmière, professeure et chercheure. Présente à Act Up pour deux mois, elle vient du Québec où elle a mené une étude intitulée « Femmes vivant avec le VIH/sida et lipodystrophie : étude du processus de transformations corporelles ». Elle nous en parle.

Tu viens de finir ta thèse qui portait sur l’expérience des femmes séropositives confrontées aux lipodystrophies. Qu’est-ce qui a motivé ta recherche ?

C’est avant tout ma pratique clinique, car j’ai été infirmière pendant 3 ans dans une clinique du VIH au Québec avec une importante file active de personnes vivant avec le VIH. Je me suis retrouvée à gérer des personnes qui souffraient d’effets indésirables, qui exprimaient des difficultés ou qui arrêtaient leur traitement. On les voyait se transformer sous nos yeux et en même temps j’ai constaté que les lipodystrophies étaient un des tabous les plus importants dans le milieu où je travaillais. Un effet aussi visible dont on parlait aussi peu, ça m’a beaucoup interrogée. C’est comme une culture du silence autour des changements corporels alors que cela se voit. Il était inconcevable de garder le silence sur tout par rapport aux femmes.

La clinique où tu travaillais recevait des femmes et des hommes, as-tu constaté une différence hommes/femmes ?

L’endroit où je travaillais est le lieu où on retrouve le plus de femmes, alors qu’ailleurs il y a en général plus d’hommes et souvent gays. C’est une clinique qui a développé une capacité à travailler avec plusieurs populations, contrairement aux centres qui sont plus spécialisés sur une population. Il y a deux gros centres de référence qui font de la recherche, de la prise en charge, de la clinique. Je travaillais dans l’un d’eux, l’Unité hospitalière de recherche, d’enseignement et de soins en sidologie (UHRESS). On en parlait si peu, on n’a jamais vraiment eu de discussion en équipe pour voir l’état des choses. Comme infirmière on avait une relation particulière avec les personnes, mais c’était difficile de voir l’interaction entre médecins et malades et même entre les personnes qui venait à la clinique. La difficulté c’est que tout se passait dans le silence, dans le non-dit, dans le non-verbal, dans des regards, des soupirs, dans des choses qui ne sont pas dites et qu’on ressent. Et c’est à partir d’une expérience particulière que j’ai commencé à réfléchir à ce que pouvaient vivre les femmes qui développaient des changements corporels. C’est mon directeur de thèse qui m’a aidé à développer un esprit critique et à sortir du cadre biomédical. C’est à partir de là que j’ai pu y réfléchir d’avantage et développer cette recherche.

Sur quoi portait ton projet de recherche et comment l’as-tu mené ?

Je me suis adressée à des femmes qui avaient subi des changements corporels sans nécessairement que ces changements aient été reconnus par leurs médecins traitants et diagnostiqués comme des signes de la lipodystrophie, ce qui permettait de leur laisser la possibilité de faire valoir leur subjectivité. C’était à elles de juger si elles avaient développé des changements corporels et de me contacter. Il était important pour moi de mener ce projet à l’extérieur des milieux cliniques. J’ai rencontré les femmes dans une association à Montréal, dans un milieu beaucoup moins stérile que l’hôpital, dans un environnement plus proche de leur domicile, dans un lieu où il était possible pour elles de parler en tant qu’expertes et d’échanger avec moi sans que je sois perçue comme l’infirmière, la chercheure, l’experte. Il fallait renverser la relation habituelle. Ça m’a permis d’ouvrir une porte qu’on ne peut pas ouvrir dans le milieu clinique. Selon moi, le choix de ce milieu a permis de changer la dynamique et de donner la possibilité aux femmes de s’exprimer librement, et elles attendaient parfois depuis longtemps que enfin quelqu’un les écoute.
Les rencontres ont eu lieu et ensuite j’en ai fait l’analyse. C’est très technique, car comme c’est une recherche qualitative, il n’y a pas de formule magique, on ne peut pas rentrer les données dans un ordi, il faut aussi se donner entièrement à la réflexion qui accompagne cette démarche et s’imprégner des témoignages pour pouvoir en faire une analyse rigoureuse.

Pourquoi avoir choisi Act Up pour ton stage ?

Ce n’était pas planifié au début de mon doctorat, c’est quelque chose auquel j’ai pensé pendant la rédaction de ma thèse, car j’ai senti avec mon expérience et les résultats de recherche que j’obtenais, que je voulais me diriger vers des projets qui allaient être de plus en plus engagés et politiques. C’est vraiment là-dedans que je me retrouve en tant que personne. C’était important pour moi de garder une période où j’allais pouvoir être en contact avec des gens qui sont sur le terrain et parce qu’Act Up est une association assez unique, je voulais profiter de cette opportunité pour prendre le temps de discuter avec des militants, de voir où on en est dans la lutte contre le VIH, de réfléchir à certains enjeux et d’observer le travail qui est fait ici par rapport à ces enjeux là. Je venais chercher quelque chose sans trop savoir quoi exactement, mais je savais que j’allais trouver à la fin.

Et tu as trouvé quoi ?

J’ai trouvé un groupe de personnes qui peuvent écouter les résultats de mes recherches sans sauter au plafond (rires) et avec qui il est possible de parler de ces sujets dont personne ne veut entendre parler. Les sujets qui dérangent quoi. Mais surtout je pense que ce qu’Act Up fait, c’est de mettre en pratique des perspectives théoriques. Ce que je peux lire dans les livres par rapport à la relation entre le pouvoir et le savoir par exemple, Act Up le met en action. C’est vraiment intéressant.

Et que fais-tu à Act Up ?

Je suis là en tant qu’observatrice, j’ai participé à des réunions de travail, à la commission T&R et à des rencontres, ce qui m’a permis de voir le travail de terrain de l’association. Actuellement je nourris le site de l’interassociatif Femmes & VIH. Ça rejoint beaucoup cette idée d’information = pouvoir et cela permet d’assurer une connexion entre les femmes, de créer un site qui leur soit propre et de faire circuler l’information. En le nourrissant, on constate rapidement les manques actuels et ce qui n’est pas abordé dans le domaine de la recherche par exemple. C’est bien de mettre en ligne ce qu’on trouve comme ressources et informations, mais c’est encore plus intéressant de mettre en avant ce qu’on ne retrouve pas. Ce site doit être utilisé pour faire des constats importants et des actions spécifiques. On doit aussi s’en servir pour produire ce qu’on ne trouve pas ailleurs et ainsi répondre aux besoins des femmes. Ce qui ressort beaucoup de la recherche actuelle et des autres domaines comme la prévention, c’est que la question des femmes séropos se résume aux organes génitaux, à la contraception et à la grossesse. Ça nous résume …