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XVIIe CROI à San Francisco

Traitements quoi de neuf ?

lundi 1er mars 2010

Aujourd’hui, nous disposons de nombreux inhibiteurs dirigés contre des cibles produites par le VIH. Il s’agit majoritairement d’inhibiteurs de la transcriptase inverse, une enzyme qui convertit le génome du virus sous forme d’ARN en ADN et d’inhibiteurs de la protéase, une autre enzyme qui découpe les produits protéiques du virus en morceaux adaptés pour participer à la reconstitution d’une particule virale.

Il faut aussi ajouter le raltégravir (Isentress®), un inhibiteur d’intégrase, encore une autre enzyme virale qui permet d’insérer l’ADN produit par la transcriptase inverse dans les chromosomes de la cellule infectée et l’inhibiteur de fusion enfuvirtide (T-20 ou Fuzéon®) dirigé contre une protéine de l’enveloppe du virus.

Il existe aussi des antirétroviraux dirigés contre nos propres molécules et non plus celles spécifiques du virus. Ainsi, pour entrer dans la cellule qu’il infecte, le VIH met en contact son enveloppe avec des portes d’entrée à la surface cellulaire, dont les CD4, marqueurs bien connus de l’évolution de l’infection et qui jouent aussi un rôle crucial de récepteurs pour le virus. Ce n’est pas suffisant et d’autres molécules appelées co-récepteurs sont nécessaires, comme les protéines de surface cellulaire CCR5, cibles de l’inhibiteur maraviroc (Celsentri®). Il y a d’autres molécules virales impliquées dans la reproduction du virus et d’autres processus cellulaires qu’utilise le VIH. Du fait de l’émergence de résistances aux antirétroviraux, il est toujours nécessaire de trouver des successeurs aux médicaments actuels – en attendant une guérison. Que nous concoctent les chercheurs et cliniciens comme successeurs des antirétroviraux actuels et en complément ?

TBR652 : un nouvel inhibiteur prometteur [1] ?

Le laboratoire américain Tobira Therapeutics de Princeton dans le New Jersey s’intéresse à un nouveau composé, le produit TBR652, molécule à visée anti-CCR5 et anti-inflammatoire, ciblant à la fois les récepteurs cellulaires CCR5 et CCR2. Ce dernier récepteur, qui n’est pas un co-récepteur du VIH, est présent à la surface de plusieurs types cellulaires (macrophages, cellules dendritiques et lymphocytes T mémoire) et impliqué dans diverses maladies inflammatoires – athérosclérose, résistance à l’insuline, syndrome métabolique, etc. L’infection par le VIH est aussi associée à des problèmes d’activation immune pouvant conduire à une inflammation chronique, il peut donc être intéressant d’essayer d’enrayer ce processus avec une molécule à double activité. Indépendamment du travail présenté, le ciblage du récepteur CCR2 s’est avéré bien toléré dans d’autres essais, de même que le TBR652 chez des volontaires en bonne santé.

L’essai TBR-652-201 visait à évaluer l’effet (efficacité, puissance, formulation, tolérance, pharmacocinétique et effet contre CCR2), sur une courte durée, du produit en monothérapie de 10 jours chez des personnes déjà traitées, mais n’ayant pas pris de traitement depuis 6 semaines au moins (avec plus de 250 CD4 et plus de 5000 copies de charge virale). Toutes les formulations évaluées qui étaient supérieures à 25 mg (2 comprimés à 25 mg, 3 x 25 et 6 x 25 mg ou un comprimé de 100 mg) ont conduit à une réduction d’un facteur 10 de la charge virale, avec une bonne pharmacocinétique et tolérance. Pour tester si l’effet sur l’autre récepteur, le CCR2, est effectif, les investigateurs ont dosé la quantité disponible dans le sang de son ligand. Le CCR2 se lie à une cytokine appelée MCP-1 [2]. Alors que le groupe prenant un placebo ne voyait pas la quantité sanguine de MCP-1 varier au jour 10 par rapport au premier jour de l’essai, tous les autres groupes présentaient une augmentation plus ou moins importante de MCP-1 circulant, quelle que soit la dose prise en comprimé(s). Cela ne démontre pas un effet anti-inflammatoire, mais que la cible semble bien atteinte, ce qui est un premier pas.

Ces résultats portant sur un petit nombre de personnes (7 à 10 par groupe et quasiment que des hommes…) sont plutôt encourageants, même s’il reste encore à montrer qu’en plus d’un effet antirétroviral, l’effet anti-inflammatoire est véritablement au rendez-vous.

Le vicriviroc, décevant cette fois [3]

Les essais de phase III VICTOR-E3 et E4 menés dans plusieurs pays auprès de personnes pré-traitées par antirétroviraux comparaient l’inhibiteur anti-CCR5 de Merck à un placebo sur fond de traitement optimal. Le vicriviroc s’était avéré efficace en phase II chez des personnes avec peu d’option thérapeutique. Les deux phases III n’ont pas permis de conclure à une efficacité à 48 semaines en terme de contrôle de la charge virale : 64 % (groupe vicriviroc) versus 62 % (groupe placebo) des participants avaient une charge indétectable avec un seuil à moins de 50 copies/mL, et 72 % versus 71 % pour un seuil à 400 copies/mL. La fréquence de résistance au traitement de fond était similaire dans les deux groupes, de même que la survenue des effets secondaires.

Un petit espoir peut-être pour la molécule : un bénéfice thérapeutique a été observé avec le vicriviroc lorsque l’on prend en compte uniquement les personnes avec une ou deux molécules antirétrovirales toujours actives (c’est-à-dire sans résistance à ces traitements). La différence entre les deux groupes n’est pas significative statistiquement quand on s’intéresse aux participants ayant plus de 2 molécules actives dans leur traitement de base. Effectivement, au cours des essais de phase III, ce traitement de fond incluait globalement des antirétroviraux plus puissants que ceux pris pendant les phases II. Peut-être faudrait-il revoir le design des essais futurs de ce type pour démontrer une efficacité ?

Le S/GSK1349572, nouvel anti-intégrase [4]

Qu’apporterait un nouvel inhibiteur d’intégrase en complément du raltegravir/Isentress® ? La réponse des laboratoires japonais Shionogi & co et américain GlaxoSmithKline [5] est un inhibiteur à prise unique – le raltegravir nécessite deux prises par jour – doté d’un profil optimisé pour faire face aux résistances qui peuvent apparaître après exposition au raltegravir ou à l’elvitegravir, un autre inhibiteur d’intégrase en cours d’évaluation et qui nécessite d’être boosté (voir brèves suivantes). Les chercheurs ont ainsi présenté leur stratégie d’optimisation (allers-retours entre synthèse chimique et évaluation pharmacologique) pour identifier une molécule de seconde génération répondant à ces critères. La molécule S/GSK1349572, de structure distincte du raltegravir, présente une activité additive ou synergique avec les autres antirétroviraux, une pharmacocinétique dans le corps humain favorable et un profil de résistance supérieur, du moins dans des tests réalisés en laboratoire.

Pour conclure, les investigateurs déclarent qu’il s’agit du seul inhibiteur d’intégrase non boosté à prise unique en développement clinique, qui a, de plus, exhibé une activité antirétrovirale sans précédent dans un essai de phase IIa. Attendons la suite des essais qui devraient concerner à la fois les personnes naïves de traitement et celles pré-traitées avec résistance aux inhibiteurs d’intégrase.

Un nouveau coup de pouce pour les traitements [6]

Après le ritonavir (Norvir®) – et sa forme sèche qui vient d’apparaître, coïncidence ou jeu de la concurrence ? – voici des nouvelles du « cobicistat », le nom choisi par Gilead pour sa molécule GS-9350, un booster (nom donné aux molécules qui augmentent l’efficacité d’autres médicaments en retardant leur élimination par voie hépatique et en augmentant ainsi leur concentration sanguine) dénué d’activité antirétrovirale. Annoncé à la CROI 2009, il poursuit sa progression en démontrant dans un essai de phase II qu’il est capable de booster un inhibiteur d’intégrase, l’elvitegravir, et un inhibiteur de protéase, l’atazanavir (Reyataz®). Il est aussi efficace que le ritonavir en terme de sécurité d’emploi et d’efficacité antirétrovirale de l’atazanavir en combinaison avec emtricitabine et tenofovir (c’est-à-dire Emtriva® + Viread®, soit Truvada®).

Lors de dosages sanguins, un petit coup de pouce du niveau de la créatinine [7] a tout de même été observé, ce qui n’est pas le cas avec le ritonavir. Comme cette mesure – indirecte – pouvait suggérer une atteinte rénale, les investigateurs ont entrepris une étude chez des volontaires non séropositifs et, avec une méthode directe de mesure de la fonction rénale, ils ont pu montrer que celle-ci n’était pas altérée. Se voulant rassurant, l’orateur déclarait que la petite augmentation de créatinine sanguine observée, réversible à l’arrêt de la prise du booster, n’était pas plus conséquente que celle observée après la prise de cimétidine, un médicament anti-histaminique en vente libre aux Etats-Unis. Voilà de quoi rassurer les investisseurs qui peuvent retrouver, sur leurs sites boursiers favoris, le communiqué de presse post-CROI de Gilead mentionnant la petite hausse de créatinine. Tout cela nous rassure-t-il vraiment, en tant que séropos ?

Gilead se met en quatre pour nous [8]

Annoncé aussi à la CROI 2009, le Quad se présente bien en phase II. Ce comprimé « quatre en un » contenant de l’emtricitabine (Emtriva®), du ténofovir (Viread®), de l’elvitegravir (un nouvel anti-intégrase) et du cobicistat (un nouveau booster, voir brève ci-dessus) a été comparé dans un essai de phase II à un traitement à base d’Atripla® : (efavirenz, emtricitabine et tenofovir). Le Quad s’est avéré non inférieur au traitement comparé, avec moins d’effets secondaires, notamment au niveau du système nerveux central. Au vu de ces résultats encourageants, des études de phase III sont envisagées. Là encore, patience avant de bénéficier d’une éventuelle simplification de prise de traitements…

LEDGF/p75, un cofacteur de l’intégrase [9]

Il s’agit d’une nouvelle molécule, première de sa catégorie. Parce que le VIH ne peut pas se répliquer indépendamment, il utilise ou détourne des processus cellulaires pour parvenir à ses fins. Ainsi, l’intégrase seule ne peut assurer l’intégration de la forme ADN du virus dans nos chromosomes. Le virus utilise alors des partenaires cellulaires dont une protéine, LEDGF/p75, plus particulièrement étudiée par des chercheurs de Louvain en Belgique. Décodons : LEDGF est l’abréviation anglaise de Lens Epithelium-Derived Growth Factor, pour facteur de croissance dérivé de l’épithélium de la lentille (celle du cristallin dans l’œil), mais ce facteur n’est pas retrouvé uniquement à ce niveau ; c’est le même qu’une protéine identifiée dans d’autres circonstances et qui joue le rôle d’un co-activateur de transcription. Les facteurs de transcription et les protéines qui les accompagnent permettent et facilitent le démarrage de l’expression d’un gène en interagissant avec l’ADN ; c’est le cas de la protéine appelée p75, ‘p’ parce que c’est une molécule de type protéine et ‘75’ parce que sa masse moléculaire est de 75 kilo Dalton [10].

La présentation décrivait la démarche conduite pour identifier des inhibiteurs de ce partenaire de l’intégrase qui lui permet de mieux interagir avec l’ADN. Après criblage d’un très grand nombre de composés chimiques, les chercheurs ont pu identifier des molécules capables de bloquer l’interaction entre l’intégrase et LEDGF/p75. De plus, parce qu’ils ont pu obtenir des informations très précises [11] sur la façon dont ces deux protéines interagissent, ils ont alors rapidement optimisé les molécules identifiées et sont arrivés à des composés capables d’inhiber la réplication virale en laboratoire. De plus, ces inhibiteurs, baptisés LEDGINs, agissent sur des variants du VIH résistants aux inhibiteurs d’intégrase. L’application en clinique n’est pas pour tout de suite, mais il semble que les études réglementaires préalables à l’investigation clinique (études de toxicité cellulaire et animale, pharmacocinétique, etc.) soient prometteuses. A suivre dans de futurs protocoles.

Raltegravir (Isentress®) : quoi de neuf ?

Plusieurs présentations montraient les avancées avec cet inhibiteur d’intégrase. Les lecteurs intéressés par les détails se reporteront au chapitre suivant : Zoom sur Isentress®. L’introduction du raltegravir dans un traitement antirétroviral est associée à des changements corporels minimes à 96 semaines chez des personnes naïves de traitement [12]. Chez les personnes co-infectées VIH et hépatite B ou C, qu’elles soient naïves de traitement ou pré-traitées, le raltegravir s’est avéré aussi efficace qu’un traitement de référence pour contrôler la charge virale, et il est bien toléré, notamment au niveau du foie [13].


[2Abréviation anglaise de ‘monocyte chemoattractant protein-1’, un facteur diffusible capable d’attirer plusieurs types cellulaires exprimant le récepteur CCR2, dont les monocytes, sur un site d’infection ou d’atteinte tissulaire.

[5En fait, ViiV Healthcare depuis le rapprochement entre GSK et Pfizer pour l’axe anti-VIH, où, curieusement, le facteur humain ‘H’ a disparu au milieu du palindrome ViiV…

[7Produit de dégradation d’un composant musculaire (la créatine) dont le niveau anormalement élevé dans le sang révèle un défaut d’élimination par les reins.

[10Le Dalton est l’unité de masse appropriée à l’échelle moléculaire

[11Grâce à la production d’un co-cristal entre les deux protéines, élément de base pour cartographier avec une résolution très poussée leurs domaines de contact

[12Le profil métabolique est favorable, voir présentation sous forme d’affiche #720 sur www.retroconference.org.

[13Données issues des essais STARTMRK et BENCHMRK, voir présentation sous forme d’affiche #662 sur www.retroconference.org.