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Aids vaccine 2005 (2)

dimanche 25 septembre 2005

Second volet de notre chronique de la conférence Aids Vaccine 2005 de Montréal

Inventer un vaccin

Le système immunitaire est doué d’une capacité d’apprentissage phénoménale qui lui permet d’opposer une réaction de défense très efficace et très rapide contre des agents qu’il aurait rencontré auparavant. D’où l’idée des vaccins. Un vaccin est une substance que l’on donne à un individu afin qu’il fabrique une réponse immunitaire contre cette substance qui représente l’agent contre lequel on veut fabriquer une protection. Mais ce n’est pas cet agent lui-même. Les vaccins ont beaucoup évolué. S’ils étaient jusque là essentiellement constitués de l’agent pathogène lui-même dont on avait atténué la virulence soit en le tuant, soit en l’affaiblissant, la biotechnologie permet aujourd’hui d’employer bien d’autres agents. Ils sont pour la plupart de pures fabrications de laboratoire. De plus, le standard incontournable en matière d’immunologie a toujours été de considérer qu’un vaccin réussi est une substance qui induit la production d’anticorps capables de neutraliser l’agent pathogène contre lequel on se bat. Mais voilà, le sida perturbe le bel ordonnancement des choses puisque depuis bientôt 20 ans, les recettes traditionnelles ont échoué dans cette tâche. Il ne restait plus qu’à déclarer forfait ou à tout reprendre à zéro. C’est pourquoi la recherche fondamentale est aussi essentielle pour la découverte d’un vaccin. Il s’agit d’une part de comprendre mieux l’immunité et d’autre part de bien connaître le virus.

La première session plénière de la AIDS VACCINE 2005 était donc consacrée à la recherche fondamentale. Le Dr. Wyatt (Vaccine Research Center, NIAID, USA) a résumé toutes ces vaines tentatives pour produire des anticorps dirigés contre la protéine d’enveloppe du VIH. Ces tentatives sont restées vaines, car la partie la plus visible du virus est extrêmement changeante et les anticorps produits ne sont pas longtemps efficaces. Il a donc fallu se lancer dans l’analyse structurelle des protéines virales afin de rechercher des sites invariables comme ceux qui leur servent à s’attacher aux lymphocytes pour y pénétrer. Là encore, il a fallu de longues recherches afin de comprendre que ces sites sont très difficiles d’accès parce que la protéine ne les découvre que lors du processus d’entrée dans les cellules cibles. Récemment, un site a été découvert sur l’une de ces protéines qui pourrait permettre de neutraliser le processus d’entrée du virus. Il est situé sur la GP41 à proximité de la membrane, d’où son nom de MPR (membrane proximal region). Mais il reste maintenant tout à faire : concevoir les vaccins, procéder aux études pré-cliniques et peut-être passer aux études sur l’homme.

Le deuxième intérêt pour les chercheurs de concevoir des vaccins sont ces personnes qui ne réagissent pas comme les autres à l’exposition au virus. Mais ils s’intéressent aussi à tout ce qui fait la différence d’évolution de la maladie entre personnes séropositives. En effet, l’idée du vaccin a beaucoup évolué depuis les années 1980. Non seulement on s’intéresse aux particularités de l’immunité de celles et ceux qui résistent à l’infection virale mais on a élargi le champ d’application des vaccins potentiels en s’intéressant aussi à leur possible effet sur l’évolution de la maladie, charge virale et compte de lymphocytes T CD4, des personnes vaccinées et néanmoins contaminées. C’est dans ce domaine que la recherche génétique est venue bouleverser la donne. Philip Goulder (Université d’Oxford, Grande-Bretagne) a exposé ces particularités qui font que selon les hasards de la génétique certains ont un système immunitaire qui se montre plus adapté que d’autres à lutter contre le VIH. Les molécules HLA de classe I sont ici en cause. Les régions extrêmement variables de ces molécules que le système immunitaire utilise pour détecter les cellules infectées ne sont pas aussi efficaces à rendre le VIH visible par les lymphocytes T CD8. On a ainsi pu montrer que les gènes utilisés conditionnent l’évolution de la maladie tant en terme de charge virale que de contrôle de l’immunité. En effet, on sait, grâce au résultat des recherches récentes que ce sont ces lymphocytes T CD8 dits aussi cytotoxiques qui contrôlent la maladie dès la primo-infection. C’est aussi pour cela que la recherche vaccinale se passionne tant à essayer de stimuler cette réponse immunitaire avant de s’intéresser aux anticorps neutralisants. Mais comprendre pourquoi dans les molécules HLA de classe I ce sont précisément les segments B qui sont importants et pas les deux autres, voilà ce qui alimentera encore bon nombre de travaux de chercheurs pour les années à venir.

Dans l’après-midi, le symposium de la Global HIV Vaccine Enterprise devait faire le point sur l’état de cette organisation. L’occasion fut donc donnée à son secrétaire, José Esparza, de retracer les grandes lignes de sa courte histoire. Créée à l’été 2003, l’Enterprise est l’émanation d’un groupe de 24 scientifiques qui ont fait le constat que pour réussir la recherche vaccinale devait s’unir et s’organiser en réseau mondial. Il proposèrent donc, au lieu de créer un organisme de plus, de mettre sur pieds une alliance entre les organisations existantes et de lui permettre de faire fonctionner l’ensemble des chercheurs en harmonie. Publié originellement en juin 2003 par le journal « Science », l’appel de ce groupe de scientifiques devait se concrétiser ensuite par un manifeste posant les principes de l’Enterprise, la Airlie House Declaration. Un an plus tard, le sommet du G8 de Sea Island approuvait officiellement la création de l’Enterprise, approbation renouvelée récemment. 2005 est l’année de la mise en pratique. La création par les Etats-Unis du laboratoire de recherche sur le vaccin, le CHAVI doté de 300 millions de dollars sur sept ans et les initiatives de la Bill & Melinda Gates Foundation de créer un centre de recherche dont ils assurent le financement à hauteur de 360 millions de dollars sur 5 ans sont liées à création de l’Enterprise car la volonté politique du gouvernement américain ou de la fondation Gates sont de placer ces outils sous son contrôle.

L’Enterprise, c’est d’abord une méthode d’organisation des partenaires pour élaborer un plan de travail scientifique. Ce « scientific strategic plan » existe aujourd’hui. Les principales priorités concernent bien entendu diverses directions pour la recherche de candidats vaccins mais aussi sur la standardisation des laboratoires d’analyse des résultats, sur le développement et la production de produits, sur les capacités à monter des essais cliniques ainsi que sur les processus de régulation et la question de la propriété intellectuelle.

Ces recherches ne sauraient fonctionner sans la mobilisation de ressources. L’Enterprise comporte deux forums qu’il lui revient de réunir et d’animer. Le premier de ces forums réuni les chercheurs, l’autre les financeurs. José Esparza a d’ailleurs rappelé comment la recherche vaccinale est actuellement financée. Les 662 millions de dollars annuels sont répartis ainsi :
 530 millions de dollars du secteur public américain,
 59 millions de dollars des industriels,
 41 millions de dollars de l’Union Européenne,
 11 millions de dollars des pays européens,
 Les contributions diverses font le reste.

Il reste encore des efforts à faire pour permettre à la recherche vaccinale d’aller de l’avant avec des moyens dignes de l’enjeu. C’est d’ailleurs ce qu’a expliqué Barton F. Hines (Université Duke, USA) en décrivant la tâche du CHAVI : « Ce n’est pas un nouveau Manhattan Project [1], c’est le moyen de découvrir la technologie qui permettra un nouveau Manhattan Project ». Dont acte...


[1Le Manhattan Project est le nom de code de la gigantesque opération conduite par les américains pendant la seconde guerre mondiale pour inventer et fabriquer la bombe atomique.