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Dossier de presse : la santé avant les brevets

La position de quelques industriels indiens

jeudi 24 février 2005

Une interview du PDG du laboratoire indien CIPLA (producteur de génériques) ainsi que la position du syndicat des industries du générique Indian Pharmaceutical Alliance.

Interview du PDG de CIPLA réalisée à Bombay le 12 janvier 2005 par Sidaction

CIPLA Ltd est l’une des principales entreprises pharmaceutiques indiennes. Elle a été créée en 1935. Dans le domaine de l’infection à VIH, CIPLA est renommé pour sa production d’antifongiques génériques bon marché, comme le fluconazole, mais surtout pour ses copies d’antirétroviraux. Le Duovir, l’équivalent du Combivir, et la Triomune, première trithérapie générique à dose fixe mise sur le marché, sont les produits phares de sa gamme d’antirétroviraux.

Sidaction : Alors quelles sont les conséquences de cette nouvelle Ordonnance ?

Dr. Hamied : Le résultat est que le Parlement doit ratifier l’Ordonnance d’ici à 6 mois. Attendons de voir ce que va décider le Parlement, et espérons que le sens commun prévale et que l’Inde décide de sa propre destinée, et que notre destinée ne soit pas décidée dans les couloirs du Pouvoir à Londres ou à Washington.

Sidaction : Quel va être l’impact sur l’industrie pharmaceutique en Inde et dans le monde ?

Dr. Hamied : Je vais vous dire. Le scénario le plus catastrophique, c’est celui auquel on assistera si l’Inde suit la voie de l’Italie. Jusqu’en 1984, l’Italie avait une industrie locale florissante. OK, et que s’est-il passé ? Vingt ans plus tard, où est l’industrie italienne ? D’exportateur net en 1984, l’Italie est passée à importateur net. L’industrie locale italienne est inexistante. Ils ont tous été rachetés par les grandes entreprises multinationales. De fait, d’ici 20 ans il n’y aura plus un seul nouveau médicament émanant d’une nouvelle entité chimique qui sortira d’un pays comme l’Italie. Pourquoi pensez-vous que cela sera différent pour l’Inde ? Bien sûr, l’élan créé par les sociétés indiennes depuis ces 20 dernières années va se prolonger ces cinq prochaines années, à peu près... Ensuite nous commencerons à ressentir la morsure quand des multinationales viendront avec leurs produits sous monopole à des prix élevés et que nous serons toujours tenus de vendre les produits plus anciens. N’oubliez pas que c’est une industrie où l’obsolescence est extrêmement forte.

Des médicaments plus récents arrivent sur le marché, et les plus vieux meurent. Et d’ici 20 ans, aucun des produits vendus aujourd’hui ne sera plus sur le marché ici, et que nous arrivera-t-il ? Le seul moyen de survivre, c’est sur le soi-disant marché de l’industrie internationale générique, c’est-à-dire en Amérique et en Europe. Et c’est ce que font beaucoup d’entreprises. Mais même là il y aura beaucoup de concurrence au sein de l’industrie générique. Alors ce que je dis, c’est que le gouvernement indien, particulièrement dans les domaines de la santé et de l’alimentation, doit mettre en place un système de licences obligatoires, qui permette de reverser 4% de royalties au propriétaire du brevet, mais qui n’autorise pas les monopoles. Un pays comme l’Inde, avec une population qui atteindra bientôt les 1,5 milliard de personnes, ne peut pas se permettre un monopole. Nous n’avons jamais été contre les brevets, nous avons toujours été contre les monopoles. Donnez au propriétaire du brevet ses royalties de 4%. Personne n’y verra d’objection. La question est posée, « Oh mais nous avons dépensé des millions dans la recherche. » Ceci n’est pas vrai. Car la recherche est divisée en deux parties : la recherche fondamentale et la recherche imitative. L’industrie pharmaceutique fait essentiellement de la recherche imitative. La recherche fondamentale se pratique au sein des universités et des centres de recherche publics. Le gouvernement américain dépense 20 milliards de dollars par an dans la recherche fondamentale. Si vous examinez les 50 premiers médicaments vendus dans le monde, vous découvrirez que 70% d’entre eux n’ont pas été inventés par les entreprises qui les fabriquent et les commercialisent. Ce sont tous des produits sous brevets pour lesquels elles paient des royalties à leurs inventeurs. Je veux faire exactement la même chose. Quel mal y a-t-il à cela ?

Je pense que cette loi sur les brevets est un désastre pour l’Inde. Je pense qu’on nous a trahi pour complaire aux multinationales. Je veux citer juste un point, qui est terrifiant : aujourd’hui je ne peux pas breveter directement un produit en Amérique ou au Royaume-Uni ou en Europe ou n’importe où en dehors de l’Inde à moins que je ne l’aie breveté d’abord en Inde et que j’obtienne un accord du gouvernement pour le breveter en dehors de l’Inde. C’était une loi qui jusque là s’appliquait uniquement aux brevets liés à la Défense. Maintenant ils l’ont étendue aux produits pharmaceutiques. Sur quelle base ? Le simple fait qu’ils souhaitent utiliser une telle loi sent la trahison.

Lettre du Syndicat Pharmaceutique IPA

Le système actuel comporte des dispositions pernicieuses

La position du Secretaire General du syndicat des industries du générique "Indian Pharmaceutical Alliance" (union des 11 compagnies les plus importantes, comprenant Ranbaxy, Cipla, Alembic, Cadila Healthcare, DRL, Lupin Laboratories, Nicholas Piramal, Sun Pharma, Torrent Pharma, Unichem Lab and Wockhardt). Ces industries représentent à elles seules 30% du marché pharmaceutique national, et un tiers des exportations.

DG SHAH | The Financial Express

Le débat ne porte pas sur le bien-fondé des brevets sur les produits, mais sur le type de régime dont l’Inde devrait se doter. Il porte sur un projet de loi qui non seulement protège les nouvelles inventions, mais empêche également les entreprises indiennes d’exporter sur le marché mondial des génériques de produits non brevetés. Le problème est le suivant : l’Inde devrait-elle se conformer à des lois pernicieuses sur les droits de propriété intellectuelle, telles qu’elles existent aux États-Unis, dans l’Union Européenne et au Japon ou plutôt élaborer sa propre législation sur la propriété intellectuelle, qui exploiterait les flexibilités introduites par l’accord sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) ?

L’Inde bénéficie d’une position unique. Elle est la seule parmi les pays en développement qui produisent des produits pharmaceutiques à avoir pleinement tiré avantage des dispositions transitoires de l’accord sur les ADPIC. Elle a émergé comme le principal fournisseur de produits pharmaceutiques à bas prix, non seulement pour sa propre population, mais également pour la grande majorité du monde en développement. Elle se doit de montrer au reste du monde non pas qu’elle a un « régime de stature internationale », comme le réclament certains membres du gouvernement, mais un « régime qui respecte l’accord sur les ADPIC », qui restaure l’équilibre entre les intérêts de l’innovateur et ceux du consommateur.

Pour développer un régime approprié, nous avons besoin de personnes ayant l’esprit clair, connaissant les objectifs de la loi sur les droits de propriété intellectuelle et ayant à cœur l’intérêt national. La loi devra trouver le juste équilibre entre (a) promouvoir la recherche et protéger l’accès aux traitements ; (b) attirer les investisseurs étrangers dans la recherche d’une part et éviter d’autre part la fuite des investissements dans le secteur de la production vers les pays voisins bénéficiant d’une extension des dispositions transitoires ; et (c) enrichir le savoir en vue d’obtenir des récompenses (potentielles) et conserver une position dominante sur le marché mondial des génériques (bien réelle).

Tout ceci nécessite une évaluation méticuleuse du marché mondial des génériques, de l’état actuel de l’industrie indienne ainsi que du système de santé indien. Des groupes de pression travaillent déjà activement à dessiner une loi qui limite l’action des entreprises indiennes pour les tenir à l’écart du marché mondial des génériques. Ils travaillent à autoriser le brevetage de changements mineurs sur des substances déjà connues (éternalisation) et à éviter que les examinateurs puissent prendre leurs décisions en connaissance de cause (opposition avant délivrance). Ces deux points sont des composantes critiques de la nouvelle loi.

L’accord sur les ADPIC permet aux pays membres de définir la brevetabilité dans leur droit national. Une définition qui empêcherait le brevetage de changements mineurs sur des substances déjà connues servirait trois objectifs : elle ne retarderait pas le passage dans le domaine public du médicament au-delà d’une période de 20 ans, et favoriserait ainsi l’accès aux traitements. Elle assurerait l’entrée à temps des médicaments dont le brevet a expiré sur le marché mondial des génériques, marché qui, selon les projections, devrait croître de 19 % chaque année. Et enfin, elle protègerait les investissements nationaux dans le secteur de la production.

L’autre composante critique de la nouvelle loi réside dans la possibilité de remettre en question un brevet avant qu’il ne soit accordé, connue sous le terme technique d’opposition avant délivrance. Le nombre de demandes de brevets suggère que beaucoup concernent des changements mineurs apportés à des inventions datant d’avant 1995, qui ne sont pas brevetables en Inde selon l’accord sur les ADPIC. Si, par manque de compétences adéquates, d’expérience ou d’intégrité, ces demandes aboutissaient à la délivrance de brevets, les fabricants indiens seraient obligés de retirer un certain nombre de médicaments actuellement sur le marché, comme l’imatinib mesylate (Glivec). On assisterait alors à une forte hausse des prix liée à l’indisponibilité des produits pharmaceutiques. Conserver la disposition existante d’opposition avant délivrance remédierait à cette menace.

Alors que le reste du monde amorce un renversement des dispositions pernicieuses du système actuel, certains veulent que l’Inde l’adopte. Et dire que certains membres du gouvernement parlent d’une loi « de stature internationale » ou d’une loi « ultramoderne » pour la justifier !