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Entre Doha et Cancun, rappel de la situation

le contexte des négociations à l’OMC

lundi 21 avril 2003

La déclaration de Doha de novembre 2001 reconnaissait enfin la primauté de la santé sur les brevets et elle ouvrait des possibilités de promouvoir l’accès aux médicaments pour tous. Mais une question restait en suspens : comment les pays incapables de produire des génériques pourront-ils s’approvisionner ? Depuis 14 mois, les états s’affrontent sur ce point et les pays du nord empêchent l’obtention d’une solution satisfaisante. En cas d’échec, le débat, s’il a lieu, sera renvoyé à la réunion de Cancun en septembre 2003 sur la base d’un texte (dit « de Motta ») totalement inadapté aux besoins des pays en développement. Rappel du contexte des négociations qui se jouent actuellement à l’OMC.

Les monopoles que confèrent les brevets sont responsables des prix élevés des médicaments qui en interdisent bien souvent l’accès dans les pays pauvres. Depuis plusieurs années, la mobilisation pour l’accès aux traitements contre le sida à contraint les institutions internationales à prendre en compte l’impact sanitaire dans les pays en développement de la mise en ?uvre des réglementations sur la propriété intellectuelle qu’impose l’organisation mondiale du commerce à l’ensemble de ses États membres. En novembre 2001, les 144 pays membres de l’OMC ont ainsi signé un accord, la déclaration ministérielle sur l’ADPIC et la santé publique (appelée aussi déclaration de Doha) reconnaissant le droit des pays a passer outre les brevets des compagnies pharmaceutiques afin de promouvoir la santé publique et d’accroître l’accès aux médicaments pour tous.

Après des années d’intimidation des industriels, les Etats-Unis et d’autres pays riches visant à décourager les pays pauvres de recourir aux médicaments génériques, la déclaration de Doha a représenté un progrès majeur. Pour la première fois, l’OMC et l’ensemble des pays membres ont affirmé la primauté de la santé sur les brevets.

Cependant, depuis plus d’un an les États-Unis et l’Union européenne tentent de revenir sur les acquis de Doha. Et les pays en développement - en particulier les pays africains - subissent d’énormes pressions pour valider un accord désastreux concernant l’exportation de génériques. Ainsi, le risque est grand de voir la déclaration de Doha vidée de son contenu et incapable de limiter les effets pervers de la globalisation sur la santé publique.

En effet, la déclaration de Doha a laissé une question en suspens : les pays pauvres qui ne produiront pas eux-mêmes de médicaments et qui ont besoin de génériques bon marché où trouveront-ils des sources d’approvisionnement ? La réglementation de l’OMC permet, par le recours aux licences obligatoires, la production locale - la déclaration de Doha a réaffirmé ce droit.

Mais, en l’état, elle empêche l’exportation des médicaments produits sous licence obligatoire vers d’autres pays. Il s’agit d’un problème majeur puisque la plupart des pays pauvres ne disposent pas à l’heure actuelle de la capacité de produire des versions génériques des médicaments essentiels dont ils ont besoin ou auront besoin à l’avenir. En outre, beaucoup de pays qui sont techniquement en mesure de produire ne disposent que de débouchés restreints sur leurs marchés intérieurs pour les produits pharmaceutiques, ce qui, en l’absence d’une possibilité d’exportation, interdit la production locale - en effet, l’alimentation du marché intérieur ne nécessite pas une production assez conséquente pour réaliser des réductions de prix intéressantes. Enfin, les brevets qui s’appliquent aussi à la matière première en interdisent de même l’exportation ; or, peu de pays ont la capacité technologique de fabriquer des matières premières, même s’ils sont capables de produire les produits finis, les médicaments.

A Doha, l’OMC a donné mandat aux états membres pour résoudre le problème avant la fin 2002. Cela fait 14 mois que les états s’affrontent sur ces questions et que les pays du nord empêchent l’obtention d’une solution satisfaisante.

A l’issue d’une année de négociations, et à force de pressions directes sur de nombreux pays en développement, les pays riches étaient parvenus à faire accepter par une majorité de membres de l’OMC un texte, dit « de Motta », construit sur le modèle de la proposition soutenue par l’union européenne, et malheureusement inadapté pour répondre aux besoins des pays pauvres. En effet, il exclurait les pays pauvres ayant un niveau de développement modéré. En outre, soumettant les pays à des procédures administratives complexes et nécessitant d’importants délais de mise en ?uvre, il serait difficile à utiliser, voir impossible à appliquer. Enfin, il exclurait les vaccins et autres outils de santé publique du secteur pharmaceutique autre que les médicaments et pourrait être limité à un nombre restreints de pathologies.

En décembre 2002, les Etats-Unis, soutien des compagnies pharmaceutique se sont opposées à l’obtention d’un consensus sur la base de ce texte en exigeant qu’il ne s’applique qu’à certaines maladies. Cette liste se restreignait selon l’Union européenne aux « maladies africaines » (sida, tuberculose, paludisme et quelques autres), excluant les pathologies aussi graves que le cancer ou le diabète, pourtant courante dans les pays en développement. L’Union européenne, le Japon, la Suisse et le Canada ont soutenu cette position. Les pays en développement, de leur côté, ont insisté sur le fait que la déclaration de Doha ne se limitait pas à une liste de maladies et ont rejeté cette proposition. Aucune solution permettant l’exportation de génériques n’a ainsi pu être obtenue au terme du mandat conféré par l’OMC.

Mais les Etats-Unis et l’Union européenne n’interviennent pas qu’au niveau de l’OMC pour faire obstruction à l’accès aux génériques et renforcer les clauses de propriété intellectuelle. Une série d’accords bilatéraux et régionaux entre les États-Unis ou l’Union européenne et les pays en développement font parti de leur dispositif. Parmi ceux qui se négocient actuellement on peut citer : l’accord de libre échange de l’Amérique centrale, l’accord de libre échange des Amériques, l’accord de libre échange entre les Etats-Unis et le Maroc, l’accord de libre échange entre les Etats-Unis et Singapour, l’accord de libre échange proposé avec l’Union douanière d’Afrique australe.
Systématiquement les pays riches utilisent ces accords commerciaux pour contraindre les pays pauvres à élever le niveau de protection des brevets au-delà des exigences de l’OMC : en jouant sur certaines clauses imposant de nouvelles restrictions sur l’octroi de licences obligatoires, l’extension de la durée d’un brevet au delà de 20 ans et l’élimination des licences obligatoires pour les exportations, en instrumentalisant la question de la « protection des données » (données sur les essais cliniques notamment) pour empêcher les génériqueurs d’obtenir la mise sur le marché de leurs produits, instaurant ainsi un double système de protection sur les médicaments.

Dans ce contexte, les négociations ouvertes à Doha peuvent représenter une opportunité d’établir un standard international qui protège les intérêts des populations et dont les pays en développement pourraient se prévaloir. Si la ratification d’un accord inacceptable sur la question de l’exportation des génériques, imposé au Sud par le Nord, serait actuellement pire qu’aucune solution, le blocage provoqué par les Etats-Unis, fin de 2002, peut en revanche permettre aux pays en développement d’exiger le réexamen et la révision du « texte de Motta » afin que soit respecté les engagements pris à Doha. Pour ce faire les ONG et les associations peuvent jouer un rôle primordiale en rappelant à leurs décideurs politiques la nécessité de ne pas fléchir et de soutenir les intérêts de santé publique.

Depuis l’échec des négociations en décembre 2002, plusieurs tentatives ont été conduites par l’Union européenne, le Japon et l’ambassadeur Motta pour négocier un compromis sur la question de la liste des maladies et satisfaire les Etats-Unis. Toutes ont échoué, les pays pauvres refusant d’accepter une liste arbitraire. A l’heure actuelle les négociations sont dans l’impasse. Les pays en développement subissent toujours une incroyable pression des Etats-Unis et de l’Union européenne pour ratifier un texte inadapté à leurs besoins. En l’absence de toute solution dans les mois à venir, le débat sera renvoyé à la réunion ministérielle de l’OMC à Cancun en septembre 2003. Ce conflit sur les médicaments cristallise les oppositions entre pays du Nord et du Sud. S’il se concluait sur une victoire de l’industrie pharmaceutique pour maintenir ses monopoles et empêcher l’accès aux génériques, cela prouverait une fois de plus, et de façon tragique, l’inadéquation des accords internationaux aux besoins d’un majorité de pays et du cadre l’OMC comme espace de négociations équitables.