Accueil > L’association > Archives > Action = Vie > Édito

Édito

jeudi 11 mars 1999

Malades du sida, prenons garde, plus que jamais,
à l’hypocrisie du discours que l’on nous tient sans vergogne dans les rapports officiels et par les ministères.

Le temps est venu de décliner sous tous les tons que « le travail, c’est la santé ! », et ce simplement parce que nous, malades du sida, commençons
à coûter cher.Passons sur l’indécence des politiques incapables de faire état de leur responsabilité dans l’épidémie et qui déjà viennent demander des comptes.
Donc nous coûtons cher. Mieux : nous coûtons TROP cher. Et c’est ce « trop » que nous allons voir déguiser dans les mois à venir, de manière politiquement inacceptable.

Trop, parce que « nous allons mieux », et trop, parce que nous ferions mieux de rapporter à la collectivité plutôt que de lui demander.

Trop, parce que la médecine commence à répondre à certains effets secondaires de nos traitements.

Trop, parce qu’il n’est pas bon pour nous de rester ainsi en marge d’une société qui tourne.

Trop, parce que certains d’entre nous gagnent plus que d’autres précaires dont l’Etat a également la charge.

Trop, parce que les structures administratives sida fonctionnent mal et doivent donc être revues.

Les raisonnements oiseux ou franchement surréalistes vont ainsi bon train, et ce dans un unique but : faire des économies.

Certes, on ne nous dit pas déjà que c’en est « trop ». On nous dit plutôt qu’il est temps aujourd’hui de « penser à la vie ». et, bien évidemment, on va y penser pour nous.

Là est l’obscénité.

L’obscénité, c’est de dire aux malades qu’ils ne sont plus assez malades ; c’est d’en recourir à la notion de degré dans leur maladie ; c’est de juger à la tête du patient ou à l’absence de lipodystrophie ; c’est de s’imaginer que la pleine forme d’aujourd’hui, c’est automatiquement celle de demain ; c’est d’affirmer qu’un traitement se prend au bureau comme un coupe-faim et que les coups de déprime ou l’absence de libido n’ont rien à voir avec le handicap, puisque ce n’est pas censé empêcher de travailler.

L’obscénité, c’est d’oser affirmer que le marché du travail nous tend des bras salutaires et c’est d’imaginer que, même si c’était vrai, nous aurions tous envie d’y plonger.

L’obscénité, c’est de parler de « retour à la vie » et de n’avoir à offrir que l’embauche forcée ou le R.M.I. C’est de faire des malades du sida des chasseurs d’allocations ayant flairé les plus intéressantes.

L’obscénité, c’est enfin d’opposer les précaires et les malades (en oubliant, évidemment les étrangers) et d’affirmer que les précaires d’aujourd’hui passent avant « les malades d’hier ».
Les conditions de vie des malades du sida ont changé, mais le sida ne disparaît pas. Les « malades d’hier » sont les malades ET précaires d’aujourd’hui et de demain.

La logique avec laquelle le gouvernement appréhende le sida aujourd’hui révèle son incapacité à donner à la maladie le statut social que la situation exige.

Nous ne laisserons pas s’installer ce climat faisant de nous des profiteurs d’une société qui aurait assez donné. Si aujourd’hui nous commençons à retrouver un minimum de maîtrise de notre quotidien, ce n’est pas pour le laisser à des comptables d’une situation qu’ils n’ont jamais su comprendre.