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La pharmacovigilance en France

par Bernard Delorme

mardi 20 novembre 2012

Lors de 86ème RéPI, Effets indésirables pas si secondaires, Bernard Delorme, chef de l’unité d’information des patients et du public à l’[ANSM*, a présenté le système de pharmacovigilance. Son intervention pédagogique est retranscrite ci-dessous, ainsi que les questions et réponses auxquelles elle a donné lieu.

Qu’est ce que la pharmaco-vigilance ?

La pharmacovigilance est un recueil des effets indésirables. On a tendance à employer le terme d’effets indésirables, puisqu’en pharmacovigilance on relève les effets nocifs, mais il ne faut pas oublier que le terme «  effets secondaires  » est intrinsèquement lié à l’action du produit. Dans certains cas, il y a des effets secondaires qui sont bénéfiques. C’est le cas, par exemple de l’aspirine utilisée pendant des siècles comme antipyrétiques (anti-fièvre), anti-inflammatoire, et dont on s’est aperçu ensuite qu’elle pouvait être aussi un excellent antiplaquettaire, mais ce sont plutôt des exceptions.

La pharmacovigilance est née de catastrophes et de crises sanitaires. La plus marquante et celle qui a vraiment jeté les bases de ce type de surveillance à la fin des années 60, c’est celle de la thalidomide qui a donné lieu à un système de pharmacovigilance mis en place par l’OMS, puis en France en 1973.

Les différentes étapes de la pharmacovigilance par rapport à la vie du médicament

La première étape est une phase de screening (tests) des molécules, où ce qui priment ce sont les exigences technologiques, c’est-à-dire que le médicament soit efficace sur tel mécanisme pathologique, tel virus, telle bactérie, etc.

Ensuite, c’est la phase des essais cliniques, où on essaie de répondre à des exigences médicales, donc de traitement. Cette phase s’arrête à la mise sur le marché du médicament, lorsque les essais cliniques permettent d’avoir un dossier qui évalue aussi bien l’efficacité que les risques du médicament. C’est là que commence la vraie vie du médicament qui va se limiter à la phase habituelle de commercialisation, c’est-à-dire les 10 ans de protection d’un brevet, mais qui peuvent être étendus. Là on est vraiment dans des exigences, qui ne sont plus des exigences techniques, ni des exigences strictement médicales, mais des exigences de santé publique.

Pourquoi cette surveillance après la mise sur le marché ?

Même si les études se sont attachées à évaluer un rapport bénéfices/risques, cela reste toujours incomplet parce que les essais ont été réalisés dans des milieux un peu particulier  : le milieu des essais cliniques est fermé, avec des critères d’inclusion et d’exclusion très surveillés. De ce fait, certaines populations ne peuvent pas y participer et le nombre de participants est limité. Même si maintenant on voit couramment des dossiers d’AMM qui comprennent plusieurs milliers de participants, quand on passe à la phase de vraie utilisation, c’est 30 000, 100 000, voire des millions d’utilisateurs qui sont concernés. De plus les essais cliniques sont par nature limités dans le temps, puisqu’ils sont faits pour déboucher sur une AMM, il n’y a donc pas le recul d’utilisation tel qu’on l’a lorsque le médicament est sur le marché.

Par conséquent, la définition de la pharmacovigilance c’est l’ensemble des techniques d’identification, d’évaluation et de prévention. Ce sont ces signaux qu’il faut interpréter, un continuum jusqu’à la prise de décision, un signalement à suivre. Il faut garder en perspective qu’elle ne permet pratiquement jamais d’avoir de dénominateur, c’est-à-dire que l’on va avoir X effets indésirables mais on n’aura jamais le dénominateur que cela représente par rapport à la population générale. Pour cela, il faut des essais spécifiques, des essais cliniques pour vraiment établir une fréquence très précise. Cette phase est aussi une phase de prévention, qui doit permettre la réalisation de travaux complémentaires. On va par exemple effectuer une vraie étude épidémiologique avec un groupe contrôle ou témoin par exemple.

Il y a enfin la phase de prise de décision, c’est-à-dire l’action qui découle de l’identification d’un signal. Ce sont des réponses gradées en fonction de l’importance et de la gravité du signal.

La première étape, c’est de modifier l’information de base qui est contenue dans le résumé des caractéristiques du produit, autrement dit le dictionnaire VIDAL, qui est à la disposition des médecins et la notice du médicament, qui est le reflet de l’information stricte donnée au médecin.

Ensuite, il faut vraiment avoir à l’esprit les restrictions de prescriptions d’utilisation, qui sont une arme assez particulière que l’on utilise en pharmacovigilance. Ces conditions de prescription et de délivrance, concernent notamment l’inscription sur la liste des substances vénéneuses. C’est gradé, ça va de la prescription par les médecins généralistes ou spécialistes, jusqu’à l’extrême, la prescription dans des conditions particulières, dans l’exigeance et l’obligation d’une information complète du malade. C’est un cas extrême, mais ça arrive de plus en plus.

Ensuite, il y a des mesures qui peuvent être vraiment techniques, comme la modification d’un conditionnement. C’est le cas par exemple du Di-Antalvic qui a été récemment retiré du marché. En France nous avons été relativement épargné parce qu’il était conditionné sous forme de blisters, contrairement aux pays anglo-saxons où on utilise beaucoup le pilulier, qui permet d’être avalé facilement par poignée. C’est tout bête, mais ça a une importance fondamentale.

Quand on est arrivé à ces mesures et qu’on voit finalement que le signal persiste, cela implique une révision du « bénéfices/risques ». C’est une question d’intérêt thérapeutique, on doit alors recalculer l’analyse bénéfices/risques faite lors de la mise sur le marché, aussi bien au niveau de la France que de l’Europe. A l’extrême, cela peut déboucher sur la mesure d’arrêt de commercialisation ou de retrait du marché.

Autre élément à prendre en compte et qui découle d’une crise internationale, c’est le plan de gestion des risques. C’est venu du scandale de l’anti-inflammatoire Vioxx commercialisé à la fin des années 2000. Dès le début on avait des suspicions d’effets cardiovasculaires, on avait des bases théoriques, des bases pharmacologiques pour le suspecter mais on en n’avait pas la preuve en clinique. Après cette crise on s’est demandé comment prévenir les accidents qu’on suspecte mais qui n’ont pas été mis en évidence lors des essais cliniques. C’est cela, la notion de plan de gestion des risques. On met en place un ensemble de mesures, dès la commercialisation de toute nouvelle substance active avec une surveillance spécifique et on va s’attacher à aller chercher les signaux pour lesquels on a quelques suspicions. On va également faire des enquêtes spécifiques, voire demander au fabricant (puisqu’on lui demande lors de son dépôt d’AMM les mesures qu’il compte prendre) de mettre en place des études spécifiques qui sont parfois des prolongements des études déjà fournies pour l’AMM ; et également faire des études de prévention : quand on suspecte fortement un effet, de prendre des mesures qui sont susceptibles de les minimiser, ne serait-ce que par une bonne information du patient.

C’est une étape qui a été vraiment importante puisqu’il n’y avait plus une scission entre la phase des essais cliniques et le passage à la pharmacovigilance classique.

Je vous rappelle que le système de phar-macovigilance se situe maintenant dans un environnement européen. Il y avait différents types de médicaments, parmi les dix mille spécialités qui sont commercialisées en France, et un grand nombre sont des médicaments qui ont été enregistrés en procédure franco-française. Mais de plus en plus de molécules, en particulier les molécules innovantes, arrivent par l’Europe, c’est-à-dire qu’elles sont évaluées par l’ensemble des pays membres de l’Union Européenne. Il y a généralement deux co-rapporteurs, et ensuite la commercialisation impose une vie commune pour ce médicament dans l’ensemble de l’Union Européenne.

En pratique, en quoi consiste la pharmacovigilance ?

Pour les professionnels de santé (à savoir les médecins prescripteurs, les prescripteurs "occasionnels" comme les chirurgiens dentistes ou les sages-femmes, mais aussi les infirmières et les pharmaciens, dispensateurs du médicament) c’est une obligation pour tout effet indésirable grave ou inattendu.

Qu’est-ce qu’on entend par effet grave ou inattendu ?

 L’effet grave peut mettre en danger la santé de la personne, entraîner une hospitalisation ou un décès.

 L’effet inattendu, c’est celui dont on n’a pas la notion, ni dans le RCP, ni dans la notice. Donc un effet qui n’avait pas été identifié lors des essais cliniques, ou dans les éventuelles modifications survenues ensuite au cours de la vie du produit.

Comment les professionnels de santé les déclarent-ils ?

A l’aide d’un formulaire Cerfa, un peu long à remplir mais on y cherche quatre notions absolument indispensables :
le notificateur (la personne qui a identifié l’effet indésirable), les caractéristiques du patient, le produit suspecté, ce qu’il s’est passé de façon succincte.

A partir de ces quatre éléments, on peut déjà prendre en compte un certain nombre de signaux. En ce qui concerne les notifications faites par les professionnels de santé, on peut considérer que pratiquement les deux tiers des signalements proviennent de l’hôpital. La part de la ville est extrêmement faible, par exemple 9% sont déclarés par des généralistes, les pharmaciens en déclarent 15% (ils sont plus nombreux, mais il y a dans ce pourcentage les pharmaciens hospitaliers). Il y a d’autres professionnels de santé, et dans un certain nombre de cas, les malades eux-mêmes.

La particularité du système français, c’est l’existence de centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV), c’est une spécificité qui permet une certaine proximité géographique, avec un réseau qui permet d’améliorer l’évaluation et l’expertise. Si un centre de pharmacovigilance reçoit un signalement, il peut contacter plus facilement le médecin du CHU ou du territoire géographique proche. Ce sont aussi des centres de renseignements à la disposition des professionnels de santé et des malades eux-mêmes.

Il y a plusieurs pistes de recueils des effets indésirables, mais cela converge vers une seule base. Par exemple les médecins ont la possibilité de déclarer les effets indésirables aux laboratoires pharmaceutiques, c’est en parallèle du circuit des CRPV, il existe donc une remontée des effets indésirables par les laboratoires pharmaceutiques. Tout cela est consolidé par une base européenne qui est gérée par l’Agence Européenne du Médicament mais la finalité c’est que tout converge vers une seule base, quelle que soit l’origine du signal.

En ce qui concerne le malade, il est impliqué depuis pas mal d’années dans le développement de la déclaration des effets indésirables. De nombreuses réflexions ont été menées, tant au niveau français qu’européen. En France, il y a eu notamment avec les associations de lutte contre le sida un certain nombre d’expérimentations menées avec l’AFSSaPS et qui ont permis l’identification de décalages existants entre ce qui était observé par les professionnels de santé suite à la prescription de traitements antirétroviraux, et ce qui était rencontré par les malades eux-mêmes.

De la même manière qu’avec la crise du Distilbène®, il y avait à chaque fois une analyse des signaux qui était le fait d’associations de patients. C’est ce qui a inciter l’Etat à organiser cela de manière plus transversale, avec la collaboration des associations et un groupe spécifique qui s’est mis en place pour réaliser une étude. Une vingtaine d’associations très variées (personnes atteintes de maladies osseuses/ articulaires, maladie de Parkinson, maladies rares, accidents, etc.) est rentrée dans cette étude et a colligé via une fiche expérimentale. Cela a démarré en 2006, on a rentré 200 effets indésirables. On s’est arrêté volontairement à 200, et ce qu’on a pu constater c’est que finalement un petit nombre de cas étaient déjà signalés, même s’il s’agissait de cas relativement graves. Mais une très grande majorité (60%) des évènements indésirables qui nous étaient signalés, étaient des évènements qui répondaient aux critères de gravité, présentés plus haut, mais qui finalement avaient échappé au système de pharmacovigilance.

On a également observé qu’au niveau de la qualité du remplissage, près de 20% des déclarations étaient quasiment l’équivalent de ce qu’on peut retrouver dans une fiche de déclaration faite par un professionnel de santé.
Ensuite, un deuxième évènement nous a permis de mesurer l’efficacité de cette déclaration des évènements indésirables : la pandémie grippale H1N1 de 2010, qui n’a heureusement pas été la pandémie que l’on attendait, mais qui a quand même donné lieu à l’administration d’antiviraux et surtout une vaccination à large échelle.

On a mis en place immédiatement le même système de déclarations qu’on avait utilisé avec les associations de malades et on a eu une remontée des évènements indésirables sous forme de notifications. Il y a eu quand même 4 500 déclarations d’évènements indésirables suite à cette vaccination contre le H1N1. Et un cinquième des déclarations ont été directement faites par les usagers avec là aussi un profil qualitatif extrêmement proche de ceux que les professionnels de santé ont remonté .

Enfin, le dispositif a été formalisé l’an dernier, et inscrit dans la Loi HPST, le principe était posé, et les décrets d’application ont été signés en Juin 2011. On trouve sur le site internet de l’Afssaps/ANSM.

On est loin de penser qu’on est arrivé au bout du chemin avec cette déclaration, mais elle a le mérite d’avoir été formalisée, de pouvoir la rendre opérationnelle tout de suite mais il est bien évident qu’elle peut être améliorée techniquement. On s’achemine vers un portail de déclarations, où l’on pourra faire des déclarations électroniques, en ligne. Tout cela avec comme objectif de converger vers un système national de pharmacovigilance. D’autres mesures sont mises en place au niveau européen, puisqu’une directive prévoit que tous les Etats européens proposent à terme un portail de déclaration. Toutefois, on a tout à fait conscience que cette déclaration, nécessite un accompagnement des malades, il faut qu’ils soient sensibilisés à la nécessité de déclarer les effets indésirables et aux enjeux que cela représente. Il y a toute une démarche didactique qui est encore à faire. Et nous pensons, et c’est encore une spécificité française, que les associations ont un rôle particulier à tenir justement dans l’accompagnement des malades et l’éducation à la possibilité de déclarer les effets indésirables. Cette possibilité a été inscrite dans la loi, non seulement pour les malades eux-mêmes, mais aussi pour les associations de malades.

Question de la salle : Par rapport aux chiffres de déclarations des effets indésirables, on dit souvent qu’il y a une sous-notification de ces effets indésirables, est-ce que vous avez des chiffres un peu plus précis  ?

Bernard Delorme : J’imagine que vous parlez de l’étude que je vous ai montrée, l’étude pilote. Ce n’était pas du tout l’objectif. Le quantitatif n’était pas l’objectif, l’idée était de voir en pratique comment on pouvait mettre en place la déclaration directe par les malades et autant que possible une évaluation de la qualité.

Sur le problème de la sous-notification, c’est un problème très général, la très grande majorité des déclarations, qui sont au nombre de 20 000 par an, provient des professionnels de santé. Vous avez vu qu’à travers l’origine des déclarants, on ne correspond pas du tout à la population médicale (les médecins généralistes sont très sous-représentés). Il y a donc probablement des freins qui sont liés à la pratique de ville, peut-être à une moindre sensibilisation, c’est moins facile. On a très souvent mis en avant la différence de perception sur l’aspect qualitatif ; il est très net parfois même dans la tête du médecin que les effets indésirables qui ne remontent pas sont considérés comme intrinsèquement liés au produit. Je prendrai l’exemple des anticoagulants. Une personne qui fait une hémorragie, on voit très bien que toutes les hémorragies sous anticoagulants ne nous remontent pas. Globalement, on n’a jamais de dénominateur, du coup il n’est pas possible de faire une évaluation très précise. Néanmoins au travers des études épidémiologiques qui ont pu être menées, on situe cette fourchette entre 8 et 10% seulement de signalement par rapport à la réalité des effets indésirables. Cela peut paraître ridicule, néanmoins encore une fois, l’originalité de la pharmacovigilance, c’est de récupérer des signaux, et de faire des analyses tout à fait pertinentes sur ce pourcentage qui peut paraître infime. Et également de disposer de signaux précoces. C’est une des pistes importantes d’évolution de la pharmacovigilance. Dans le cadre de la pandémie grippale, par exemple les usagers des vaccins ont fait des déclarations en même temps que les professionnels de santé. C’était vraiment sur une période de temps relativement courte, et en l’occurrence ce fut une pharmacovigilance relativement « pauvre » avec peu d’effets indésirables liés à ces vaccins. Mais s’il y avait vraiment eu un signal, on aurait pu espérer qu’il y ait eu une remontée un peu plus précoce de la part des patients.

Question de la salle : Les professionnels de santé ont donc la possibilité de faire une déclaration soit à l’ANSM, soit aux laboratoires pharmaceutiques. Mais est-ce que l’on peut avoir la certitude que toutes les informations faites aux laboratoires soient transmises par eux à l’ANSM ? Y a-t-il en ce moment une réflexion de l’ANSM vis-à-vis des médecins généralistes ?

Bernard Delorme : Ce n’est pas un cas isolé, en France, la sous-notification est plutôt la même que dans tous les pays européens. En ce qui concerne la notification par les professionnels de santé, et cela a été pointé lors des Assises du Médicament, il est certain que leur formation initiale ne les sensibilise pas suffisamment à l’intérêt de la pharmacovigilance. Je pense que cette année, les médecins généralistes ne pourront plus ignorer l’existence d’un formulaire puisqu’il est dans le Vidal, mais il y a encore une sensibilisation à faire auprès de tous les professionnels de santé.

Sachez qu’il y a des inspections, que le système est extrêmement cadré, qu’il existe une directive de pharmacovigilance citée plus haut, et dans laquelle il y a tout un chapitre sur les bonnes pratiques de pharmacovigilance qui s’appliquent aux fabricants. Et il a été mis en place une inspection du système par des inspecteurs de l’ANSM spécialisés dans ce domaine. De surcroît la récente loi de renforcement de la sécurité du médicament a accentué les sanctions, c’est-à-dire que maintenant, si pour une raison ou pour une autre, il est mis en évidence un défaut de signalement par un laboratoire, non seulement on lui demande de redresser ses dysfonctionnements, mais en plus on peut le sanctionner financièrement.


Le compte-rendu de cette réunion est disponible sur notre site