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Labo cherche asso pour carna

octobre 2009

En mai dernier, l’édito de Protocoles 56 rappelait que l’industrie pharmaceutique n’a toujours pas compris qu’elle avait une dette envers les séropositifs, que c’est sur nos vies qu’elle engrange des bénéfices faramineux.

Hasard des calendriers, alors que Protocoles sortait de l’imprimerie, Le Monde publiait une tribune intitulée « Associations de patients et firmes pharmaceutiques : halte aux liaisons dangereuses », cosignée par Alain Bazot (Président de l’UFC-Que choisir), Jean-Pierre Davant (Président de la Mutualité Française) et Bruno Toussaint (Directeur de la rédaction de la revue Prescrire).

Nous avons répondu aux auteurs de la tribune et explicité, tout comme dans l’édito de Protocoles 56, notre position et ce que nous entendions par la « dette envers les séropositifs » de l’industrie pharmaceutique. Association de personnes vivant avec le VIH, nous recevons des dons de l’industrie pharmaceutique. Cela ne nous empêche pas de produire et diffuser une expertise indépendante et d’interpeller publiquement les laboratoires à chaque fois que nous le jugeons nécessaire.

Nous considérons que cet argent nous est dû car l’industrie s’enrichit sur nos vies et notre santé, elle profite très largement de notre travail. Une telle position n’est pas toujours facile à tenir, elle est parfois risquée. Mais elle montre que, contrairement à ce que peut laisser croire la tribune du Monde, le rapport de dépendance induit par un financement industriel n’est ni naturel, ni automatique : il peut faire l’objet d’un véritable travail politique d’inversion, qui permet de critiquer ouvertement l’industrie pharmaceutique et d’obliger les pouvoirs publics à jouer leur rôle. Cette position implique bien sûr que les fonds de l’association soient diversifiés et que l’association entretienne un rapport de forces permanent avec les firmes pharmaceutiques.

Nous apportons une information et une expertise aux malades, celles que les laboratoires ne sont pas capables d’apporter étant corrompues par un intérêt –commercial- qui n’est pas celui du malade.

Nous pouvons malgré le financement des labos garder notre indépendance et notre expertise. La diversification de nos financements, publics ou privés nous garantit de ne pas tomber sous la coupe d’un financeur leader qui se donnerait par la même occasion un droit de regard sur nos actions. Plusieurs laboratoires payent cette dette et cela nous le rendons public tant dans nos publications que dans notre rapport d’activités annuel

Nous ne sommes pas naïfs

Nous sommes lucides quant aux nouvelles stratégies de mise sous influence de l’industrie pharmaceutique, nous ne sommes pas dupes quant aux tentatives de rapprochement. L’absorption de molécules par les malades et pensée comme rentabilité ne semble pas suffire, désormais les labos nous proposent des « partenariats », des « formations », un « travail ensemble à long terme », ces accroches, quelles que soient leur forme vont à l’encontre de notre indépendance et nous ne les accepterons pas. Les projets doivent rester d’impulsion associative, les rapports -industrie pharmaceutiques et associations de malades- ne doivent pas s’inverser insidieusement.

Prenons un exemple qui nous a donné été à voir récemment. L’exemple est d’autant plus frappant qu’il s’agissait d’une formation proposée par un laboratoire à des associatifs représentant des malades. Cette formation devait porter sur l’économie de la santé, la politique du médicament et la pharmaco-économie !!! Ou comment expliquer aux malades que le prix des médicaments doit aller en augmentant vu les coûts de la Recherche & Développement… Y aurait-il eu un module complémentaire sur « que faire des bénéfices des firmes pharmaceutiques ? » ? Si une formation nous est proposée par un laboratoire : qu’est ce que cela sous-tend ? C’est simple, nous ne pourrons maîtriser l’emprise et la mise sous influence qui viendra s’insinuer dans le discours et nous nous retrouverons catapultés, en termes de représentation, au rôle d’alibi du laboratoire en question qui nous propose une formation que nous organiserions « ensemble ».

Il n’y a pas de « ensemble », les associations de malades ne doivent pas devenir les « prestataires de service » des laboratoires. Prenons un autre exemple, celui des questionnaires qu’un laboratoire nous a proposés, visant à mieux définir des stratégies thérapeutiques et que nous devrions faire passer aux malades ; ce ne sont que des études marketing à peine masquées. Évidemment nous les avons refusés.

Nous sommes donc les cibles des stratégies marketing des firmes pharmaceutiques en tant qu’association de malades. Nous partageons la volonté de Prescrire, l’UFC et la Mutualité Française d’interroger les rapports de l’industrie pharmaceutique et des associations de malades, de les visibiliser, s’il le faut de les rendre publics, qu’il s’agisse d’un édito, d’une tribune d’une action ou d’un débat public entre associations…

Une rencontre éclairée

Le 1er octobre, la revue Prescrire, à la suite de la remise du Prix Prescrire [1] 2009 proposait le débat public : « Qui finance les associations de patients ? Pour quoi faire ? » Représentants d’associations de malades de tous domaines ont répondu présents à l’invitation lancée. Le débat a été introduit pas les interventions d’Alain Bazot, de Pierre Chirac et d’Eric Badonnel (Alain Bazot est Président de l’UFC-Que Choisir, Pierre Chirac est pharmacien rédacteur de Prescrire et d’Eric Badonnel est conseiller du Président de la Mutualité française.).

Leur discours et désignation des tactiques actuelles de l’industrie pharmaceutique ont permis de ne pas tomber dans une confrontation entre associations de malades qui aurait pris la tournure de jugement péremptoire ou de leçon de morale. Cela ne ferait effectivement pas avancer la réflexion pour laquelle nous nous étions ce jour-là, réunis.

La tournure donnée par les trois interventions avant le débat permettait de se poser, et de visibiliser entre associations de malades les questions suivantes : Comment l’industrie pharmaceutique opère t-elle une « mise sous influence des associations de malades ? Comment contrer, éviter ? Comment exister en tant qu’association de malades, en toute transparence financière ?

Plus concrètement, le malade est le « nouveau cœur de cible marketing », comme l’a dit Pierre Chirac : l’industrie pharmaceutique déploie les moyens nécessaires pour fidéliser ce qu’ils considèrent comme leur « clientèle » en passant par « l’investissement de tous les canaux d’information » qu’il s’agisse des articles de wikipédia investis par la publicité détournée des labos, des blogs et réseaux crées pour mieux asseoir leur communication.

Ce qu’il a désigné comme « les marketeurs pharma » tentent donc de s’introduire partout. Il ne s’agit alors pas d’informer le malade mais de vendre au client potentiel.

Le malade est une perspective de client juteux pour les industries pharmaceutiques et il faut trouver un intermédiaire pour toucher cette « cible marketing », les laboratoires l’ont bien compris (ça au moins). Il leur faut donc développer des liens avec les associations de malades et les médias, dans la même optique que le démarchage des professionnels de santé qui existe depuis des années.

Les exemples pointés par les intervenants avant le débat l’ont bien montrés (comme ceux que nous avons donnés plus haut), pour vendre, s’attaquer à la perception du malade en déformant l’information qu’il recherche est une tactique commerciale prisée. Question de perception et question de vente se croisent et s’articulent : un médicament peut-être plus vendu sans être plus efficace, tout est alors une question de communication et des relais choisis pour celle-ci.

La mise sous influence émergeante et vaporeuse peut amener à des discours que l’on croirait fiables à une information destinée aux malades, biaisée et malmenée par une logique commerciale.

Cela a été rappelé plusieurs fois au cours du débat, nous ne sommes pas là pour nous donner des leçons entre associations de malades. Mais le débat et la réflexion face aux nouvelles stratégies de l’industrie pharmaceutique sont en route. D’autant plus que le lobby de l’industrie pharmaceutique au niveau de l’Europe ne baisse pas, la pression est forte. La résistance doit l’être aussi.


[1Pour rappel, la revue Prescrire propose des analyses de médicaments, d’ouvrages et de documents et synthèses de stratégies thérapeutiques. Elle ne perçoit aucun financement de l’industrie pharmaceutique. Chaque année depuis 20 ans, un jury composé de membres de la rédaction de Prescrire sélectionne les ouvrages ou documents particulièrement remarquables parmi ceux présentés dans Prescrire durant l’année.