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FLIC, FRIC, STIC La nouvelle répression politique

janvier 1999

Notre pratique politique est fondée sur le zap, acte de désobéissance civile, choix pleinement assumé de sortir de l’ordre établi - et souvent de la légalité - pour poser publiquement un problème. Nous faisons de la politique en reconstruisant dans chaque situation critique une position qui est toujours à la limite de ce que peuvent tolérer les pouvoirs établis, qu’ils soient politiques, médicaux, scientifiques.

La démocratie c’est selon nous cette possibilité de remise en question, parfois violente, des choses telles qu’elles vont. C’est parce que nous faisons de la politique comme des malades, sans pouvoir jamais nous arrêter, que nous nous inquiétons des restrictions nouvelles faites à nos droits politiques. De la mesquinerie à la mise en cause des libertés fondamentales, toute une série de pratiques nouvelles et de projets sécuritaires nous inquiètent, justement parce qu’ils remettent en cause ce cadre démocratique jamais acquis.

Le mur de l’argent

La mesquinerie, c’est celle de la Mairie de Paris. A l’occasion de la Gay Pride de 1996, nous avions fabriqué une affiche représentant des couples homosexuels s’embrassant, intitulée " Tibéri n’aime pas les Parisiens, Tibéri n’aime pas les Parisiennes ".

Il s’agissait de dénoncer l’absence de politique de la mairie de Paris en matière de prévention du sida, de droits sociaux et de structures d’accueil pour les personnes atteintes.

Ce collage sauvage nous a récemment valu notre première " facture de désaffichage " : non pas une contravention pour affichage illégal, mais une sobre facture, motivée par un arrêté municipal et recouvrée par le Trésor Public, couvrant les frais du décollage effectué par la voirie de la Mairie de Paris. Depuis, à chacun de nos collages, nous avons reçu une addition du même type, dont le montant est calculé en fonction du métrage occupé selon un barème inconnu. Au contraire de nombreuses associations, nous avons toujours refusé de les payer. Le montant global est d’environ 50 000 F aujourd’hui. Après de nombreuse relances, ce sont aujourd’hui les huissiers qui nous rendent visite et nous menacent.

Cette discrète politique de dissuasion financière fonctionne : elle a réussi à faire disparaître les affiches des murs de Paris, rendant cette ville muette d’expression militante et culturelle, en frappant les associations à leur point faible, l’argent. A Paris, les associations pourraient donc exister mais ne pourraient pas s’exprimer par voie d’affichage et seraient censurées financièrement en fonction des messages politiques diffusés. La mairie de Paris utilise-t-elle le même zèle lorsque les partis politiques nous inondent d’affiches de manière tout aussi illégale que nous le faisons ? Jean Tibéri aurait-il une manière différente d’agir en fonction de ses administrés ? Aujourd’hui à Paris, on a le droit d’être militant si on se tait.

Des fichiers pour tous

Parallèlement à ces procédés mesquins, mais efficaces, le gouvernement affine les moyens de sa politique sécuritaire. Le Conseil Constitutionnel vient de déclarer conforme à la Constitution la possibilité donnée aux administrations sociales et fiscales d’interconnecter leurs fichiers informatiques grâce au numéro de sécurité sociale, dont le vrai nom est Numéro d’Inscription au Répertoire national d’identification des personnes physiques.

Elles ont désormais accès à des informations personnelles et privées, et pourront recouper des données fiscales et sociales grâce à un amendement du député-maire PCF de Montreuil Jean-Pierre Brard, fameux pour avoir détruit au bulldozer les foyers Maliens de sa commune. La chasse au contribuable fraudeur est ouverte, c’est-à-dire par exemple la chasse au précaire qui jongle avec des minima sociaux dérisoires pour s’assurer un bout de revenu. Lorsque l’on sait que certains chômeurs militants ont vu se multiplier les contrôles et autres visites à domicile après le mouvement de l’hiver dernier, on imagine les usages possibles de cette interconnexion.

Que penser alors du respect de l’anonymat des malades et de leurs pathologies, quand on sait que tous les actes de soins sont référencés dans les fichiers de la Sécurité Sociale ?

Ironie de l’histoire, c’est justement après le retrait d’un projet semblable de Pierre Messmer que l’on avait crée en 1978 la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), squeezée aujourd’hui par un jeu de procédure, car elle n’est consultée que sur des lois et non sur des amendements. De toute façon, cette même CNIL a rendu un avis favorable " quoique partagé " (8 voix contre 7) - ce qui est une première - sur la création du STIC (Système de Traitement des Infractions Constatées). Projet élaboré par Charles Pasqua en 1994, il s’agit de mettre en place un fichier unique de police judiciaire, qui comprend l’intégralité des procès verbaux et rassemble les données relatives aux crimes et aux délits, à leurs auteurs et à leurs victimes, aux suspects comme aux plaignants. En plus des crimes et délits, certaines infractions y figureront telles que la destruction ou dégradation volontaire du bien d’autrui, accusation typique que connaissent tous les militants ayant participé à des zaps, manifestations, et autres occupations.
Nous ne pouvons qu’être dubitatifs face aux déclarations du Ministère de l’Intérieur affirmant qu’il tiendrait compte des réserves de la CNIL dans le décret d’application du STIC, dont les avis sont de toute façon consultatifs. Même certains syndicats de police ont estimé dangereux l’existence d’un tel fichier. Chevènement, Debré, Pasqua, Messmer, même combat : de SAFARI (projet similaire mort-né des années 70) au STIC, il s’agit de la même logique de fichage et de contrôle des individus par les administrations d’un Etat providence qui vire à l’Etat policier : la " protection sociale ", aujourd’hui, devient une forme de maintien de l’ordre.

Notre paranoïa de militant nous fait envisager ces évolutions comme les prémisses de la possible constitution d’un méga-fichier sécuritaire, organisé autour du Référent unique (numéro d’identification), situation où les individus ne disposeraient d’aucun droit de regard sur le contrôle croissant auquel on les soumet.

Face à ces intimidations, nous n’avons aucune intention de changer nos façons de faire. Bien au contraire. Nous entendons utiliser à outrance nos droits politiques et nous mobiliser contre ces logiques sécuritaires et liberticides avec tous ceux qui, comme nous, ne peuvent pas déposer les armes.