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La pénalisation des clients et le VIH des travailleuses du sexe

dimanche 12 mars 2017

Par Thierry Schaffauser

Une approche productiviste de la lutte contre le sida serait une approche simpliste. Combien de contaminations depuis la loi pénalisant les clients ? Voilà une question qui ferait l’affaire du ministère de la santé car nous ne pourrions pas y répondre exactement, et cela pour plusieurs raisons. La déclaration obligatoire de séropositivité indique le mode de transmission mais ne précise généralement pas l’identité des personnes, et la plupart des travailleuses du sexe se refusent à parler de leur travail avec leur médecin. Le meilleur moyen d’identifier la séroprévalence VIH chez les travailleuses du sexe est de passer par les associations de santé communautaire, or celles qui les fréquentent sont déjà les mieux informées et mobilisées contre le VIH & IST. La prévalence VIH chez les travailleuses du sexe, femmes et cisgenres, est donc officiellement faible comme l’indique le rapport HAS publié en avril 2016 [1].

Les études montrent que la vulnérabilité au VIH est plus forte chez les personnes qui débutent le travail sexuel, sont éloignées des structures associatives de la santé communautaire, et ne s’identifient pas comme travailleurSEs du sexe car pensant exercer de manière temporaire. À partir de ce constat, nous faisons le parallèle avec la communauté gay et le reste des HSH représentant une partie plus cachée de l’épidémie.

Ce que nous savons en revanche, est que toute forme de pénalisation est néfaste pour la santé. Depuis la loi d’avril 2016, les conséquences rapportées par les travailleuses sont une précarisation généralisée, un rapport de force inversé avec les clients, une baisse des prix, et la nécessité d’adapter ses conditions de travail pour maintenir son niveau de revenus. Des témoignages font mention de rapports sans préservatifs plus fréquents, et les déplacements de scènes de travail sexuel rendent plus difficile la prévention et l’accès aux soins car les associations de santé communautaire perdent le contact de certaines travailleuses. Enfin, la mobilité accrue peut conduire à interrompre un traitement (antirétroviraux ou PrEP) lorsqu’on est

trop longtemps en déplacement. Alors que la communauté des travailleuses du sexe est historiquement une des plus responsables et qu’elle ne connait pas la même lassitude observée chez les gays quant au port du préservatif, tout indique un nouveau contexte propice à une possible remontée de l’épidémie.

Les chercheurs qui se sont penchés sur l’impact des politiques de pénalisation sont clairs. En Europe, les pays qui pénalisent le plus le travail sexuel sont ceux qui connaissent la plus forte prévalence VIH. L’étude parue dans The Lancet le 24 janvier 2017 établit que « quand on compare la Suède et la Norvège [2]avec l’Allemagne (un pays qui légalise aussi l’organisation du travail sexuel), nous trouvons que la prévalence VIH est plus basse en Allemagne que dans les pays nordiques » [3]. Tandis qu’en Corée du Sud, des chercheurs ont trouvé une corrélation entre les lois de pénalisation des clients et une augmentation des IST [4], en Nouvelle Galles du Sud, Australie, aucun cas de transmission VIH n’a été répertorié depuis que le travail sexuel y a été dépénalisé en 1995 [5]. L’étude Shannon et al. [6]
de 2014 estime que la dépénalisation du travail sexuel contribuerait à une baisse des infections VIH dans cette population de 33 à 46% en une décennie.

C’est donc à partir de ces preuves scientifiques que nous continuons de défendre la décriminalisation du travail sexuel comme meilleur moyen de limiter le VIH dans cette population clé, et que nous craignons de constater dans les années à venir les conséquences de la politique actuelle, cette fois en termes chiffrés de contaminations.


[1Voir le rapport "état de santé des personnes en situation de prostitution et des travailleurs du sexe" (avril 2016), sur le site de la HAS, www.has-sante.fr

[2Pays qui pénalisent les clients

[4Y. Lee & Y. Jung (2009), "The Correlation between the New Prostitution Acts and Sexually Transmitted Diseases in Korea", The Korean Journal of Policy Studies