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Judiciarisation de la transmission

novembre 2008

À l’occasion du 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le sida, et face au nombre croissant de procès mettant en cause et condamnant des séropositifVEs, nous tenons à réaffirmer fermement notre position.

Nous sommes contre toute judiciarisation de la transmission du VIH, lorsque celle-ci a lieu lors de relations sexuelles et/ou d’usage de drogues. La réponse à la transmission du VIH n’est pas juridique et ce, quelle que soit la responsabilité mise en oeuvre, pénale ou civile.
La transmission du VIH et les poursuites à l’encontre des personnes qu’on pourrait estimer responsables d’une contamination parce qu’elles n’auraient pas informé leur partenaire de leur statut sérologique, lors de relations sexuelles ou d’usage de drogues, pourraient entraîner deux responsabilités juridiques.
La responsabilité pénale, engagée suite à une plainte, qui a pour but de sanctionner un comportement considéré comme dangereux pour la société et dont la sanction est prononcée au nom de l’Etat et non au nom de la « victime ».
La responsabilité civile engagée par une assignation faite par le biais d’un avocat, qui a pour but de réparer le dommage subi par la victime et dont la sanction est prononcée au nom de la victime.
Actuellement, les affaires sont le plus souvent portées au pénal, suite à une plainte déposée contre la personne, estimée responsable de la contamination. On peut par ailleurs supposer que la plupart des « victimes », sur conseil de leur avocat, se sont constituées partie civile afin d’obtenir, en plus de la peine prononcée, une réparation financière de leur dommage. Ainsi, outre sa responsabilité pénale, la personne poursuivie voit également sa responsabilité civile engagée.
Pour Act Up-Paris, la transmission du VIH, lors de relations sexuelles et/ou lors d’usage de drogues n’est pas une infraction, ni une circonstance aggravante, mais le résultat d’un acte. Et c’est de la qualification de cet acte en infraction que doit découler ou non, la condamnation d’une personne. Le sida est une maladie, pas une arme.
Prendre position sur cette question donne l’impression que l’on défend telle partie contre telle autre, mais il n’en est rien. Nous reconnaissons à chaque personne le droit d’avoir recours à la justice. Pour autant, nous nous prononçons contre le processus juridique car nous pensons qu’il n’est surtout pas la réponse qui permettra de lutter contre le sida.

Le débat de justice est un danger pour les séropositifVEs
Tout d’abord, avoir recours à la justice est un processus long et coûteux dans lequel seulEs les plus fortunéEs pourront bénéficier de réels moyens pour se défendre. Ensuite, la reconnaissance d’une telle responsabilité créerait des injustices temporelles : les infractions étant soumises à prescription, les personnes ayant été contaminées par le passé et dont le délai pour avoir recours à la justice aurait expiré ne pourraient plus obtenir réparation.
Reconnaître et accepter un tel système juridique, reviendrait pour les séropositifVEs à s’auto-criminaliser : en voulant poursuivre en justice celles ou ceux, que les plaignantEs suspectent de leur avoir transmis le virus deviennent, de facto, en tant que séropositifVEs, de futurEs coupables. On entrerait ainsi dans une chaîne de responsabilité infinie de contaminéEs à contaminateurSEs.

Si l’objectif des procès, c’est la reconnaissance d’un statut spécifique aux victimes et l’incitation, par la voie de la peine, à plus de responsabilité en matière de prévention, celui-ci nous semble vain mais surtout dangereux. Concernant le statut de victimes, il n’apporte rien en terme de prise en charge sanitaire et sociale et revient à identifier les séropositifVEs qui l’auraient mérité de celles et ceux qui auraient été contaminéEs « injustement ». En terme de prévention, il est évident que la décision judiciaire ne peut en aucun cas inciter à se faire dépister – elle impliquerait même plutôt le contraire. Le débat de justice ignore le principe de responsabilité partagée et dédouane les pouvoirs publics de leurs responsabilités.

Responsabilité partagée
La condamnation des séropositifVEs fait totalement abstraction du fait qu’au moins deux partenaires doivent participer pour qu’il y ait transmission, brouillant le message le plus important sur le plan de la santé publique, selon lequel chacunE est tenuE de prendre des précautions à chaque fois qu’il y a des rapports sexuels. Accepter la condamnation pour transmission du VIH, c’est dénier une réalité, une prise de risque par chacunE des partenaires. La justice intervient aujourd’hui pour sanctionner un comportement jugé irresponsable en matière de prévention du VIH et présuppose donc que la prévention repose sur la seule personne qui connaisse son statut sérologique. La condamnation des séropositifVEs nie complètement le principe de responsabilité partagée selon lequel chacunE est pleinement responsable de soi et de l’autre.
La responsabilité partagée est un concept de prévention que les pouvoirs publics ne se sont jamais donné les moyens d’atteindre. Cela implique de donner les moyens à touTEs d’être conscientE de ses responsabilités et être acteurRICE de prévention : accès à l’information et aux campagnes rappelant que chacunE est concernéE, accès au matériel de prévention, lutte contre les discriminations et les rapports de domination fondés sur le genre, l’origine ou encore la classe sociale. Or, aucun de ces moyens n’existe vraiment. Le sida est une épidémie politique et la réponse tient avant tout des pouvoirs publics et de l’Etat, que ce soit en matière de prévention ou de prise en charge de la maladie. C’est à ce niveau que ce combat est celui de touTEs séropositifVEs et séronégatifVEs au dela des cours de justice.

sida : prévenir, ne pas punir
Lutter contre le sida c’est redonner toute son importance à une sensibilisation à l’épidémie, c’est permettre une prise en charge de la prévention grâce à des outils de prévention spécifiques, c’est inciter à des dépistages réguliers. Faire d’unE séropositifVE unE criminelLE potentielLE ne peut améliorer toutes les insuffisances de nos politiques de santé publique. Il faut pour ce faire travailler sur les moyens de le faire valoir : accès et promotion du dépistage, suivi psychologique des personnes qui découvrent leur séropositivité, consultation de prévention pour les séropos et les séronegs, débat public sur le sujet, etc.
Aujourd’hui, les affiches que nous collons sur les murs de Paris, à l’occasion du 1er décembre « sida : prévenir, ne pas punir » vise à réaffirmer cela : pour lutter contre la contamination au VIH, la prévention est toujours un enjeux premier et surtout la seule réponse efficace qu’il convient de donner.