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sida : envie d’en être ?
Rencontre avec une de nos militantEs, Marie
septembre 2008
sida, envie d’en être ? À cette question nous répondons : non. Et puis d’autres questions se posent, simples et plus complexes. De ces interrogations est née cette rubrique, un espace pour parler de soi, de
son rapport à la maladie, à la sexualité, aux traitements, à la prévention, au monde. Nous sommes des séropositifVEs, des malades, des activistes de la lutte contre le sida. Rencontre avec une de nos militantEs, Marie.
Un bref aperçu de ta vie en quelques dates. Je suis née en 1981 à Arras. 1982, divorce de mes parents. 1998 j’apprends la séropositivité de mon père. 2003 le décès de mon père. J’ai fini mes études en 2006. 2007, je rentre à Act Up à la permanence étrangerEs. 2008, j’arrête mon salariat à Sidaction et je deviens salariée à Act Up.
Des amours, des passions ? Mes amours, depuis février 2007 une belle histoire qui compte énormément... Pour les passions : j’ai fait 15 années de danse, que j’ai enseigné pendant 4 ans. J’ai fait aussi 7 années de conservatoire de piano et 2 ans de guitare.
Tu as eu une jeunesse alternative ? Oui. J’ai pas mal fréquenté le monde des teuffeurs, les « punk à chiens », j’allais tous les week end en « rave ». C’était de grands moments. Le Technival où tu pars pendant une semaine écouter du son, sans dormir ni te laver, ou peu.
Comment as-tu appris la séropositivité de ton père ? C’est un peu fou… Déjà pour info, mon père a été contaminé dans les années 80, en 85 ou 86. Il y avait des choses que j’aurais dû remarquer : la valisette remplie de médicament, les effets secondaires clairement. Mais j’ai rien vu. J’étais en première et une fille qui disait avoir un don de voyance m’a tirée les cartes, et m’a dit « les cartes qui reviennent sont toujours les mêmes, elles parlent de ton père, de maladie et de mort ». Je me suis dit c’est vraiment une connerie. Mon père était une personne qui avait réussi socialement, il était beau mec, plein d’amis, je m’étais construite une image de lui de superman. Le week end qui a suivi je lui ai raconté l’anecdote, et là son visage se fige et il me dit : « j’avais jamais pensé à quand j’aurais pu te le dire, mais cela vient comme ça. Je suis séropositif. Il ne faut pas que tu t’inquiètes, je suis bien suivi. Mais c’est vrai, je suis malade ». Pour moi le ciel m’est tombé sur la tête. Je ne me souviens pas avoir posé de questions particulières. Ce jour-là on déjeunait avec mes grands-parents. Toute la journée c’est comme si rien n’avait été dit. Il m’a raccompagné chez ma mère, et pas un mot de plus. Et c’est une fois rentrée que je me suis effondrée. J’ai dit à ma mère : « papa a le sida, il va mourir ». Elle ne le savait pas, c’est donc moi qui lui est appris. Contrairement avec ce qui s’était passé avec mon père, on a discuté pendant des heures. Le lendemain mon père m’a appeler pour me redire : « tout va bien, tout ira bien, il ne faut pas que tu t’inquiètes ».
Et là vous avez pu en parler ? Non, c’est tout ce qu’on s’est dit. On en a jamais vraiment parlé avec mon père. Ça venait de nous deux. Pourtant on avait une relation très libre avec mon père, il m’avait annoncé son homosexualité très posément. Mais cette annonce a été comme une condamnation à mort.
Que savais-tu du sida, de ses modes de transmission ? Je connaissais les modes de transmissions. J’ai eu la chance d’être dans un lycée où l’on a eu accès à de l’information. Et puis, mes parents à l’occasion de discutions générales distillaient des messages sur la sexualité, la contraception, la prévention. L’homosexualité de mon père a favorisé les discutions sur la sexualité, les identité, le respect de l’autre et les différences. Pour ce qui est du sida, je connaissais le mécanisme biologique, mais pas la maladie. Pour moi c’était quelque chose dont on mourrait. Je me suis documentée. J’avoue que la maladie ne me préoccupait pas alors en tant que telle, c’était mon père qui m’intéressait.
Comment allait-il ? Je pense qu’à l’époque, il allait plutôt bien. Petit à petit j’ai remarqué des choses : l’amaigrissement, la répartition des masses graisseuses (il avait beaucoup pris au niveau de l’abdomen et au niveau du cou), la fatigue, le teint grisâtre. Mais il prenait tellement soin de lui que cela se remarquait à peine. Et je crois qu’il faisait tout pour que cela ne se voit pas, ne se sache pas. C’est certain aussi qu’il a dû faire de la chirurgie. Les seuls moments où je savais que cela n’allait pas, c’était quand j’apprenais qu’il était hospitalisé. J’avais alors toujours interdiction formelle de venir le voir.
C’était un secret pour l’extérieur, la famille ? C’était un secret complet pour sa famille, seule une de ses sœurs était au courant. Certains l’ont appris peu de temps avant sa mort, à l’occasion de sa dernière hospitalisation, qui a duré 6 mois, d’autres au moment de l’enterrement. Ses parents, eux, ne l’ont jamais su. Ils sont aujourd’hui décédés. Quand on s’inquiétait de sa santé, il trouvait toujours des excuses : la fatigue, le travail. C’était un secret dans sa famille, pas dans celle de ma mère.
Tu en a parlé avec tes amiEs ? Non pas au début. Cela ne relevait pas du tout de la honte, juste de la pudeur. Je n’avais pas envie que quelque chose change dans le regard des gens. Même plus tard quand j’ai candidaté pour un poste à Sidaction je n’en ai pas parlé.
Est-ce que tu t’es posé des questions sur ton propre statut sérologique ? À l’époque où je l’ai su, j’étais vierge, donc du coup j’ai toujours eu des rapports protégés. Cependant il y avait toujours une angoisse irrationnelle par rapport à cela. Je faisais des tests dès que je faisais un bilan de santé.
Tu t’es posé des questions sur la vie de ton père ? Oui. J’ai appris des choses avec ses journaux intimes et d’autres avec ce que ma mère et mon père m’ont dit de leur histoire. Concernant l’homosexualité de mon père, ma mère m’a parlé du moment où il a rencontré un garçon. Mon père lui a dit, qu’il avait l’impression qu’il aimait les hommes, mais qu’en même temps, il n’était pas sûr et qu’il l’aimait, elle. Mon père, lui, m’a dit clairement aussi, que ce mariage n’était pas une couverture, ils s’aimaient et vivaient vraiment ensemble. Au bout d’une année, ils ont divorcé par consentement mutuel en 1982.
L’homosexualité de ton père a toujours été visible pour toi ? Il a toujours été officiellement en couple, ma mère, puis deux hommes. Mais en même temps il ne se cachait pas d’avoir des aventures, des amants. Son premier ami, René, je l’ai tout de suite connu quand mes parents ont divorcé, j’avais un an et demi. Ils avaient une vie de couple dans laquelle j’étais inscrite, on partait en vacances tous les trois. Je me sentais vraiment leur enfant. Cette relation a duré 13 ans environ et même après leur séparation, on a continué à se voir. Il fait partie de ma vie. Ensuite avec le second, Sergeï, on est proche, mais ce n’est pas la même chose. Et puis plus tard, au moment de l’enterrement, il y a une foule d’hommes qui m’ont témoigné de leur affection et de l’importance que mon père avait eu pour eux, c’était un peu drôle. J’ai reçu beaucoup de lettres. Je ne m’y attendais pas.
Comment ton père s’impliquait dans ton éducation ? Avant le divorce, dans les premiers mois, ma mère m’a dit que j’avais « deux mères ». Il était très impliqué. Après le divorce, c’était différent aussi parce qu’on n’était pas dans la même ville, il habitait Paris et nous à Arras. C’est ma mère qui assurait le quotidien. Mais vraiment il était présent, conseil de classe, anniversaire, week end. Il ne manquait rien. Et matériellement aussi. Au moment où de notre côté, pour ma mère et mon beau-père, il y a eu une baisse de revenu, il a assuré en augmentant la pension alimentaire. Et aussi quand il m’emmenait à l’Opéra par exemple, il emmenait ma sœur. Mes parents sont restés proches. Ils avaient vraiment une relation qui n’appartenait qu’à eux et qui a évolué, mais mon père était plus que mon père pour ma mère et réciproquement.
Est-ce que tu penses que la maladie a changé vos rapports ? Cela a renforcé la conscience de l’autre. Si lui m’interdisait de venir c’était pour me protéger, moi si je ne posais pas de question c’était pour ne pas le mettre mal à l’aise. J’ai toujours respecté ce choix. Pendant 5 ans, il y a eu cette angoisse, une inquiétude latente. Mais c’était atténué par les beaux moments qu’on passait ensemble. J’avais conscience que cela allait survenir, et que cela pouvait arriver brusquement. La seule fois où j’ai désobéi c’est au moment de sa dernière hospitalisation.
Qu’est-ce qui t’a fait penser à ce moment-là que c’était grave ? J’ai vraiment senti à sa voix que cela n’allait pas. Je lui ai proposé de venir à Paris, il a botté en touche, mais j’ai entendu son ami dire « il faut que tu lui dise ». On a raccroché. J’ai aussitôt appellé sa sœur et son frère jumeau et je leur dis : « papa, ça ne va vraiment pas bien. Il faut qu’on aille à Paris dès ce soir. » Trois heures après on y était. Mon père était déformé, son corps était un énorme œdème, il avait triplé de volume, peut-être plus. Il avait décidé de se laisser mourir, il en avait marre, c’était dur. Il a fini par accepter d’aller à l’hôpital.
Comment s’est passée cette hospitalisation ? Je faisais l’aller-retour entre Lille où j’étudiais et Paris plusieurs fois par semaine. On faisait en sorte qu’il y ait toujours quelqu’un avec lui. Cela a duré 6 mois. On a fonctionné dans l’urgence tout le temps, dans un mode automatique, on ne réfléchissait pas on était aspiré par la situation. Le premier mois, j’espérais encore qu’il puisse s’en sortir. Puis il a commencé à beaucoup maigrir. On a appris, qu’il était coinfecté avec le VHC/ VHB. Le foie était hors d’état de fonctionner. Malgré son hospitalisation, il essayait de rester actif, de lire le journal, des livres, d’écouter de la musique. Vers la « fin », son état s’est totalement dégradé. Il a développé une infection, dont on ne saura jamais ce qu’elle était, qui a attaqué la moelle osseuse et le cerveau. Il a dû porter une sorte de corset très enveloppant, puis des couches, tout cela l‘humiliait. Un jour, il nous a dit qu’il en avait marre.
Cela voulait dire stop comme juste avant son hospitalisation ? Oui. C’était littéralement cela. Quand il pouvait, il ne prenait pas ses médicaments. Il en a parlé avec ses médecins. Et ils ont pris la décision, avec Sergeï aussi, de le changer d’établissement. Il est allé dans une clinique privée à Paris pour la fin de vie. C’était un endroit vraiment confortable, luxueux. Comme c’était possible matériellement, c’était vraiment mieux pour lui que de rester dans cette chambre d’hôpital. Mon père est mort après avoir fait une embolie pulmonaire.
Tu n’avais pas pensé à rejoindre la lutte contre le sida avant ? Non. Je m’y suis toujours intéressée, je portais individuellement un discours engagé, mais je n’avais pas trouvé le moyen de le formaliser, le bon endroit qui m’en donne l’envie. C’est aussi une question de moment. Cela m’a permis de faire le deuil de mon histoire personnelle de le transformer en force.
Que dirais-tu à unE séroneg sur le fait d’être séropo ? Il faut tout faire pour ne pas l’être. C’est un vrai basculement, une approche différente de la vie et des relations avec le monde et les gens. Après c’est aussi sur les questions de discrimination que je voudrais alerter. On ne peut pas rejeter par peur. Il faut lutter contre l’ignorance. Si cela change tout dans la vie des personnes, dans leur histoire, cela ne change pas leur statut d’être humain.