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Jacobins, staliniens, dirigistes. RdV avec l’Education nationale

dimanche 9 mars 1997

Dès la nomination du nouveau gouvernement, la commission Education nationale d’Act Up-Paris a adressé une demande de rendez-vous au ministre de l’Education nationale, M. François Bayrou. C’est son conseiller technique aux problèmes de santé, M. Crémadeills qui nous a reçus le 11 mai. L’entrevue a été un peu agitée dès son commencement car nous avons manifesté notre déception de n’être reçus par le ministre en personne à qui nous avions quelques mesures d’urgence à demander.

L’entretien a commencé sur des questions générales : nous ne voulions savoir si le nouveau ministre manifestait un intérêt quelconque pour la prévention en milieu scolaire et s’il comptait poursuivre et prolonger la politique, trop timide à notre goût, impulsée par Jack Lang. M. Crémadeills a pensé nous rassurer en nous disant que sur la question du sida il n’y avait de la part du nouveau cabinet ni avancée, ni recul. Il a eu l’air contrarié de la violence de notre réaction. On peut pourtant légitimement se formaliser qu’un ministre d’un gouvernement qui affiche si bruyamment sa volonté de changement se contente de laisser les choses en l’état. Encore une fois la preuve est faite que si la droite ne s’est pas exprimée pendant la campagne électorale sur le problème du sida c’est qu’elle n’avait jamais réfléchi à la question.

Parmi les problèmes généraux, nous avons soulevé celui de la tuberculose, intimement lié au problème de la déficience immunitaire. Les établissements scolaires sont évidemment exposés à cette épidémie. Ici, M. le conseiller aux problèmes de santé nous a dit ne pas en savoir plus sur ce dossier que ce qu’un simple citoyen peut en savoir, ce que tout le monde a pu lire dans la presse. Comme nous manifestons notre mécontentement de cette ignorance sur un problème aussi grave et aussi urgent, M. Crémandeills s’est montré irrité de notre attitude qu’il trouvait agressive. M. Bayrou n’a pas jugé nécessaire de nommer à la fonction de conseiller aux affaires de santé un médecin, pusque M. Crémadeills est inspecteur général. Ce choix ne nous a pas paru judicieux à ce moment-là.

Nous avons pu ensuite lui demander que quelques mesures d’urgence soient prises dans les plus brefs délais :
 afin qu’on en puisse plus interdire la distribution de brochures de prévention sous quelque motif que ce soit, Act Up-Paris demande q’un agrément définitif soit délivré par le ministère ;
 afin qu’on ne puisse plus interdire la distribution de préservatifs dans les établissements scolaires, Act Up-Paris réclame qu’un décret autorise la distribution dans un but de prévention des maladies sexuellement transmissibles de tout matériel de sexe sans risque (préservatif, digues dentaires, gel lubrifiant, etc.) ;
 afin qu’on ne voie plus l’accès d’un lycée refusé à un séropositif invité à témoigner lors d’une conférence sur le sida, Act Up-Paris exige le droit imprescriptible d’inviter des intervenants extérieurs lors de conférences d’informations dans les établissements scolaires ;
 enfin, parce que l’épidémie de tuberculose menace particulièrement les enfants en milieu scolaire, Act Up-Paris demande qu’un dispositif de surveillance médicale soit mis en pace dans les plus brefs délais et que des mesures soient prises pour éviter toute discrimination envers les enfants séropositifs, plus vulnérables à cette maladie.

Tout à tour ces mesures, sauf celles concernant la tuberculose bien sûr, ont été déclarées « jacobines », « staliniennes » ou simplement « dirigistes ». Et on nous a fait les mêmes et éternelles objections : il faut tenir comptes des « sensibilités régionales », et de toutes façons nous nous trompons lourdement sur la réelle étendue des pouvoirs d’un ministre. Ce que nous avons vu avant tout dans ces objections c’est la marque d’un conformisme moral, et un refus très net d’aborder à l’école la sexualité ou la drogue autrement qu’en termes médicaux ou d’interdiction. Car ce n’est qu’autour de nos revendications sur les problèmes du sida que les responsables se crispent : quand nous leur parlons tuberculose jamais l’idée de ménager les « sensibilités régionales » ne leur vient à l’esprit, jamais ils n’imaginent que les parents d’élèves élèveront à la voix contre toute mesure émanant du ministère ou qu’aucun proviseur osera déclarer son autorité bafouée parce qu’on lui aura imposé un programme de prévention de la tuberculose au sein de son établissement. Au fond de toutes ces réticences il y a toujours et éternellement les mêmes tabous, la même homophobie, le même déni de la sexualité adolescente.

À notre grand étonnement M. Crémadeills a jugé moins irréalistes notre demande, à plus long terme, de mise en place d’un programme de prévention sida obligatoire dans les établissements scolaires. Pour l’instant la prévention sida n’est incluse que dans les cours de biologie, ce qui est évidemment restrictif. Il ne nous semble pas d’ailleurs que le cours de biologie soit le meilleur lieu pour parler de sexualité à l’école, Act Up-Paris demande donc que la prévention sida soit incluse dans les programmes scolaires de façon transversale : qu’on parle du sida en cours de français, en cours de philosophie, en cours de langue et même en mathématiques (l’épidémie relève après tout de la statistique). Cette prévention obligatoire pourrait être envisagée sous une forme qui se rapprocherait des actuels « projets d’établissement », c’est-à-dire qu’elle demanderait une participation active des différents acteurs de la vie lycéenne (personnel administratif, médical, enseignants et élèves). Ce programme demande évidemment qu’une formation soit dispensée aux éducateurs et que les organismes de contrôle de la qualité de l’information soient mis en place.

Notre entretien a duré une heure et demie et nous avons demandé en dernier lieu, que le ministre fasse un geste pour manifester l’intérêt qu’il porte au problème du sida en milieu scolaire. Nous avons exigé que le sida soit déclaré priorité éducative pour la rentrée 1993 et nous avons fait part à M. Crémadeills de notre désir de voir le ministre s’exprimer le plus tôt possible publiquement sur cette question comme l’a fait en son temps Jack Lang, un peu pressé par Act Up il est vrai. Il nous semble nécessaire de continuer à encourager la mise en place de distributeurs de préservatifs (pour l’instant un peu plus de 500 établissements sur 2 700 en sont munis) et de rappeler à chacun son devoir dans cette lutte pour la vie.

Act Up-Paris a donc à la suite de cet entretien envoyé une lettre au ministre pour lui rappeler la teneur de nos revendications et lui fixer un calendrier que nous entendons biens voir respecter.

La commission Education nationale d’Act Up-Paris espère que la prochaine conférence de presse du ministre fera oublier la mauvaise opinion que nous a donné, sur son engagement dans la prévention du sida, la présence de son directeur de cabinet, M. Bourgeois, à une conférence du professeur Joyeux à Versailles. Si la prévention sida selon le nouveau ministère de l’Education nationale doit ressembler à la parole du professeur Joyeux, il est à craindre que nous n’ayons quelques différends.