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Accord de libre échange Maroc/États-Unis : ALCS et Act Up-Paris écrivent à l’OMS

lundi 23 février 2004

Les négociations entre les États-Unis et le Maroc pour un accord de libre échange arrivent à leur terme. Les conséquences de cet accord seront dramatiques pour la population marocaine car il permettra d’entraver la production et la commercialisation des génériques. Il condamne de fait les malades ne pouvant payer le prix des médicaments vendus par les multinationales. L’ALCS et Act Up-Paris ont fait parvenir au directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) un courrier pour faire valoir leur point de vue et lui demander d’intervenir dans la négociation et de défendre les droits des personnes malades.

ALCS (Association de Lutte Contre le Sida)
17 Bd Massira Al Khadra, Maârif
Casablanca, Maroc
Act Up-Paris
BP 287
75525 cedex 11 Paris

Paris, le 16 février 2004

Monsieur le Directeur Général
Organisation Mondiale de la Santé Avenue
Appia 20
1211 Geneva 27 Switzerland

OBJET : Accord de Libre Échange et accès aux produits de santé

Monsieur le Directeur Général,

L’OMS a joué un rôle particulièrement important pour permettre une prise de conscience de la part des pays membres de l’OMC des conséquences sur l’accès aux produits de santé de la mise en application des réglementations sur la propriété intellectuelle dans les pays pauvres. Ses travaux ont contribué à une réflexion particulièrement intense afin de dégager des solutions et d’assurer le recours à certaines flexibilités dans le cadre de l’accord ADPIC pour permettre aux pays pauvres de protéger leur population.

C’est ainsi que lors de la conférence de l’OMC à Doha au Qatar en novembre 2001, l’ensemble des États membres, dont le Maroc, se sont engagés « à interpréter et [mettre] en oeuvre » l’accord ADPIC « d’une manière qui appuie le droit des Membres de l’OMC de protéger la santé publique et, en particulier, de promouvoir l’accès de tous aux médicaments » [1].

Si depuis 2001, on ne peut considérer que des solutions idéales ont été mises en place au niveau de l’OMC, nous ne pouvons en revanche que saluer les progrès qui ont été fait ces derniers années. Et nous sommes nombreux a espérer que la réflexion entamée permettra de déboucher sur la mise en place d’un système permettant non seulement la recherche et la découverte de produits répondant aux besoins des populations, quelle qu’elles soient, mais aussi l’accessibilité de ces produits au plus grand nombre. Nous avons d’ailleurs reçu avec grand intérêt l’annonce de la création de la commission « Droits de propriété intellectuelle, innovation et Santé Publique ».

Malheureusement, dans un nombre croissant de pays, nous voyons les acquis issus de Doha remis en question et balayés dans le cadre de négociations commerciales bilatérales ou régionales.

Les exemples se succèdent rapidement dans le cadre de négociations menées par les Etats-Unis avec de nombreux pays pour lesquels des accords sont d’ores et déjà signé, sont en fin de négociation, ou pour lesquels des négociations vont débuter très prochainement - Chili, Singapour, Jordanie, pays d’Amérique centrale (Costa Rica, El Salvador, Guatemala, Honduras et Nicaragua), Egypte, Maroc, région Sud Africaine (Botswana, le Lesotho, la Namibie, l’Afrique du Sud et le Swaziland), pays d’Amérique du sud (ZLEA), Thaïlande, Bahrain, etc.

Ces accords qui couvrent des domaines très divers contiennent systématiquement un volet sur la propriété intellectuelle. Dans ce cadre, et avec l’objectif affiché de renforcer la protection intellectuelle dans les pays avec lesquels ils sont en négociation, les Etats-Unis imposent des clauses qui vont bien au delà des standards requis par l’OMC.

Les textes d’accords qui ont été signé ces deux dernières années et qui ont été rendus publics, indiquent clairement que les pays concernés seront désormais dans l’incapacité de jouir pleinement des flexibilités prévues à l’OMC pour permettre un recours aux produits génériques lorsque cela est nécessaire. Ceci signe un retour en arrière inadmissible dont les conséquences en terme de vie humaines seront catastrophiques.

Le récent accord conclu entre les Etats-Unis et les pays d’Amérique centrale en est un exemple frappant.

Les clauses que l’on retrouvent d’un accord à l’autre concernent notamment :

 le rallongement de protection par un brevet au delà de la durée de 20 ans initiale pour des durées variables (3 ou 5 ans par exemple),

 l’élargissement des conditions de brevetabilité, ce qui entraînera l’obtention de nouveaux brevets d’une durée de 20 ans pour un produit déjà commercialisé sous prétexte de nouvelles indications, nouvelles présentation, etc., ce qui, par ailleurs, est contraire au principe de non discrimination entre les domaines technologiques auxquels s’appliquent la propriété intellectuelle contenu dans l’article 27 de l’accord ADPIC.

 les conditions d’enregistrement des médicaments et l’octroi aux premières compagnies enregistrant leur produit d’une « exclusivité des données » qui aura pour effet d’établir un monopole pour une durée variable et ce indépendamment de l’existence d’un brevet - ceci peut d’ailleurs se produire alors même que le produit peut n’être ni breveté, ni commercialisé dans le pays concerné (Cf. CAFTA).

 l’impossibilité pour les autorités de régulation du médicament d’enregistrer des médicaments brevetés, ce qui établit un lien qui n’a pas lieu d’être entre brevet et enregistrement et revient à rendre caduque les procédures de licences obligatoires qui devraient pourtant se révéler particulièrement indispensables dans les années à venir dans les pays pauvres.

 l’instrumentalisation des agences de régulation comme agent de contrôle de monopole des multinationales, etc.

De fait on assiste à la mise en place d’un double système de monopole, par les brevets d’une part et via les procédures d’autorisation de mise sur le marché d’autre part.

En ce moment même des négociations entre le Maroc et les Etats-Unis arrivent à leur terme. Le volet relatif à la propriété intellectuelle va clairement à l’encontre de la déclaration « Santé publique et propriété intellectuelle » de Doha et contient des dispositions visant à un renforcement de la protection de la propriété intellectuelle au delà des standards exigés par l’OMC. Ce pays qui prévoyait la mise en place d’une Assurance Maladie Obligatoire début 2005, dans le but d’assurer l’accès à la santé et aux médicaments au plus grand nombre, devra au contraire, s’il accepte cet accord, revoir à la baisse les perspectives d’accès aux médicaments sur son territoire, alors que parallèlement l’industrie pharmaceutique nationale actuellement la second industrie pharmaceutique en Afrique sera rapidement réduite à néant.

Cette situation particulièrement scandaleuse soulève plusieurs questions :

 La mise en oeuvre de ce type de réglementations réduira à néant les efforts internationaux faits pour protéger la santé des populations.

 Entravant la production et la commercialisation de produits génériques, elle aura pour effet de condamner des centaines de millions de malades qui ne sont pas en mesure de payer le prix des médicaments dont ils ont besoin.

 L’attitude des Etats-Unis dans le cadre de ces négociations constitue une trahison des engagements qu’ils ont eux-mêmes pris, à l’instar de l’ensemble des pays membres de l’OMC, à Doha.

 Plus encore qu’à l’OMC, l’inégalité flagrante dans les rapports de négociation entre les Etats- Unis et les pays avec lesquels ils conclues ces accords, ne peut qu’être le garant de l’inéquité de ces accords .

 Jusqu’à ce jour les institutions internationales et notamment celles en charge de la santé dans le monde s’en sont tenues à un silence total sur ce sujet, ce alors qu’on peut déjà avec certitude prévoir une catastrophe sanitaire sans précédent.

C’est pourquoi, nous nous permettons de vous saisir sur ce sujet.

Il est absolument indispensable et urgent que l’OMS dispense de façon pro-active assistance technique et conseil aux pays en négociation. La plupart de ces pays sont en train de mettre en oeuvre les réglementations internationales de l’OMC en matière de propriété intellectuelle et n’en verront les effets que dans les années à venir. Dans ces conditions l’accès à toute les informations disponibles et utiles, pour le cas échéant obtenir l’exclusion les produits de santé des accords bilatéraux ou régionaux, est indispensable.

En outre, nous pensons qu’il est du devoir de l’OMS d’alerter l’opinion publique sur la gravité de la situation et de jouer son rôle d’expertise afin d’amener l’ensemble de ses pays membres à écarter de leurs politiques les mesures meurtrières qui se développent actuellement. En vous remerciant par avance de l’attention que vous voudrez bien porter à notre alerte et dans l’attente d’une réponse rapide de votre part,

Veuillez, Monsieur le Directeur Général, recevoir nos sentiments les plus respectueux,


[1Organisation Mondiale du Commerce, Conférence Ministérielle, Quatrième Session, Doha, 9-14 novembre 2001, Déclaration sur l’accord sur les ADPIC et la santé publique.