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Impérialisme sanitaire

lundi 3 mars 2003

Tandis que les pays pauvres comptent leurs morts, les pays riches jouent la montre. Chronique d’une opération
« rouleau compresseur ».

Zap de Pascal Lamy à Louvain
3 février 2003 - Photo Act Up

Quand 10 000 personnes meurent chaque jour du sida, ce qui se joue, c’est une guerre. Et pour espérer y mettre un terme, il faut être sur tous les fronts, et en particulier, à l’OMC, pour empêcher que les pays riches de bloquer le recours aux génériques, et au Fonds mondial pour que ces mêmes pays riches s’engagent enfin à financer une lutte efficace contre l’épidémie, passant par la prise en charge médicale des malades dans les pays pauvres. Sur l’un comme sur l’autre de ces fronts, les pays riches et leurs alliés industriels font feu de tout bois pour imposer leur position, qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne vont pas vraiment dans le sens des malades. Fin décembre, les États-Unis bloquaient les négociations sur l’exportation des génériques à l’OMC en avançant une proposition, à prendre ou à laisser, inacceptable pour les pays en développement. Depuis, les discussions ont repris. Avec elles, les initiatives des compagnies pharmaceutiques, de l’administration américaine et de l’Europe dont l’objectif est surtout de brouiller les cartes, et tenter d’occulter la question fondamentale des génériques et de l’impact de l’application de la propriété intellectuelle sur l’accès aux médicaments.

Le 14 janvier, 6 compagnies pharmaceutiques annoncent leur intention d’augmenter la fourniture d’antirétroviraux à prix réduits pour l’Afrique via l’initiative très controversée de l’OMS, Accelerating Access. Dix jours plus tard, le 24 janvier, lors du sommet de Davos, Pharmacia, en passe d’être rachetée par Pfizer, annonce son intention de céder une licence non exclusive de la delavirdine pour les pays africains. Il s’agit d’un analogue non-nucléosidique très peu utilisé au Nord, concurrent de la névirapine, et qui n’a jamais réussi à s’imposer sur les marchés occidentaux. Il y a donc peu d’enjeux financiers pour la compagnie. En revanche l’intérêt en terme de communication pour Pharmacia semble clair, de même que le marché proposé aux pays africains. En effet, si Doha donne la possibilité aux pays de décider eux-mêmes de la fabrication ou de l’importation d’une molécule sous forme générique sans l’accord du propriétaire du brevet, avec l’annonce de Pharmacia, c’est le labo qui garde l’initiative et le contrôle. Le 25 janvier, c’est au tour de GlaxoSmithKline d’annoncer un accord avec des fabricants africains, sans préciser lesquels, ni indiquer les molécules concernées. Le lendemain, le PDG de Pfizer, numéro un du secteur pharmaceutique mondial, se félicite devant les médias de l’offre de Pharmacia et déclare qu’un "accord à l’OMC [est] proche". Il laisse ainsi entendre que les compagnies pharmaceutiques sont très au fait de l’évolution des négociations à l’OMC, voire même qu’elles y faciliteraient l’obtention d’une solution : le monde à l’envers.

Une solution européenne inadaptée

Zap de Pascal Lamy à Louvain
3 février 2003 - Photo Act Up

Pendant ce temps, l’Europe joue la conciliatrice. Le commissaire européen Pascal Lamy sort de son chapeau la solution, selon lui, idéale. Peu différente de ce que la commission a jusqu’ici proposé à l’OMC, celle-ci est toujours aussi impropre à répondre aux besoins des pays en développement. En outre, elle ne serait valable que pour un nombre restreint de pathologies. Ironie du sort, après avoir écarté l’OMS des discussions à l’OMC, Pascal Lamy la remet en selle pour qu’elle fournisse cette liste restreinte de maladies. Ou comment soustraire aux pays leur souveraineté en matière de santé publique. Après Davos, Pascal Lamy se rend au Brésil, pays en pointe depuis plusieurs années sur la question des génériques et exportateur potentiel de médicaments, et tente d’imposer sa proposition au gouvernement du président Lula. Au même moment, une campagne orchestrée par les laboratoires de marque dénigre les génériques dans les médias brésiliens.

Le 27 janvier, George W. Bush fait une annonce qui se veut tonitruante. Les États-Unis consacreraient 15 milliards de dollars à la lutte contre le sida pendant les cinq prochaines années. Une annonce de plus, ça ne mange pas de pain. Car, plus de 90% des fonds seraient attribués en bilatéral à un nombre limité de pays choisis. Ce qui fournit un nouveau mode de pression aux Américains. Dans la foulée, ceux-ci obtiennent la nomination de leur secrétaire d’État à la santé, Tommy Thompson, au poste de président du conseil d’administration du Fonds mondial. La boucle est bouclée.

Entre les annonces des laboratoires, les démarches diplomatiques de la Commission européenne et les manœuvres de George W. Bush, le message est clair : il n’est pas utile de rester plus longtemps préoccupé par les questions des génériques à l’OMC ; le Nord apporte sa « solution » et se donne les moyens de l’imposer. Deux réunions du Conseil de TRIPS, les 11 et 12 février, puis les 18 et 19 février, n’ont donné aucun résultat : les pays riches jouent la montre, les pays pauvres comptent leurs morts. Gageons que ces derniers refuseront de se soumettre aux menaces ou à la corruption pour défendre le droit de leurs populations à accéder aux médicaments.