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Courrier d’Act Up-Paris à Bertrand Delanoë, Maire de Paris

lundi 6 janvier 2003

Paris, le 6 janvier 2003

Objet : prostitution à Paris

A l’attention de Monsieur Delanoë, Maire de Paris,

Monsieur,

Depuis cet été, nous avons été informés d’exactions policières commises à l’encontre de prostituéEs. Nous avons été particulièrement alarmés par la confiscation répétée des préservatifs de plusieurs d’entre elles, et des traitements de certainEs, séropositives. Il va sans dire que ce chantage sur la santé des prostituéEs est odieux, et participe de la propagation de l’épidémie de sida. Aussi nous a-t-il semblé de notre devoir d’en informer la Mairie de Paris.

Dans ce contexte, nous avons été très surpris de la déclaration de votre première adjointe, lors d’une des présentations du comité de pilotage sur les prostitutions qu’elle dirige. Celle-ci annonçait en effet vouloir faire du travail avec la police une des priorités de ce comité de pilotage.
Nous avons interpellé une première fois Anne Hidalgo sur ce sujet, et lui avons remis publiquement une lettre ouverte, faisant état des faits de répression exercés à l’encontre des prostituéEs dans la capitale depuis quelques mois. Pourtant, à notre question sur sa position quant aux abus des forces de l’ordre, elle ne nous a répondu que par son refus de s’engager face au problème. Aucune autre réponse ne nous a été faite par la suite.
Nos craintes sont d’autant plus vives que nous connaissons les effets des arrêtés anti-prostitution pris par la Mairie de Lyon, tant par la menace qu’ils font peser sur la santé des prostituéEs, que par la caution qu’ils apportent aux exactions policières. C’est précisément ce pourquoi nous demandons à la Mairie de Paris qu’elle s’engage activement dans la lutte contre la répression en dénonçant ces exactions.

Par ailleurs, nous avons été contactés par des prostituéEs qui cherchaient en vain depuis le mois de juin à être reçues par Anne Hidalgo dans le cadre de son étude. Cette dernière s’est obstinée à ne pas entendre leur parole, de même qu’à ne nous donner aucune réponse et à se désengager du travail auprès de la police. Ceci nous est apparu comme le signe d’un refus de prendre en compte, et la complexité des réalités de la prostitution, et les enjeux de santé publique au sein de son étude, ce qui l’empêcherait par exemple de défendre des mesures de pénalisation du client. Les conséquences sanitaires de ces dernières seraient en effet catastrophiques en termes de contaminations. Lorsqu’elles sont repoussées dans la clandestinité, les prostituéEs sont en effet fragilisées face aux demandes de pratiques non protégées, et le travail des associations de prévention et de soutien est rendu presque impossible.

C’est pour cet ensemble de raisons que nous avons été amenés à interpeller Anne Hidalgo une deuxième fois. Lors de cette interpellation, elle s’est contentée de réitérer sa position abolitionniste. Elle a exprimé en outre son incapacité à agir sur les forces de l’ordre, dissimulant son silence derrière la condamnation du projet de loi sur la sécurité intérieure de Nicolas Sarkozy. En guise de débat, nous avons été expulsés violemment de la salle (nous avons été littéralement jetés dans les escaliers), par des coups et des insultes de la part du service d’ordre municipal.
L’orientation du comité de pilotage mené par Anne Hidalgo nous semble sujette à caution dès lors qu’une position abolitionniste assumée détermine d’emblée les conclusions de l’étude - au mépris de la santé publique et des personnes concernées, dès lors que la réception des prostituéEs n’y est pas garantie de façon équitable, et que leur consultation passe par exemple par une mise devant le fait accompli et la pression d’élus Verts.

A sa demande, nous avons été reçus par Anne Hidalgo le 20 décembre. Lors de cet entretien, nous avons eu confirmation que le comité de pilotage n’envisageait la complexité des réalités de la prostitution que sous l’angle exclusif de l’amalgame avec le trafic d’êtres humains. Il ne s’agit certes pas de nier ces violences, mais il nous paraît politiquement dangereux, dans le contexte du vote imminent du projet de loi du Ministre de l’Intérieur, d’occulter la mobilisation et les revendications des prostituéEs autonomes. Nous nous étonnons de plus que le comité de pilotage ait l’ambition de prendre des mesures relatives à un phénomène d’ampleur internationale, alors qu’il affiche son incompétence à traiter des violences locales relevant de tel ou tel commissariat parisien.
Nous avons eu confirmation par ailleurs qu’une enquête avait été demandée à l’Inspection Générale des Services, à l’initiative de la Mairie de Paris, il y a déjà deux mois. Devant la gravité de la situation, il nous semble nécessaire de recueillir les témoignages de prostituéEs au sujet de la répression qu’elles subissent (ce qui entre dans les prérogatives du comité de pilotage), de même que d’essayer d’obtenir de l’IGS une communication rapide des résultats de l’enquête, et de toute façon de condamner publiquement les exactions policières.
Nous souhaiterions de plus que les politiques de prévention, contrairement à ce que dit votre première adjointe, ne soient pas dissociées de la situation réelle des prostituéEs : au moment où celles-ci seront criminalisées et condamnées à des zones de non-droit, les acteurs de prévention ne pourront là encore plus travailler ; l’augmentation du nombre de préservatifs mis à disposition s’avèrera donc inefficace.
Anne Hidalgo nous a pour finir proposé de participer à son comité de pilotage. Les enjeux de santé publique sont à faire entendre dans ce cadre ; nous regrettons néanmoins qu’il n’ait pas été fait de même à l’égard des prostituéEs autonomes, dont la vie est pourtant en jeu.

Nous vous demandons :
 de condamner fermement les exactions policières dont sont victimes les prostituéEs.
 d’assurer la concertation entre prostituéEs, représentants des forces de l’ordre et représentants de la Mairie de Paris au sein du comité de pilotage sur les prostitutions.
 d’encourager votre adjointe chargée du dossier à recevoir toutes les prostituéEs, et pas seulement celles qui la confortent dans ses positions abolitionnistes.
 de favoriser, au sein du comité de pilotage, un travail d’inventaire des discriminations des prostituéEs, à la fois du point de vue de leurs droits et des violences qu’elles subissent.
 de tenir particulièrement compte des conséquences sanitaires que pourraient entraîner des mesures prises à la suite du bilan dressé par le comité de pilotage.

Cordialement,

Victoire Patouillard, PrésidentE d’Act Up-Paris
Malika Amaouche,Responsable de la commission Prostitutions