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Conférence de Washington

Act Up-Paris à Washington (2) : Les PrEPs aux Etats-Unis, derrière les effets d’annonce le monde réel...

lundi 23 juillet 2012

Nous en avons beaucoup parlé ces dernières semaines [1] : l’annonce de mise sur le marché du Truvada aux Etats-Unis a pris de court les associations, pouvoirs publics et autres acteurs de la lutte contre le sida. On ne parle plus que de ça quand il s’agit d’évoquer la prévention, à tel point qu’un workshop activiste s’est organisé dans lequel on se demande où est passé le préservatif et les autres éléments qui tiennent lieu de prévention dans le quotidien des personnes. Serions-nous arrivéEs à une étape de la lutte contre le sida où tout serait réglé, au point qu’on puisse dépenser une grande partie de la conférence à parler d’une stratégie de prévention nouvelle, d’une manière très spéculative, et en faisant abstraction de toutes les autres méthodes reconnues, qu’il faut encore développer et adapter ?

Ce dimanche, une session avait pour but de faire le point sur la situation américaine, engagée depuis quelques années dans un plan de lutte contre le sida, le NHAS (National HIV Aids Strategy), un équivalent du plan national de lutte contre le sida en France [2].

Après une présentation devenue classique de la « cascade » des échecs prises en charge (perte du nombre de personnes dans les prises en charge entre les seropositifVEs contaminéEs, soignéEs, traitéEs, faisant preuve d’adhésion, etc... faisant qu’en fin de compte, seul un maigre pourçentage des séropositifVEs sont soignéEs de manière optimale), Keith R. Green, de la Aids Foundation of Chicago, a posé la question de l’impact de l’annonce de mise sur le marché des PrEPs sur le NHAS. Le contexte du NHAS n’a pas grand chose à voir avec le contexte français : il y a des disparités beaucoup plus grandes de prise en charge, avec la difficulté posée par un système de soin largement fondé sur des mécanismes assurantiels, et non sur une solidarité nationale, et avec des disparités régionales très importantes. Si Keith R. Green n’est pas dupe de l’impact qu’aura la commercialisation du Truvada sur l’épidémie (au mieux peut-on espérer, si les choses fonctionnent, et dans des conditions optimales, une légère réduction de l’épidémie dans les populations les plus à risque ; l’inverse pouvant également advenir), il présente les PrEPs sous un regard largement optimiste. Tout d’abord en affirmant que les PrEPs « ont prouvé leur efficacité chez les hommes gays et bisexuels », ce qui est largement discutable, puisque l’auteur se réfère à l’étude Iprex, dont on a déjà montré les limites (un intervalle de confiance très large, et des résultats d’efficacité qui demeurent faibles). Puis Keith Green affirme que les PrEPs sont avant tout des stratégies comportementales, qu’elles doivent être pensées de manière très fine par leurs utilisateurs en articulation avec d’autres stratégies (dépistage, préservatif, réduction du nombre de partenaires, etc.). Il conclut dans un registre très optimiste, en estimant qu’au fond, tout n’est affaire que de réforme, d’éducation et de moyens.

Une autre chercheuse, Molly Morgan-Jones, présentait dans cette session un projet baptisé « Mapping Pathways », financé par des fonds publics et par le laboratoire Merck, et visant à promouvoir une stratégie combinée incluant le « TLC+ » (testing linkage to care plus treatment, c’est-à-dire un dépistage étendu, ainsi qu’une mise sous traitement avec une plus grande disponibilité de ceux-ci), les microbicides, les PrEPs, les TPE (Traitements post-expositions) dans le contexte américain. Cependant, Molly Morgan-Jones terminait sa présentation par une note plus pragmatique, en interprétant les données recueillies dans le cadre de ce projet comme une attente un peu irréaliste, puisque la prévention, dans le monde réel, se heurtera selon elles à de multiples difficultés si les PrEPs venaient à se généraliser.

Il ressort de ces propos un sentiment général peu excitant du point de vue des perspectives d’avenir, mais ayant le mérite d’un minimum de réalisme. D’ailleurs, ces présentations sur la situation de la prévention aux Etats-Unis entraient en écho avec une session consacrée au sciences sociales [3], et dans laquelle les différentEs intervenantEs ont touTEs affirmé l’importance de mener des recherches prenant en compte l’écologie sociale de l’épidémie, et incitant à se méfier des stratégies créées en laboratoire ou dans les institutions de santé. En matière de prévention, les facteurs psychologiques, sociaux, environnementaux, économiques, viennent perturber les attentes qu’on peut avoir des stratégies de prévention, aussi efficaces soient-elles d’un point de vue théorique. Méfions-nous, pendant cette conférence où les ego des unEs et des autres sont célébréEs, à grand renfort de promesses de « fin de l’épidémie », ou de « révolution dans la prévention », et incitons les chercheurSEs à la complexité non-dogmatique. Celle qui n’oublie pas que derrière les recherches sur les PrEPs, il y a les comportements, et que l’usage du préservatif n’est pas une absurdité à laquelle il faudrait au plus vite substituer d’autres stratégies. Si la prise en compte des conditions réelles de mise en oeuvre de nouvelles stratégies de traitement est importante en recherche thérapeutique, elle doit être la condition sine qua non de toute recherche en prévention.


[3Session organisée par le Human Sciences Research Council intitulée « Rethinking the Role of Social Sciences in the Context of HIV Aids »