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Protocoles 70

CROI 2012

quelque part entre le début et la fin du sida

mercredi 21 mars 2012

La dix-neuvième édition de la conférence américaine sur les rétrovirus, plus prosaïquement sur le sida, se tenait du 5 au 8 mars à Seattle. L’édition 2012 de cette conférence a rassemblé plus de 4000 personnes, preuve que sa notoriété ne faiblit pas. Elle s’inscrit résolument dans l’actualité la plus brûlante de l’épidémie puisque le thème essentiel qui s’en est dégagé est bien celui de la prévention. Mais d’autres aspects plus cliniques ou prospectifs y ont eu également une place importante, comme la question très moderne des réservoirs et de l’éradication. D’autres sujets comme l’hépatite C ont peu produit cette année, en attente de nouveaux résultats. La tuberculose et les complications de l’infection à VIH ont été au cœur des discussions cliniques. Avec l’émergence des nouvelles techniques de prévention biomédicales qui sont apparues dans les débats ces dernières années, on en aurait presque oublié le thème le plus classique dans ce domaine depuis de nombreuses années, la recherche d’un vaccin.

Entre les perspectives d’espoir théoriques et les analyses pragmatiques d’une réalité effrayante et l’extraordinaire humilité que l’on ressent en se situant dans l’échelle de l’évolution de la vie, il y avait vraiment de quoi perdre ses repères durant la CROI 2012.

La première plénière du 6 mars était consacrée à la dimension préventive du traitement des séropositifs. Après un tour d’horizon de l’état des connaissances sur le traitement comme outil de prévention dont la pierre angulaire est constituée par les résultats de l’essai HPTN 052 publiés en 2011 [1], les principales études réalisées précédemment ont été présentées, tentant de démontrer la dimension préventive du traitement des séropositifs à partir des données épidémiologiques.

L’analyse des données concernant les séropositifs aux Etats-Unis montre que des 1.178.350 séropositifs en 2011, seulement 941.950 (80%) ont été testés, 725.302 (61%) ont été au contact d’une structure de soins, 480.395 (41%) sont suivis régulièrement, 426.590 (36%) ont un traitement anti­rétroviral et 328.475 personnes (28%) ont une charge virale en dessous de 200 copies par ml. Le continuum de prise en charge du VIH est donc la donnée essentielle à prendre en compte pour estimer l’efficacité que l’on peut attendre des antirétroviraux en prévention au niveau de la population. Comme on le voit aux Etats-Unis, 70 % des séropositifs n’ont pas une charge virale contrôlée. Cette cascade de valeurs constitue donc un outil essentiel pour mesurer les faiblesses du système et prendre les mesures qui s’imposent pour améliorer le résultat final. Les données issues d’une analyse de la situation en Afrique, montrent qu’elle est largement en dessous des valeurs occidentales alors que le continent représente l’essentiel de l’épidémie.

La cascade de données épidémio­logiques des séropositifs comme outil d’analyse de la situation et comme outil de diagnostic des faiblesses de la prise en charge montre une image assez différente en France, sensi­blement meilleure, essentiel­lement parce que l’accès aux soins à travers le système de l’assurance maladie est bien meilleur qu’aux Etats-Unis. Ainsi, sur 150.200 séropositifs estimés en 2010, 121.400 (81%) ont été diagnos­tiqués, 111.900 (74%) bénéficient de l’ALD (100% sécurité sociale), 96.800 (64%) ont un traitement antirétroviral et 84.200 (56%) ont une charge virale en dessous du seuil de détection à 50 copies/ml.

A l’inverse, le même type de cascade de données dans un pays d’Afrique, le Mozambique, donne une image d’une situation dramatiquement dégradée. Sur 23.430 personnes ayant fait un test dans ce pays, 7.500 (32%) sont séropositives, 3.956 (17%) sont suivis médicalement, 3.046 (13%) ont eu un dosage des lymphocytes CD4, 1.506 (7%) correspondent aux critères de mise sous traitement, 471 (2%) ont initié un traitement antirétroviral et 317 (1,3%) sont toujours sous traitement après 6 mois.

Malgré la galvanisation autour des résultats de l’essai HPTN052 et le potentiel énorme que représente la dimension préventive du traitement antirétroviral des séropositifs,
il reste un effort gigantesque à accomplir pour en tirer le bénéfice escompté que prédisent les modélisations mathématiques d’éradication de l’épidémie à des horizons plus ou moins proches, selon l’optimisme des paramètres choisis. Les efforts à entreprendre restent démesurés, notamment face au désengagement des bailleurs de fonds de la lutte contre le sida à l’échelle internationale. On retrouve toujours les mêmes questions d’éthique et d’équité que posent l’accès aux soins et au traitement. Pour l’oratrice, il faut donc continuer à plaider pour un traitement précoce, sans pour autant proposer d’objectif, compte tenu des si nombreux engagements jamais tenus.

Et si Darwin avait connu le sida, comment aurait-il présenté l’évolution des espèces ?

C’est en quelque sorte la question qu’on pouvait se poser en écoutant une présentation des virus, des singes et des humains. En proposant une échelle de temps graduée en millions d’années, il y a de quoi être déstabilisé. Mais pourtant c’est bien du sida qu’il s’agissait, même si très éloigné des préoccupations cliniques. Le passage des primates à l’homme, peut aussi s’observer en examinant l’adaptation immunitaire des espèces hôtes aux infections virales en général et aux lentivirus (la famille du VIH) en particulier. Une manière particulière de revoir la sélection des espèces. Dans une population donnée, vulnérable à un virus donné, il existe un très petit nombre d’individus dont les caractéristiques génétiques issues des évolutions antérieures leur permettent d’être plus efficaces à résister à l’infection virale.
Si l’on fait un bond dans le temps, on retrouve ces mêmes individus constituant la population majoritaire de l’espèce alors que les individus vulnérables ont disparu tandis que, d’un autre côté, les virus aussi ont évolué sous la pression grandissante de la résistance de leurs hôtes. Et le cycle recommence.

Dès lors qu’on analyse l’arbre de l’évolution sous l’angle des gènes de l’immunité dont on sait qu’ils font partie des secteurs du génome les plus évolutifs, on découvre que les divergences entre branches permettent des évolutions parallèles indépendantes. Ainsi, les principales protéines de résistance virale intracellulaires qui contrôlent la réplication du VIS spécifique de l’espèce, le virus simien équivalent du VIH, on constate que certaines évolutions ont pu avoir lieu avant ou après la divergence entre branches.
Mais si les gènes de l’immunité évoluent ainsi par sélection, ceux des virus aussi. Ils s’adaptent progressivement à l’évolution de leur hôte. Et ce sont les possibles bonds de cette évolution qui vont permettre de franchir à un moment donné la barre des espèces.

Ainsi, à partir de l’examen des principaux gènes des mécanismes de résistance cellulaire et de leurs antagonistes viraux, on peut retracer les marques principales de cette évolution conjointe. Ces principaux facteurs cellulaires dénommés APOBEC, Tetherin et SAMHD1, ont tous leur antagoniste viral, respectivement Vif, Vpu et Vpx, des protéines codées par le génome viral capable de contrecarrer les mécanismes cellulaires. Mais si la sélection chez certains singes leur a permis de contrôler le virus en produisant la protéine 3DE de la famille des APOBEC, cette évolution est postérieure à la séparation d’avec les humanoïdes chez qui APOBEC3G n’arrive pas à contrôler le virus parce qu’elle est inhibée par la protéine Vif. Il s’agissait donc bien dans cet exemple d’une sélection positive de l’hôte lors du passage de la barrière des espèces par le VIS du singe, dès lors appelé VIH. Mais cette adaptation peut ne pas être suffisante. Si c’est la protéine Nef qui permet le contrôle de Tetherin chez le singe, il a fallu une autre évolution au virus pour passer à l’homme, la création de la protéine Vpu, elle-même issue de l’évolution de Vpx. Diverses adaptations du même ordre ont été nécessaires pour différencier les virus des chimpanzés transmis ensuite à l’homme comme VIH-1 de ceux du singe sooty-Mangabey qui, transmis à l’homme, ont produit le VIH-2.

Cette reconstitution de l’histoire nous semble bien complexe, et pourtant, on peut imaginer en parallèle la même histoire qui a conduit l’évolution millénaire des virus pour aboutir aux virus modernes  : variole, rougeole ou encore SRAS. Si Darwin avait été virologue…

De quoi s’interroger sur le bénéfice de l’évolution humaine capable d’efforts extraordinaires pour comprendre le monde qui nous entoure et incapable des plus simples efforts pour sauvegarder son espèce des fléaux qui la menacent. Faudra-t-il attendre le prochain million d’années pour voir l’espèce humaine débarrassée du VIH  ?

prévention encore

Le paysage des techniques biomédicales de prévention est en plein bouleversement depuis deux ans maintenant. Depuis les premiers résultats des essais sur la circoncision en 2005, il semblait que rien n’avançait plus sur les autres pistes de recherche. Un modeste résultat assez controversé d’un microbicide, le Pro 2000, puis le premier résultat faiblement encourageant de vaccin en Thaïlande en 2009 n’ont pas vraiment fait avancer les choses. Et puis ce fut l’avalanche. CAPRISA 004 (gel microbicide en Afrique du Sud) en 2010, iPrEx (PrEP chez les gays) en 2011, suivi de nombreux autres résultats d’essais de PrEP plus ou moins fructueux et HPTN052 (Traitement des séropositifs en prévention) ont contribué à relancer le débat à la façon d’une tempête permettant à certains de rêver subitement à la fin du sida. Et pourtant, ces résultats, si encourageants soient-ils, sont à considérer aussi avec un peu de recul. Encore fallait-il en avoir la patience. La CROI 2012 vient à point apporter ses compléments sur bon nombre de ces recherches, le temps est maintenant à l’analyse.

Ainsi, les résultats de l’essai Partner PrEP y ont été exposés pour la première fois de manière précise après la décision du comité indépendant en juillet dernier. Cet essai de phase III mené en Ouganda et au Kenya d’évaluation d’une PrEP en prévention de la transmission du VIH dans des couples sérodifférents comportait 3 groupes, Tenofovir/emtricitabine (truvada) (TDF/FTC), tenofovir (TDF) et placebo. Il a recruté 4.758 couples parmi lesquels l’homme était séropositif dans 62% des cas, et les a suivis en moyenne pendant 23 mois. 82 séro­conversions ont été constatées durant l’essai, 17 dans le bras TDF, 13 dans le bras TDF/FTC et 52 dans le bras placebo. L’analyse des résultats montre une réduction du risque de transmission de 67% (IC95%  : 44 – 81) dans le bras TDF et de 75% (IC95%  : 55 – 87) dans le bras TDF/FTC. C’est ce qui a conduit le comité indépendant de l’essai à préconiser l’arrêt du bras placebo. La tolérance des traitements s’est révélée satisfaisante. Quatre personnes contaminées au cours de l’essai étaient porteuses de virus présentant une mutation de résistance qui s’avère avoir été transmise et non acquise. L’analyse des comportements ne montre pas d’augmentation de prise de risque, au contraire, malgré la déclaration de 27% de relations non protégées en moyenne au cours de l’essai.

L’équipe iPrEx a également fait part des résultats d’une étude démontrant que l’efficacité de la PrEP chez les gays recrutés dans l’essai iPrEx est strictement dépendante des concentrations de médicament, autrement dit, que l’observance du traitement est cruciale.

Un deuxième essai de phase 1 de gel microbicide rectal s’est révélé plus plus tolérable que le gel utilisé dans CAPRISA 006, qui lui s’était révélé problématique pour son utilisation rectale en raison des troubles qu’il produisait. A la suite de ce deuxième essai de phase 1 qui utilisait une nouvelle formule de gel à 1 % de ténofovier, la phase 2 a donc été lancée.

réservoirs et éradication

Plusieurs sessions ont été consacrées à cet autre thème d’actualité. Les traitements antirétroviraux efficaces ne permettent que d’arrêter la production virale mais n’éliminent pas le virus du corps. Il persiste des réservoirs essentiellement constitués par les cellules immunitaires infectées non activées mais à un stade latent. De nombreuses questions persistent pour comprendre ce qui constitue ce réservoir. S’il est aisé de mesurer la présence d’ADN proviral dans le sang, les analyses de tissus sont beaucoup plus ardues et les recherches produisent des résultats controversés. La question de la pénétration des antirétroviraux dans ces compartiments tissulaires est en cause mais fait également l’objet de controverses.

Si deux constats sont indéniables, la production virale reprend à l’arrêt du traitement et le traitement de la primo-infection réduit le réservoir, il reste de nombreuses questions non résolues. Où se situe le réservoir et quelle taille a-t-il ? Quelle est l’origine de la très faible charge virale persistante sous traitement ? Qu’est ce qui provoque les rebonds de charge virale ? Qu’est-il pertinent de mesurer dans les essais cliniques ? Ainsi que de nombreuses questions autour de la latence des cellules immunitaires.

Malgré toutes ces incertitudes et à partir de l’expérience de Tim Brown, le célèbre patient de Berlin dont les traitements de sa leucémie et les greffes de moelle osseuse ont débarrassé son corps de toute trace du virus [2], une ardente recherche se poursuit afin de trouver une solution thérapeutique à l’élimination de ces réservoirs. En synthèse d’ouverture du symposium sur le traitement de la latence, il a été rappelé que la principale barrière à la guérison est le traitement du réservoir persistant constitué de cellules infectées latentes.

L’étape actuelle de ces recherches en est à trouver des solutions pour activer les cellules latentes afin de les rendre détectables par les lymphocytes tueurs CD8 qui peuvent les éliminer. Face à l’avalanche de questions que cette idée soulève, on comprend bien qu’on n’en est qu’au début de l’histoire. Les tentatives menées jusque là d’activation générale de l’immunité, notamment par l’interleukine II se sont révélées infructueuses. Les études actuelles portent donc sur la connaissance des facteurs contrôlant la latence des cellules, sur les modèles d’étude in vitro, sur les modalités d’activation, de transcription et de traduction du génome proviral. Ces travaux ont conduit à diverses pistes d’activation des cellules qui passent progressivement du laboratoire à la clinique mais produisent pour l’instant des résultats décevants ou très préliminaires.

Pour autant, l’hypothèse d’un résultat probant fait déjà émerger des questions nouvelles. L’activation des cellules latentes est potentiellement risquée puisqu’elle conduit logiquement à la production massive de virus. Mais on ne sait pas actuellement à quelle intensité cette production doit être stimulée pour être efficace afin de purger les réservoirs. On ne sait pas davantage ce qu’on peut réellement attendre de l’efficacité des lymphocytes CD8 à éliminer ces cellules ni quelle stimulation pourrait être mise en place. Cependant on peut d’ores et déjà considérer qu’un processus d’éradication consistera en une multiplicité d’approches combinées, activation, stimulation immunitaire et traitement antirétroviral, avec un dosage probablement subtil mais inconnu à ce jour.

l’état de santé du monde

La dernière plénière de cette CROI 2012 fut impressionnante. Le travail mené à l’Institut de Mesure et d’Evaluation de la santé (IHME) à Seattle a laissé plus d’un congressiste sans voix. Il s’agit ni plus ni moins que de caractériser l’état de santé du monde à travers une base de données de connaissances présentant l’ampleur comparative de la perte de santé des individus due aux maladies, aux accidents et aux facteurs de risque par âge, sexe, situation géographique et leur évolution dans le temps à partir des points de recueil d’information déjà réalisés.

Cette collecte d’information, initiée par la banque mondiale et l’organisation mondiale de la santé en 1991 analyse l’état de santé de la planète à travers 225 causes de morbidité et de mortalité et plus de 50 facteurs de risques. Elle est régulièrement alimentée par de nouvelles données, la dernière révision étant le millésime 2010. Il est peu dire que l’auditoire a été fasciné par cet outil remarquable capable presque de manière interactive de comprendre quel est le risque majeur dans une région du monde, quel est le poids du VIH dans tel pays, comment évolue le risque cardiovasculaire dans les pays industrialisés, ou en Afrique, ou en Indonésie…

Pour donner un exemple, la base propose une classification évolutive des causes principales de perte de durée de vie cumulée entre mortalité prématurée et années handicapées (DALY). Elle montre par exemple que le VIH est passé de la cinquantième place des causes de perte de durée de vie en 1990 à la onzième en 2010, derrière les maladies cardiovasculaires, les diarrhées, le transport, le paludisme et le diabète, entre autres. Quelques messages issus de ce travail de titan ont permis une conclusion remarquable :

 La réduction substantielle de la mortalité due au VIH est directement liée aux fonds consacrés aux traitements, à la prévention de la transmission mère-enfant et aux programmes de prévention de certaines régions comme l’Inde.

 La poursuite des progrès dépend néanmoins de l’intensification des financements, d’un effort important de l’efficacité des programmes de traitements antirétroviraux ou de progrès scientifiques.

 Le VIH demeure le poids principal de la maladie dans 12 pays en dépit des progrès réalisés dans les dernières dizaines d’années  ; il reste parmi les 5 principaux dans 30 pays.

 Les pays présentant une épidémie massive du VIH ont également à faire face à de nouveaux défis de santé comme l’obésité et le tabac qui sont la cause de maladies non transmissibles.