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lettre aux organisateurRICEs d’Im/mune

jeudi 3 novembre 2011

C’est avec regret que nous nous désengageons d’un projet, Im/mune, qui nous semblait de prime abord digne d’intérêt.

Notre responsable des archives vous a fait part il y a quelques jours des réticences des militantEs de notre association, après qu’ils ont découvert avec stupeur le texte de présentation de l’exposition. Il a proposé que l’association publie sous forme de poster et de tract notre réaction face à ce document afin de la mettre à disposition du public. Béatriz Préciado y a donné comme condition qu’elle puisse elle-même y répondre. Dans la mesure où nous ne pouvons lui faire confiance – ce qui est compréhensible quand on connaît l’histoire de la lutte contre le sida et qu’on lit son texte – nous refusons de cautionner une exposition dont le texte de présentation réécrit notre passé, insulte les mortEs du sida, les malades et les activistes d’hier et d’aujourd’hui, et utilise nos combats pour s’inventer une fausse subversivité à peu de frais.

Le texte de présentation nous est insupportable à plus d’un titre. Quelques éléments :

 « Devons-nous encore parler de sérodifférence, ou sommes-nous plutôt tous construits par un seul régime immunitaire ? » : Cela signifie t-il que nous somme tous « un peu séropositifs » ? Pour des personnes vivant avec le VIH, ce type de propos est inacceptable. Il y a derrière le VIH une maladie à combattre, pas un accident banal au sein d’un « régime immunitaire commun ». Le sida n’est pas une métaphore pour apprenti philosophe en mal de « concept ».

 « En France, les tensions entre imposition du préservatif et bare-backing, entre prophylaxie et seropride, entre pénalisation de la contamination et défense radicale de la « liberté sexuelle », entre responsabilité et résilience cristallisent dans l’antagonisme entre Act Up et Guillaume Dustan. Pendant ce temps, un changement de modèle pharmacologique s’opère qui viendra transformer les termes du débat. ». Ce passage est intolérable :

  • Les couples d’opposition aboutissent à une réécriture de l’histoire en mettant sur le même plan Act Up, l’ « imposition du préservatif », la pénalisation et la responsabilité. Or, n’importe quelle personne un peu rigoureuse se rendra compte qu’Act Up-Paris s’est toujours opposée à la pénalisation de la transmission dite « volontaire ». Nous en appelons à une responsabilité des personnes, mais nous refusons que cette responsabilité soit judiciaire, car nous pensons qu’il y a d’autres modèles de responsabilité que la menace de la répression, que cette responsabilité passe par des égards pour soi-même, ses partenaires, les personnes avec qui on forme une communauté, etc. Ce passage est donc une imposture historique.
  • Le texte reprend la polémique telle qu’elle était définie par Dustan lui-même, en opposant responsabilité et liberté. Or, nous avons toujours affirmé que la liberté et la responsabilité allaient de pair. On peut ne pas être d’accord, mais le texte de présentation passe sous silence nos arguments. Il s’agit d’une malhonnêteté intellectuelle rare. Réduire vingt ans de lutte contre une épidémie, lutte qui s’est notamment traduite par un travail de retournement des représentations, en visibilisant le sida dans l’espace public, à « l’imposition du préservatif » est profondément insultant. Avons-nous constitué une police du sexe ? Avons-nous cherché à contrôler la sexualité de la communauté gay ? Non, nous avons travaillé à faire accepter la séropositivité, à l’obtention de droits sociaux pour les personnes concernées, à l’avancée des recherches, à la prise en compte des inégalités internationales en ce qui concerne l’accès aux traitements, à la valorisation de comportements responsables pour un souci de soi, de ses partenaires, de sa communauté, etc. Nous avons travaillé à stopper une pandémie partout où nous le pouvions en faisant valoir la visibilité, les droits, et la responsabilité de chacunE. Enfin, mettre Act Up-Paris et Guillaume Dustan dos à dos revient à opposer un homme médiatique, qui a fondé sa reconnaissance et son fond de commerce sur une forme de fausse subversion tragique, à un mouvement politique qui lutte depuis plus de vingt ans auprès des malades, qui a obtenu des droits, qui a gagné des combats. Non, Dustan n’était pas subversif, pas plus que Rémès : il ne faisait que surfer sur les fantasmes du séropo meurtrier qui étaient au centre des représentations dominantes des personnes vivant avec le VIH dans les années 90. Son discours reposait sur l’idée d’une liberté sexuelle « naturelle » (il a osé la justifier, sans aucune volonté ironique et devant 200 personnes, des Africains qui baisent sans capote dans la brousse !) : pas besoin d’avoir lu tout Foucault pour identifier ce discours comme de la fausse subversivité, qui rapproche bien plus Dustan, du pape ou de Vanneste que de Sade.Des millions de personnes sont mortes du sida depuis le début de la pandémie ; 6000 personnes meurent chaque jour du VIH. Le texte ne le dit pas. Ce sont nos amiEs, nos amantEs, nos proches, des inconnuEs, des personnes réelles. Comment réfléchir « à de nouveaux discours et de nouvelles stratégies culturelles et micropolitique » sans simplement évoquer cela.

 « L’épidémie ne construit pas les mêmes corps en Europe, en Chine ou en Afrique » : comme si c’était l’épidémie, agissant naturellement, qui créaient ces différences et non les facteurs politiques, économiques et sociaux, comme par exemple l’indisponibilité des traitements dans les pays pauvres, le prix des médicaments fixés par l’industrie pharmaceutique, l’absence d’engagements financiers conséquents des pays riches, etc, etc. Comment « construire un corps vivant dont l’idéal politique ne soit pas l’immunité nationale, raciale, sexuelle et de genre » en dissimulant ces facteurs sociaux, politiques et économiques ?

Nous pourrions continuer la liste de ces éléments qui nous ont profondément touchés. Nous sommes conscients du désagrément que cela vous cause, mais nous partageons la responsabilité de celui-ci avec les organisateurs de l’exposition, qui ne nous ont pas explicitement signalés et permis d’avoir un regard sur ces textes, qui concernent pourtant directement notre association et son histoire.

En faisant de l’épidémie de VIH/Sida une épidémie politique, Act Up-Paris a construit son combat sur une intransigeance et une vigilance intellectuelle qui l’ont parfois opposé à des conceptions politiquement douteuses de la maladie. C’est le cas dans cette exposition, et nous en sommes désoléEs. Cependant, nous vous prions d’observer que l’avis des malades du sida compte plus que tout dans ce contexte, et qu’il nous est impossible de faire quelque concession que ce soit à nos principes et à la parole des malades.

Par ailleurs, ce texte de présentation circule dans des réseaux avec lesquels nous avons l’habitude de travailler. C’est la raison pour laquelle nous leur transmettrons ce courrier.

CertainEs que vous comprendrez les raisons de notre retrait de ce projet, nous vous adressons nos sincères salutations.

Act Up-Paris