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Conference on retroviruses and opportunistic infections - CROI 2007

CROI 2007 [2ème jour]

mardi 27 février 2007

Compte rendu de la seconde journée de la CROI 2007 à Los Angeles rédigé sur place par deux militantEs d’Act Up-Paris.

Le deuxième jour de la 14e CROI commence par la traditionnelle plénière du matin. Le programme de cette session d’ouverture est à l’image de toute la conférence : d’une part un sujet très « international », la prévention de la transmission par l’allaitement au sein puis un sujet de recherche fondamentale, la pathogenèse du sida, quelle relation entre réplication virale et maladie sur des modèles animaux.

Lait maternel

Hoosen Coovadia, chercheur sud-africain de l’université KwaZuluNatal nous convie à découvrir un étrange paradoxe. Depuis de nombreuses années, la transmission de la mère à l’enfant a toujours été un des sujets de préoccupation essentiels de la recherche clinique. La prévention de ce mode de transmission par l’utilisation d’antirétroviraux est connue depuis plus longtemps que les antiprotéases. Les meilleurs techniques ont permis de réduire cette transmission, initialement d’environ 30%, à moins de 1% dans les pays industrialisés.

Au Sud, l’accès à ce type de traitements est beaucoup moins fréquent, essentiellement à cause du prix des traitements. Depuis quelques années, les cliniciens ont renforcé ces traitements préventifs afin de mieux prendre en charge la maladie de la mère et de ne pas risquer le développement de résistances, ces traitements étant à cet égard insuffisants. On a donc été amenés à recommander des trithérapies. Parallèlement, l’accent a aussi été mis sur le risque de transmission que présentait l’allaitement au sein puisque le virus est présent dans le lait maternel.

Ainsi, dans les pays développés, il avait été observé que lorsque les enfants étaient nourris au lait maternel, la transmission s’élevait en moyenne à 22%. Ce chiffre a pu être amélioré grâce à l’utilisation d’un traitement efficace chez la mère. Un trithérapie réussie réduit alors ce taux à 2%. Mais dans les pays du Sud, les résultats sont tout autres. La mortalité infantile est beaucoup plus élevée et le fait de nourrir les enfants au lait maternel leur confère une protection indispensable dans beaucoup de cas contre les maladies fréquentes chez les enfants. En effet, la mère, par son lait maternel, transmet à son bébé tous les éléments de son immunité que l’enfant ne possède pas encore.

Divers essais montés en Afrique ces dernières années ont donc conclu à l’intérêt de poursuivre l’allaitement au sein. Il a ainsi été observé un gain intéressant en matière de prévention des diarrhées, de la malnutrition et de la mortalité infantile par les maladies infectieuses. La principale cause de problèmes est l’insalubrité. L’accès à l’eau potable étant souvent un luxe, souvent la balance bénéfice/risque va pencher en faveur de l’allaitement maternel. Poursuivant ses recherches, l’équipe de Hoosen Coovadia nous présente aujourd’hui un modèle complet. Parmi les facteurs de risque aggravant la transmission, il y a le taux de CD4 de la mère. Ce risque est divisé par deux au dessus de 200CD4. Mais, précise le chercheur, c’est aussi un droit pour la mère de disposer d’un traitement pour elle-même. Les résultats nouveaux portent sur l’usage de l’allaitement exclusif au sein. Le chercheur sud-africain dévoile ses résultats qui montrent clairement un bénéfice en matière de transmission du VIH dans ce cas. Avec de tels résultats, il montre également la faisabilité en expliquant que les comportements sont adaptables pour peu qu’on mette en place l’accompagnement nécessaire. Enfin, il formule une recommandation qui permet discerner les situations où l’allaitement maternel apporte un bénéfice : dans les pays où la mortalité infantile dépasse 25 pour mille. Il nous a bien semblé à la sortie de cette session que nous venions d’assister à un tournant dans l’histoire de la transmission mère enfant, la controverse semblait enfin dissipée.

Nos amis les bêtes

La deuxième plénière du matin était d’un tout autre ordre. La plongée dans la recherche fondamentale a été brutale. Louis Picker de l’université de l’Oregon, Etats-Unis, est un spécialiste de l’étude de la pathogenèse du VIH. Il travaille pour cela avec des singes qui sont infectés par un virus presque identique au VIH, le virus simien VIS. Grâce à ces modèles, il a étudié la maladie chez les animaux pour tenter de comprendre le lien qui existe entre virus et maladie. En effet, même après 25 ans de recherche, il subsiste des zones d’ombre dans la compréhension de ce qui fait le lien entre l’infection virale et le développement de la maladie, autrement dit, la pathogenèse. En particulier, les spécialistes du sida n’ont pas d’explication claire et satisfaisante sur ce qui fait disparaître les lymphocytes CD4 au fil des ans chez un séropositif.

Les singes sont ici d’un grand secours puisqu’ils permettent entre autres d’étudier une maladie dans d’autres conditions que celle de l’homme. En effet, le VIS ne provoque pas chez tous les animaux un développement comparable de la maladie. Certains singes contrôlent très bien l’infection. En comparant les paramètres de développement différents, le chercheur arrive à la conclusion que ce n’est pas tant l’activité virale qui détruit l’équilibre du système immunitaire et conduit à la disparition progressive des lymphocytes cd4, c’est l’activation immunitaire elle-même qui est la cause de la maladie. Le sida eput donc être considéré dans ce modèle comme une insuffisance de reconstitution du stock de lymphocytes mis à mal par une activité débordante. Dès lors, conclue-t-il, il faut considérer l’intérêt d’une immunothérapie avec l’interleukine 7. Ce que nous ne manquerons pas de faire puisqu’il suffit d’attendre pour cela la session de mercredi.

Organismes génétiquement différents

Devant l’énorme disparité d’évolution de la maladie chez les séropositifs, le domaine de recherche en grand développement est l’étude des disparités génétiques. Mais il s’agit avant tout de travaux d’observation où l’on tente de comprendre si cette disparité permet d’expliquer avec précision la différence des comportements en matière d’infectivité, de développement de la maladie, de vitesse de réaction ou de différences par rapport à uen thérapie. On a ainsi pu assister lors d’une session de présentations orales à tout un ensemble de données sur ces sujets. J. McConnell a ainsi montré que le risque de surinfection est différent selon les individus et dépend de la capacité à développer des anticorps neutralisant contre le VIH. Ceux qui en sont capables arrivent à bloquer la transmission du virus de leur partenaire ou même d’autres. Mais ce n’est pas, loin s’en faut le cas de tout le monde. Plusieurs résultats d’étude sur la variabilité génétique des outils essentiels que notre système immunitaire possède pour reconnaître les agents étrangers, les protéines HLA, permettent d’expliquer que la progression de la maladie est plus ou moins rapide selon les individus. En effet, il y a une forte corrélation entre la qualité de reconnaissance des protéines virales et l’efficacité des cellules immunitaires à détruire les lymphocytes infectés.

« Le sida, ça monte ou ça descend ? »

C’est par cette question que Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la santé, nous avait reçu dans son bureau il y a quelques années et c’est un peu le titre que l’on pourrait donner ironiquement à cette session qui a clôturé notre journée de lundi. Il s’agissait d’un symposium sur les déterminants de l’épidémie qui mettaient du même coup en exergue certains aspects essentiels qui font la part belle à la propagation du virus. Mais cette session nous a aussi permis de découvrir une vue d’ensemble de solutions nouvelles pour se battre contre l’extension parfois trop rapide des contaminations avec cette remarquable présentation sur les nouveaux outils de prévention.

Anne Johnson a commencé par nous exposer la situation de l’épidémie en Europe et ses déterminants. Elle a bien expliqué la différence énorme entre Europe de l’ouest, centrale et pays de l’est. Tandis que l’ouest a connu la drastique chute de mortalité qui a suivi l’arrivée des trithérapies il y a dix ans, elle peine aujourd’hui à améliorer une situation pour le mieux stagnante et où domine très largement la contamination par voie sexuelle. C’est tout le contraire à l’est où l’épidémie est beaucoup plus récente et encore très mal maîtrisée mais qui est surtout présente chez les usagers de drogues. Si elle tend à se stabiliser, ce n’est pas gagné car l’absence dramatique de prévention fait craindre une invasion par la voie sexuelle.

Fritz van Griensven a ensuite largement décrit l’épidémie chez les gays dans le monde. Si l’histoire est assez bien connue dans les pays occidentaux où l’épidémie atteint beaucoup plus fortement la communauté gay que le reste de la population et où le relâchement de la prévention en fait le seul segment de population dans lequel l’épidémie continue de progresser, la dissémination du sida dans la communauté gaie est beaucoup moins connue ailleurs dans le monde. En Amérique latine, le principal problème est l’absence dramatique de prévention ciblée envers la population homosexuelle. Totalement ignorée des campagnes, elle a, comme ailleurs une prévalence nettement aggravée. En Afrique, la situation est plus dramatique encore. Mais cela est du principalement à l’absence totale de reconnaissance de la question. Dans la moitié des pays africains, l’homosexualité est même condamnée par la loi. La situation est loin d’être meilleure en Asie où les gays sont très majoritairement atteints. L’orateur conclue en précisant que la criminalisation, la stigmatisation, l’homophobie et les tabous limitent drastiquement l’accès à la prévention, aux traitements et aux soins des gays partout dans le monde. Cela en fait une population extrêmement vulnérable d’autant plus que l’épidémie est mal connue et sous étudiée dans beaucoup de pays.

Judith Wasserheit a ensuite abordé le lien entre transmission du VIH et présence des maladies sexuellement transmissibles. Elle a rappelé combien les infections augmentent le risque de transmission voire, se font le vecteur de la dissémination du VIH. Mais elle a aussi insisté sur l’intérêt que présente la prise en charge des maladies sexuellement transmissibles pour la prévention du sida. De nombreux exemples sont venus étayer ses propos.

Enfin, pour conclure, Ward Cates Jr. éminent dirigeant d’une des plus prestigieuses fondations américaines qui œuvre pour la recherche sur le sida, Family Health International, est venu présenter une synthèse des très nombreuses recherches menées sur les techniques prophylactiques. Son calendrier incorpore la recherche vaccinale, les microbicides, la prophylaxie pré exposition, la circoncision et les essais d’intervention comportementale. A travers le déroulé des essais en cours, il pose la question essentielle qui est de savoir ce que l’on fera si ça marche. Il s’empresse de préciser que la question est évidemment aussi à poser dans l’autre sens : que faire si ça ne marche pas. Malgré son dynamisme, il fait le difficile constat que jusqu’à présent peu de résultats positifs ont été obtenus. Les essais vaccinaux, les microbicides testés, les tentatives d’intervention comportementale, autant d’échecs ont jalonné la route jusque là. Quelques espoirs sont venus récemment éclaircir le tableau avec les remarquables résultats des études sur la circoncision. Il reste malgré tout encore de nombreuses pistes en cours d’évaluation comme les prophylaxies pré exposition. Il est donc plus que nécessaire de se préparer à l’application à plus grande échelle de ces techniques parce que le bénéfice attendu, l’infléchissement des nouvelles contaminations, n’aura lieu que consécutivement et encore, à condition que leur implémentation se réalise avec l’accompagnement nécessaire.