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Le voyeurisme sous couvert de lutte contre la drogue

jeudi 18 août 2005

Libération et Le Monde ont publié une publicité pour un magazine, que l’on nommera « X », et dont l’accroche était « X contre la drogue ». Cette publicité montrait le dépérissement d’une femme (dont l’identité était citée) présentée comme toxicomane. En fait de lutte contre la drogue, cette campagne vise d’abord à démontrer à ses lecteurs (actuels et futurs) qu’il est possible d’utiliser le voyeurisme dont ce magazine a fait son fonds de commerce à des fins considérées comme nobles. Nous avons envoyé le 17 août un courrier de colère — reproduit ci-dessous — à ces deux quotidiens. Le 18 août, Libération l’a reproduit avec une réponse de Patrick Sabatier, directeur adjoint de la rédaction [1] ; Le Monde a publié un article le même jour [2].

Libération, dans son édition du 13-14 août, a publié sur une pleine page une publicité d’un magazine que l’on nommera « X » et dont l’accroche était « X contre la drogue ». La publicité présentait une série de photos montrant le dépérissement d’une femme (dont le nom complet était cité) présentée comme toxicomane. « X » est un magazine dont le contenu éditorial repose entièrement sur des clichés sélectionnés pour satisfaire au voyeurisme le plus bas de son lectorat avec une appétence particulière pour le sexe et la bêtise mais aussi la douleur, la violence et la misère. Cette campagne a donc pour objectif de démontrer à ses lecteurs (et potentiels lecteurs) qu’il est possible d’utiliser ce voyeurisme à des fins considérées comme nobles, telle la lutte contre la drogue.

La série de photos que vous publiez est issue des archives de la police de Floride. Elle a été rendue publique alors que la femme photographiée a disparu. On ne sait donc pas si elle est encore vivante et son autorisation n’a jamais pu lui être demandée. Cette même série avait déjà été utilisée pour une campagne de la Metropolitan Police de Londres qui l’avait choisie pour éviter les problèmes de confidentialité que lui aurait valus la publication de photos choisies dans son propre stock. La campagne était intitulée « Don’t let drug dealers change the face of your neighbourhood » et n’était rien d’autre qu’un appel explicite à la délation avec numéro d’appel anonyme.

L’usage de drogues et la toxicomanie sont des phénomènes d’une rare complexité qu’il convient d’aborder dans toutes leurs composantes, que celles-ci soient de l’ordre du vécu individuel, des phénomènes sociaux ou des dispositifs juridiques. En l’espèce, quelle est l’origine du dépérissement de cette femme ? La toxicomanie ou l’exclusion sociale qui l’ont conduite à la toxicomanie ? Les drogues ou un système législatif qui marginalise celles et ceux qui les utilisent ? Les drogues ou les difficultés d’accès aux produits de substitution aux Etats-Unis ? Les drogues ou le sida et les hépatites dans un pays qui refuse toujours de soutenir les programmes d’échanges de seringues sur des fonds fédéraux ?

Act Up-Paris déplore la publication par votre quotidien de cette campagne qui, loin de répondre à ces questions, véhicule, sous une forme plus que contestable, un message simpliste qui nous semble très éloigné du niveau d’exigence éditoriale de votre rédaction. Nous nous étonnons enfin que Libération relaie au sein de ses pages l’idée qu’un sujet de société puisse être traité par l’image dégradante d’un être humain livré au dégoût de ses lecteurs.

Act Up-Paris


Post-scriptum : Vendredi 19 août 2005, par l’intermédiaire du site NouvelObs.com, l’éditeur du magazine annonce l’arrêt de cette campagne de publicité.