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en finir avec Dustan

ce qu’il dit

vendredi 30 novembre 2001, par Agnès De Luna, Fabien Rouilly

Je ne prétends pas faire une critique littéraire des livres de Dustan. Mais lorsqu’un livre fait entrer ainsi, de façon limpide, des personnes réelles, nous ne sommes plus dans la fiction, dans la création mais sur la scène publique, celle de l’opinion. La position politique de l’écrivain se lit clairement.

Mettons en évidence les insultes objectives de l’auteur, au milieu d’un délire suffisamment « riche » par ailleurs. Le coup d’arrêt devrait faire retomber la neige, et la tentative de Dustan apparaîtrait telle qu’elle est. Cette habitude du cynisme, l’invalidation des mots, permet l’inversion des responsabilités, l’humiliation des victimes et des combats, et, passant parfois pour de l’humour, ou de la création, ils gomment mémoire, avenir, êtres, actions, d’un seul haussement d’épaules désabusé.

Je pense qu’Act Up devrait porter plainte et exiger strictement de la loi ce qu’elle peut. Pas plus ni moins. Là où les insultes sont écrites, évidentes.

Les phrases : « Act-up prétend incarner les intérêts supérieurs (d’une communauté) comme d’autres naguère ceux de la Race ou du Prolétariat, pour mieux lui appliquer une tyrannie sans merci… Dans les camps, les juifs étaient les meilleurs kapos, les plus acharnés » sont de celles que la Licra, le Mrap, Ras le Front, et d’autres… ne passeraient pas sous silence, et ils auraient raison. C’est, dit par un juif ou un non-juif, par un PD ou non, une saloperie d’une gravité évidente, et d’une totale fausseté historique. « Act-up Vichy » ; « Act-up et ses relais qui se chargent de la chasse aux séropos » etc., c’est du même tonneau.

Le Dustan pseudo-philosophe, l’homme provocateur qu’il voudrait être est à terre et le négationniste, l’eugéniste sort du placard avec ces phrases et celles sur les femmes, les faibles qui relèvent d’une volonté eugénique d’un monde pur et fort. « A l’origine, Act-up était un mouvement de séropos caractérisés par une forte ambivalence à l’égard de leur homosexualité ». La encore l’engagement singulier, le mode d’être au monde, les appartenances, les sexualités, sont effacés par Dustan. L’utilisation d’une « qualité » définissant soi-disant les membres d’un groupe ou d’une communauté est une des bases du discours raciste. Il n’y a pas à convaincre, à expliquer davantage. Au-delà de la rationalité c’est surtout un choix, une volonté, un engagement moral qui refusent les discriminations.

Dustan se sert de tout, de son atteinte par le virus, de son identité juive et PD, pour dire : j’ai raison puisque moi qui suis dans ce cas… j’affirme que. Je sais pour eux. J’en suis, mais je les dénonce. Il demande à Act Up de tout supporter, de le guérir, de le punir, de se battre pour lui, de lui foutre la paix, de l’encenser, de lui donner les limites parentales, de le lire... De l’aimer peut-être même... De le tuer ?

Parce qu’il met le doigt sur son plaisir, il prendrait le droit de descendre qui — prétend-il — se met en travers ? Les diffamations contre Didier Lestrade, accusé d’être hostile au « nokapot » par jalousie littéraire relèvent de la disqualification d’un engagement. « La capote n’a plus la cote chez les homos ? En tout cas elle l’a toujours du côté des dominants et de leurs séides ». Dustan est en miroir avec les déclarations du président du Zimbabwe qui dit que la capote est une invention des Blancs, le sida aussi…

« Le seul discours réaliste en matière de prévention… c’est de dire : baisez sans capote et sans risques : entre séropos ou entre séronegs ». Et bien nous y voilà, l’infantilisme se lève sur un désir bien net. Si ça ce n’est pas du régime de terreur et de flicage… c’est quoi ?

« La responsabilité c’est pour soi, pas pour les autres ». Dustan confond tout. De la responsabilité, nous ne pouvons que la nôtre, certes, et ne répondons que de celle-là, mais elle est loin de nous concerner seuls. La responsabilité est dans le rapport aux autres, à soi avec les autres.

« Si nous avons des problèmes, ce qui n’est pas sûr, eh bien, on nous soignera » : Dustan et sa foi en la médecine, dans les institutions, dans le monde si tendre, si prévenant envers les malades et les pauvres nous ferait rire si la réalité était différente… Je pense à la phrase de l’amant d’une amie, sénégalais. « Nous, Africains, on ne peut pas souvent faire le test du sida. Imagine, si j’apprends que j’ai attrapé le virus… Je serais désespéré car je ne pourrais pas faire face. Et ma famille ? Le médecin m’a expliqué ce qu’est la maladie. Nous n’avons pas les traitements. Je n’ai pas d’argent. Mettons une capote. ». Dustan ignore donc ces réalités ?

« responsable… à ne pas contaminer les autres, gna-gna » : on voit l’ampleur de son « éthique du moi seul ». Après moi le déluge. Il ne peut entendre que pour certains, heureusement, ça compte les autres, avec qui on baise. Ça ne compte pas que pour eux, mais pour soi justement. Et quant aux réalités de surinfections, il a l’air de penser, de ne rien penser justement.

« La capote protège du sexe ». La pluralité de nos expériences en la matière peut servir. De façon à ce qu’émergent les oui, c’est pas évident, les néanmoins, avant vaccin, la capote pour certains rapports sexuels reste le moyen actuel de prévention. Ce qui gêne dans le plaisir, que l’on aime, c’est que justement, parfois, des entraves, « on » en désire, et pas des moindres… Qu’est-ce je fais ? De mes ambiguïtés ? De ma vision du monde, de mes actes ? Où est la — bonne — distance ?

« Quel traitement réserver au tiers à qui une atteinte à l’intégrité physique, le cas échéant mortelle, est demandée ?… L’euthanasie… » Là aussi c’est affaire de choix, donc de position. Je ne puis être le thérapeute de l’autre, toujours, certes et heureusement. Mais je peux choisir de refuser d’être son meurtrier. Confondre fantasme et réalité d’un acte fait passer de l’érotisme aux snuff-movies. Or ce n’est pas la même scène. De plus, qu’est-ce que chacun entend du désespoir, d’un désir de souffrance, de mutilation, de sacrifice, de suicide qui lui est transmis plus qu’adressé ? Que dit véritablement quelqu’un qui dit désirer mourir, et qu’en saura-t-on en le tuant ? S’il survit, le lendemain, cette personne aura autre chose à dire. Le débat est vaste. Mais les choix sont effectifs.

« Parce que c’était comme lui faire un enfant… le mec aurait toujours pu me dire : c’est toi le père… » Deux énormités. L’amalgame enfant et virus. Et la débandade, la fuite effective de la responsabilité (il indique qu’en groupe pourquoi pas…). C’est la tournante des caves : c’est pas moi, c’est tout le monde, c’est personne.

Là où c’est complexe, c’est quand un mec peut demander à un séropo de le baiser sans capote. L’alternance du désir de vie, désir de mort, la proximité sexe/mort n’est pas neuve. Il n’y a pas de discours moralisateur à faire là-dessus. Juste s’en tenir aux faits. Aux choix. A la parole. Nous ne sommes pas sortis du problème et nous le savons tout autant, mieux que lui. Pas besoin de lui pour savoir que certaines passions peuvent nous amener au bord du gouffre. Chacun. Est seul. A se coltiner désespoir, désarroi, devant ses propres désirs et le réel. Choisir son sorcier, son thérapeute, le théâtre, l’action politique pour déplacer, exprimer, transformer sa terreur. Et vers quoi ? On n’y réussit pas à tous les coups. Mais. Ça vaut la peine et le plaisir d’essayer. Parce que combattre c’est le pied ! Ce n’est pas que de la contrainte.