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Bangkok 2004 : pictures at an exhibition

lundi 12 juillet 2004

Bangkok, la quinzième conférence internationale sur le sida ouvre ses portes. En guise de hors-d’œuvre, nous publions la première de nos chroniques quotidiennes envoyées par les militants d’Act Up-Paris.

Nous sommes 10 militants d’Act Up-Paris envoyéEs à Bangkok depuis 48 heures, pour la conférence internationale sur le sida qui s’y tient du 11 au 16 juillet. Comme toujours avant le début d’une conférence, l’excitation règne : il faut repérer les lieux, nouer ou retrouver les contacts avec les activistes du monde entier, se procurer le matériel d’action publique et de communication intransportable en avion (peinture, colle, badges, stickers, etc.), s’occuper des accréditations, etc. Rajoutez à cela les effets du décalage horaire, la chaleur moite de la mousson et l’ambiance de Bangkok, dont nous savons par avance que nous n’aurons guère le temps d’en profiter, et vous aurez une idée de notre état.

Les enjeux de cette conférence sont comme toujours vitaux. Dans une conférence de ce type, il s’agit évidemment de récolter les informations de pointe, notamment scientifiques, afin de les transmettre aux malades et d’anticiper les problèmes que posera la recherche publique et privée. Comme nous le faisons depuis l’automne 2003, nous publierons chaque jour sur ce site les synthèses des différentes sessions auxquelles nous aurons assisté.

Reste à savoir si cette conférence confirmera le sentiment que nous ont laissés les « raouts » précédents, à commencer par la CROI de San Francisco en février dernier. Si les connaissances actuelles sur la prise en charge de tous les aspects du virus ne cessent de gagner en précision et en complexité, les perspectives nouvelles de le combattre sont très restreintes.

Comme d’habitude, il sera difficile de tout suivre parce que, comme d’habitude, les sessions sont organisées en parallèle selon cinq fils thématiques qui regroupent les spécialistes de basic science (cliniciens, épidémiologistes, spécialistes des sciences sociales et mais aussi des représentants politiques et de l’industrie pharmaceutique). Bien entendu ces personnes ne se mélangent pas, et il semble bien qu’il n’y ait que les activistes pour s’intéresser à tous ces domaines. C’est le défi que nous tenterons une fois de plus de relever en diffusant les moments forts de ces sessions, ou plutôt leurs morceaux choisis.

Une conférence internationale est aussi l’occasion idéale de rencontrer les associations et les professionnelLes du monde entier, de nouer des contacts, de travailler ensemble à chaque fois de façon inédite. À cet égard, le fait que la conférence soit organisée à Bangkok fixe un enjeu d’importance. La Thaïlande mène en effet une politique violemment répressive envers les usagerEs de drogues, que l’on n’hésite pas à abattre froidement. Les associations locales entendent profiter de l’occasion pour protester contre cette politique et exiger que la répression fasse place à une politique de prise en charge sociale et sanitaire digne de ce nom. Il va sans dire que nous soutiendrons et relaierons largement leurs actions, ainsi que celles des associations de travailleurSEs du sexe qui, comme les usagerEs de drogues, sont victimes d’une politique répressive tout aussi meurtrière.

Le mot d’ordre de la conférence est « Access for all ». Rappelons que l’on compte dans le monde 40 millions de séropositifs, que 95% de ces personnes n’ont toujours pas accès au moindre traitement et que plus de 10000 personnes meurent chaque jour. Dans ce contexte alarmant, et pourtant parfaitement connu des gouvernements des pays riches et des institutions internationales, il est effectivement urgent que les pouvoirs politiques s’approprient ce mot d’ordre lancé depuis longtemps déjà par les activistes du Nord et du Sud. Actuellement, la réalité et les conséquences de l’inaction des divers responsables donne en effet plutôt envie de dire « Access denied ». Notre travail consistera à faire en sorte qu’ils cessent de se payer de mots, et qu’enfin ils agissent, en déployant les moyens nécessaires à la hauteur de la pandémie.

À chaque conférence, on entend le même blabla de la part des gouvernements des pays riches et des institutions internationales [1]. À chaque conférence, ils ne cessent de répéter qu’il faut tout faire contre l’épidémie. Dans les faits, les actes ne suivent jamais les discours et les promesses de financements de la lutte ne sont pas honorées. La création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, en 2001, n’a servi que d’alibi compassionnel aux pays riches, et à entretenir l’illusion d’une implication réelle des états du G8 dans la lutte contre le sida. Le Fonds mondial tourne à vide et attend encore d’être financé comme il le faudrait pour qu’il soit efficace. Les pressions de l’industrie pharmaceutique et des pays du G8 empêchent la production et la circulation massive de médicaments génériques. Les grands labos continuent de mener des essais contraires à l’éthique ou encore de ralentir, voire d’arrêter, le développement de nouvelles molécules jugées non rentables, alors même que 10 % de personnes sous traitement sont en échappement thérapeutique et attendent de nouveaux médicaments qui sauveraient leur vie. Ce sont autant de luttes qu’il faudra mener au cours cette conférence.

Ceux qui ne sont jamais entrés dans le hall d’exhibition d’une conférence où sont rassemblés les stands des labos, des institutions et le village des ONG auront sans doute du mal à comprendre la colère qui nous envahit à chaque fois que nous y entrons. La surface occupée par 12 firmes pharmaceutiques occidentales est égale à celle dont dispose 111 associations du monde entier ! Les labos rivalisent d’opulence affichée, de communication cynique et de gadgets d’une idiotie obscène.

Le stand de Glaxo est un véritable duplex, luxueux, avec plantes vertes à foison et murs translucides où coulent des fontaines bleutées. Celui de Pfizer rend hommage aux seventies et réhabilite la déco à la gloire de « Cosmos 99 », le cheap en moins. Roche affiche des publicités pour l’invirase censées nous expliquer qu’avec cette antiprotéase, nous serions aussi puissants que des rhinocéros à trois cornes ou des scorpions à deux queues. MSD passe une vidéo où le PDG, la larme à l’œil, nous parle de la joie d’une malade africaine à qui il aurait annoncé qu’elle pourra se soigner depuis qu’il a consenti une baisse des prix sur le Crixivan. Sans aucun doute, nous aurons l’occasion au cours des prochains jours de parler à nouveau des labos et de leurs stands.

Comme à chaque conférence internationale, tout est donc fait pour faciliter la visibilité des firmes occidentales. La place des malades et des activistes, quant à elle, n’est jamais garantie exceptée lorsque nous la défendons. La preuve en est les déboires que nous avons connus en nous enregistrant auprès des services d’accréditation en début d’après-midi. Les organisateurs ont en effet refusé de prendre en compte le changement de nom pour une bourse (scolarship) déposé par un militant d’Act Up-Paris qui n’a pas pu se rendre à la conférence, et qui donc a été remplacé par un autre membre. Pour les organisateurs, les demandes de bourse sont individuelles et ne peuvent être interchangées. C’est évidemment ignorer que le travail associatif est collectif, que la reconnaissance individuelle d’une bourse a un sens quand elle concerne des professionnelLEs ou des industrielLEs, mais que dans le cadre activiste, où la légitimité est issue d’un groupe, cette règle n’a aucun sens et s’oppose même à la présence et à la visibilité des personnes concernées. Espérons que le problème sera résolu demain au plus tard. En attendant, le programme de la journée est chargé avec notamment une manifestation et la cérémonie d’ouverture de la conférence.

Liens utiles
 Bangkok Aids 2004 > www.aids2004.org
 Aids Activist at the XV international Aids Conference > www.globaltreatmentaccess.org
 Portail des institutions et associations françaises présentes à Bangkok > www.france-sida-bangkok.net

Les militants d’Act Up-Paris et d’Act Up-Toulouse présents à Bangkok.

[1lire notamment nos différents articles relatifs au Fonds mondial, à la conférence de l’IAS organisée en juillet 2003 à Paris ou bien encore à Jacques Chirac et ses promesses non tenues de contribuer au financement du Fonds